Les habiles pirouettes du Conseil d’orientation des retraites pour masquer l’état dramatique des comptes (ou comment lire entre les lignes de son dernier rapport)<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Conseil d’orientation des retraites fait des pirouettes pour masquer l’état dramatique des comptes.
Le Conseil d’orientation des retraites fait des pirouettes pour masquer l’état dramatique des comptes.
©Reuters

Petit filou

Le Conseil d'orientation des retraites (COR) a remis jeudi 12 juin son rapport sur les évolutions et les perspectives des retraites en France au Premier ministre, sans préciser s'il faudra de nouvelles mesures pour rééquilibrer le système.

Vincent Touzé

Vincent Touzé

Vincent Touzé est économiste senior au département des études de l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).

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Atlantico : Le Conseil d'orientation des retraites (COR) a remis jeudi 12 juin son rapport au Premier ministre sur "les évolutions et les perspectives des retraites en France". Selon le Figaro qui a pu consulter le rapport en avant-première, ce dernier ne précise pas s'il faudra de nouvelles mesures pour rééquilibrer le système et demande un délai supplémentaire avant de pouvoir statuer sur la question. Le conseil d'orientation des retraites élude-t-il la question ? Pourra-t-on réellement faire l'économie de nouvelles mesures pour équilibrer le système ?

Vincent Touzé : Le dernier rapport du COR sur les évolutions et les perspectives des retraites en France publié en décembre 2012 s’intitulait "Retraites : perspectives 2020, 2040 et 2060". Ce rapport a joué un rôle majeur puisqu’il a servi de point de référence pour la commission Moreau (rapport publié en juin 2013) puis pour des mesures correctives adoptées par le parlement fin 2013 (réforme Touraine). La réforme Touraine a principalement abouti à une hausse des cotisations (impact négatif pour les salariés), à une hausse de la durée d’activité (impact négatif pour les salariés), à une fiscalisation des majorations de retraite (impact négatif pour les retraités) et à un report de l’indexation des pensions (perte de pouvoir d’achat pour les retraités).
Le nouveau rapport est, donc, particulièrement attendu puisqu’il va enfin fournir une estimation (indépendante) des mesures prises par le gouvernement Ayrault. Le moins qu’on puisse attendre d’un tel rapport est une évaluation précise de l’évolution des soldes financiers des différents régimes de retraite selon plusieurs scénarios, en général trois du type pessimiste, intermédiaire et optimiste. Si le rapport (que je n’ai pas pu encore me procurer) ne fournit pas ces estimations, on n’est en droit d’être très inquiet car la question de la solvabilité est essentielle pour envisager l’avenir et comprendre nos choix passés. En aucun cas, elle ne peut être éludée. Au contraire, c’est un devoir démocratique d’information car les citoyens ont le droit d’être informés, surtout que le COR a tous les moyens (techniques et humains) pour réaliser une telle évaluation.

Quant à la partie vieillissement, le Conseil d'orientation des retraites écrit que "le retour à l'équilibre ne pourrait être atteint, à législation constante, qu'à un horizon assez lointain, situé en général au cours des années 2040". Le COR n'avoue-t-il pas entre les lignes que des nouvelles mesures seront nécessaires ?

Le COR avoue un secret de polichinelle : les réformes passées bien qu’elles aient eu des effets bénéfiques, ne sont pas suffisantes. Le problème est que les réformes sont trop souvent prises avec retard et surtout elles sont évaluées à partir d’hypothèses extrêmement favorables à savoir pour le scénario de base : un taux de croissance de la productivité de 1,5% et un taux de chômage de 4,5% à long terme. Ces hypothèses pour un compte central ne sont pas réalistes car elles ne reproduisent pas les tendances de long terme. Elles correspondent seulement à des objectifs, mais faudrait-il encore se donner les moyens d’y arriver avec des politiques structurelles effectives. 
A défaut de vraie réforme, on annonce aujourd’hui aux jeunes générations : "ne vous inquiétez pas car à long terme, il y aura de la croissance et peu de chômage ; tous les problèmes seront donc résolus". De plus, les scénarios optimistes sur le taux de chômage sont très favorables à l’amélioration du solde financier de la CNAV car dès lors que l’UNEDIC fait des excédents, il y  a un transfert vers l’assurance vieillesse. En dessous d’un certain seuil, un bas niveau de chômage provoque un double dividende.
Au contraire, un pilotage prudent des systèmes de retraite par répartition devrait se construire à partir d’hypothèses pas vraiment optimistes afin d’éviter les fausses promesses en garantissant une adéquation durable entre recettes et dépenses. Les seules surprises seraient des bonnes surprises car dès lors qu’on fait mieux que le scénario, il est toujours possible d’être plus généreux. Les scénarios trop optimistes sont un leurre (les français sont mal informés) et contribuent à une désinformation économique nuisible à la prise de décision.
Par le passé, une bonne gestion aurait nécessité de réaliser d’importants excédents accumulés dans un fonds de réserve dès les années 1980. Aux Etats-Unis, l’accumulation d’un tel fonds permet au régime de retraite par répartition de tenir sans réforme jusqu’en 2033. La Suède accumule un fonds de réserve depuis les années 70. En France, aujourd’hui, on finance globalement le système de retraite avec de la dette…
Le "mauvais" pilotage du système de retraite provient de la nature "craintive" des décideurs politiques qui craignent de subir un lourd échec électoral si jamais ils s’engageaient dans une vraie réforme d’envergure.
Pour sortir d’une insolvabilité permanente des retraites, il faudrait faire comme les Suédois avec une grande réforme qui garantirait une justice fiscale entre les générations en figeant le taux de cotisation, une plus grande transparence en créant des comptes notionnels et surtout une solvabilité en adoptant des mécanismes d’ajustements automatiques qui permettraient au système de retraite de réévaluer les pensions (à la hausse comme à la baisse) en fonction de l’évolution de la croissance économique. 
Un système de retraite par répartition ne peut pas promettre de façon permanente un rendement des cotisations versées supérieur au taux de croissance économique (masse salariale), car un tel objectif nécessiterait d’augmenter (à l’infini) les taux de cotisation, ce qui n’est pas possible.

Le Conseil estime également qu'en termes d'équité, "aucune génération n'apparaît systématiquement avantagée par rapport aux autres". Les anciennes générations ayant moins cotisés mais et l'écart entre leur dernier salaire et leur première pensions est relativement faible mais leur espérance de vie étant plus courte, elles bénéficient de leur retraites moins longtemps. La question de l'équité entre les générations peut-elle réellement se poser en ces termes ?

Apprécier l’équité entre les générations est un exercice difficile car une telle démarche nécessite de comparer des générations (les plus jeunes) dont on ne connaît pas encore le destin à d’autres (les plus anciennes) dont on connait l’essentiel du vécu économique et social. Dans la mesure où on promet, aux plus jeunes générations, une vie meilleure (une espérance de vie qui s’allonge encore, moins de chômage, plus de croissance), il y aurait peu d’inégalités entre les générations. Mais ces hypothèses sont très discutables.
Aujourd’hui, le chômage frappe massivement les plus jeunes et la pression salariale est plus forte pour les nouveaux entrants. En même temps, on exige des plus jeunes générations des études toujours plus longues (donc une entrée plus tardive sur le marché du travail) et de travailler plus longtemps (avec un taux de chômage qui a beaucoup augmenté). Avec un premier emploi à 23 ans et une durée d’activité de 43 ans pour bénéficier d’une pension à taux plein, il sera difficile de prendre une retraite avant 65 ans…
Le système de retraite français est très généreux. Le coût induit peut donc poser d’importants problèmes d’équité entre les générations.
Le contexte de crise économique conduit à des situations paradoxales où les problèmes d’inégalité entre les générations se règlent au sein des familles : des parents à la retraite (les fameux baby-boomers) apportent un soutien financier à leurs enfants. Il est bien dommage que la société française ne soit pas en mesure d’offrir des postes de travail suffisamment bien rémunérés après cotisations sociales (y compris cotisations retraite) afin de rendre inutile de tels transferts intrafamiliaux.

En revanche sur la question de l'équité entre les hommes et les femmes, le COR se veut plus clair et estime que le niveau de vie moyen des femmes à la retraite reste inférieur de 5 % à 6 % relativement à celui des hommes. Par ailleurs, le rapport estime qu'une majoration de pension de 10% des pensions pour les parents de trois enfants bénéficierait principalement aux hommes. Comment dans ce cas pallier les inégalités entre les retraites des hommes et des femmes ? 

Les inégalités actuelles de retraite entre les hommes et femmes résultent principalement du fait que les femmes aujourd’hui à la retraite ont moins cotisé que les hommes en raison d’une moindre participation au marché du travail (activités domestiques non rémunérées telles que l’élevage des enfants) et aussi des carrières moins dynamique (plafond de verre). Les inégalités ne résultent donc pas du caractère inéquitable du système même si le mode de calcul pénalise fortement les travailleurs n’ayant pas eu une carrière complète. Ces derniers sont souvent contraints d’atteindre l’âge du taux plein (65 ans et progressivement remonté à 67 ans) pour faire valoir leurs droits à la retraite.
Un point non négligeable est favorable aux femmes : elles vivent plus longtemps. D’un côté, cela signifie qu’elles toucheront en moyenne plus longtemps leur pension que les hommes. D’un autre côté, pour les femmes mariées, elles ont une probabilité élevée de devenir veuve et donc de toucher une pension de réversion.
Le principal problème du système de retraite français est qu’il lie mal les cotisations versées pendant son activité au niveau de pension. Ce manque de transparence produit de nombreuses inégalités difficiles à appréhender (notamment des cotisations qui ne donnent aucun droit, des inégalités d’espérance de vie, etc.). Une telle situation favorise de nombreux sentiments d’injustice. La meilleure solution serait d’adopter un système de compte notionnel à la suédoise (ou une version améliorée du régime français AGIRC/ARRCO de retraite complémentaire) : les cotisations versées sont accumulées sur un compte fictif (car il n’y a pas de contrepartie sous forme d’investissement dans l’économie) ; le compte rapporte chaque année un intérêt (fictif) égal au taux de croissance de la masse salariale ; à la liquidation, le capital est convertie en rente. En parallèle, on conserve les dispositifs qui permettent de garantir un minima retraite pour le volet redistributif.
Toutefois, ces problèmes importants d’inégalité ne doivent pas faire oublier qu’en France, les régimes de retraite sont globalement très généreux. Si on veut qu’ils le soient encore longtemps, il est indispensable d’avoir les bons outils de pilotage, d’observation et de prévision de la réalité économique afin de garantir un bon partage des ressources entre les générations. En bref, les prévisions du COR sont très attendues !

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