Guerre en Ukraine : les voix qui s’opposent à Vladimir Poutine s’agitent. Mais pas dans le sens de la paix… <!-- --> | Atlantico.fr
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Des colonels russes ont regretté que la Russie n'ait pas bombardé le centre de Kiev et ont insulté Vladimir Poutine lors d'une conversation interceptée.
Des colonels russes ont regretté que la Russie n'ait pas bombardé le centre de Kiev et ont insulté Vladimir Poutine lors d'une conversation interceptée.
©Mikhail Klimentyev / Sputnik / AFP

Faucons

Dans une conversation téléphonique "interceptée" par les services de sécurité ukrainiens, deux colonels russes ont insulté Vladimir Poutine et qualifié Sergueï Choïgou de "profane totalement incompétent", regrettant que la Russie n'ait pas bombardé le centre de Kiev.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : Dans un appel téléphonique "intercepté" par les services de sécurité ukrainiens, deux colonels russes ont traité Poutine de "fils de pute" et Sergueï Choïgou  de "profane totalement incompétent", regrettant que la Russie n'ait pas bombardé le centre de Kiev. A quel point est-ce une contestation qui monte ?

Viatcheslav Avioutskii :Ce n’est pas la première fois qu’on entend des officiers ou des soldats de rang critiquer l’opération, mais le fait que deux colonels expriment avec un langage très cru une critique aussi virulente de la stratégie, des objectifs et des résultats de la guerre, c’est original. Globalement ce genre de critique ne sort pas publiquement. Il dénote un phénomène qui est valable tant du côté ukrainien que russe d’une vision jusqu'au-boutiste des évènements. Beaucoup de militaires de tous les niveaux ne sont a priori pas satisfaits de la manière dont se déroule l’opération et des déboires des débuts. Ce genre de commentaires, présentés un peu différemment, se retrouve aussi chez Igor Guirkine, ancien des services spéciaux russes qui a mené le début de la première guerre du Donbass (Un militaire a-t-il déclaré à la télévision russe que la guerre en Ukraine était un échec jusqu’à présent?). Il critique depuis plusieurs semaines la situation en Ukraine et prône la fermeté et pousse à une mobilisation.

Ce qui est inquiétant, c’est que les deux colonels se prononcent pour le bombardement du centre décisionnel ukrainien. Mais déjà, il y a quelques semaines, des officiels russes avaient envisagé la possibilité, en cas de frappes sur le territoire russe. Est-ce que ça va avoir lieu ? Sans doute pas, d’autant que comme l’un d’entre eux le dit justement, l’action ne serait que symbolique car il n’y aurait sûrement plus personne dans les bâtiments. Le gouvernement ukrainien travaille le plus souvent à distance. Les deux colonels ont été identifiés de manière quasi formelle et il sera intéressant de voir quelle sera la réaction du Kremlin.

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Au-delà de ces deux colonels, à quel point leur point de vue est-il répandu dans une certaine partie de la population et des élites russes ?

Il serait erroné de voir l’équipe dirigeante russe comme monolithique. Il y a en son sein des hommes politiques qui représentent des intérêts différents et des couleurs politiques différentes. Ce que l’on découvre aujourd’hui, c’est que dans l’entourage proche de Poutine on retrouve des Faucons, des personnes plus radicales que Poutine lui-même. Un cas est emblématique, celui de Dmitri Medvedev, l’ancien président (2008-2012), qui se présentait comme libéral et défenseur des libertés ; pro-technologique, etc. Aujourd’hui, lorsqu’on regarde ses déclarations, elles sont aux antipodes de ce qu’il avait pu déclarer (même s’il était commandant suprême pendant la guerre de Géorgie). Certains observateurs disent que Medvedev est plus Poutine que Poutine lui-même. Il s’insurge, demande des mesures extrêmes, etc. Il n’est pas le seul. Ce qu’il est important de retenir est que ce qui se passe dans l’élite russe n’est pas défini seulement par Vladimir Poutine en tant que personne. Il exprime lui aussi les intérêts de son entourage proche. La question qui se pose est celle de la transition du pouvoir. Poutine se rapproche de 70 ans donc la question de son successeur se pose. La crainte est qu’il pourrait être remplacé par une aile plus radicale qu’il ne l’est lui-même et pourra prôner des actions plus radicales, une rupture plus nette avec l’Occident, etc. Aujourd’hui, même si la guerre fait rage avec une violence inouïe, les déclarations de Biden, Poutine, Von der Leyen montrent une sorte de dialogue indirect qui est engagé. Les deux côtés sondent jusqu’où ils peuvent aller et s’accordent des petites concessions verbales. C’est le cas pour les exportations de blé depuis le port d’Odessa, sur le sujet des missiles livrés à l’Ukraine, etc.

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Quelle place à le jusqu’au-boutisme dans cette guerre ?

C’est une idée présente dans l’armée, dans une partie des élites mais aussi dans la population. Il y a un segment de la population qui cherche à se venger. La guerre en Ukraine consomme beaucoup de ressources, fait beaucoup de morts et n’a pas les résultats escomptés. Il y a un sentiment de trahison, on accuse le chef de l’armée de ne pas être un professionnel. De fait, Choïgou ne vient pas de l’armée mais du ministère des Situations d’urgences. C’est un civil à la base, ce qui irrite certains militaires. Certes, ce n’est pas lui qui planifie l’opération militaire en tant que telle, il a des généraux pour cela. Lui est plutôt dans une position d’administrateur.

Le jusqu'au-boutisme est une caractéristique structurelle de la guerre en Ukraine aujourd’hui. C’est ce qui explique qu’il n’y ait pas vraiment de négociations jusqu’à présent. L’armée russe, qui découle de l’armée soviétique est caractérisée par ce jusqu'au-boutisme. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’URSS a assumé des pertes gigantesques pour gagner la guerre. Je pense qu’ils sont aujourd’hui dans la même optique.  

Est-ce que les faucons pourraient avoir suffisamment d’influence pour faire pression sur Poutine et influer sur la direction de la guerre ? Ou renverser Poutine ?

Certains observateurs disent qu’il y a une forme de concours de beauté des successeurs potentiels de Poutine qui essaient d’être plus radicaux que Poutine lui-même pour occuper cette place de candidat numéro 1 à sa suite. L’armée a perdu une part non négligeable de ses capacités et est prête au sacrifice, à aller jusqu’au bout. S’il faut une mobilisation, elle aura lieu, s’il faut perdre 20 000 ou 100 000 personnes, ils sont prêts à le faire. Je ne dis pas qu’ils sont motivés à le faire, mais c’est la stratégie russe que de gagner par le nombre. Pour l’instant, il y a une forme de patriotisme, qui tend vers le nationalisme, qui incite la population à faire corps.

Par ailleurs, une quinzaine de « journalistes » aux heures de grandes écoutes tiennent aussi ce discours radical, jusqu’au-boutiste, violent. Ce sont des propagandistes à la solde du Kremlin et cela trouve un écho dans la société russe qui est en recherche de son identité, l’identité russe impériale. L’empire, c’est un espace sans frontières, et pour beaucoup de Russes, l’Ukraine n’est pas une nation ou un Etat. Pour les propagandistes, si la Russie perd la guerre, c’est la fin. C’est une guerre existentielle car si Poutine échoue, ce sera un autre régime, qui ne sera pas impérial, qui prendra sa place.

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