Grand sondage LR : à quel point les souhaits de septembre sont-ils représentatifs de ceux d’avril…?<!-- --> | Atlantico.fr
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Christian Jacob lors d'un discours dans les locaux LR.
Christian Jacob lors d'un discours dans les locaux LR.
©Alain JOCARD / AFP

Sondages politiques

Les candidats à la présidentielle ont jusqu’à ce lundi soir pour se représenter dans une large enquête d’opinion, dirigée par LR. Un moyen final pour le président Christian Jacob de ne pas organiser la primaire ?

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : L’IFOP a lancé ce 30 août, pour LR, une enquête auprès de 15000 personnes pour essayer d’aider à la décision concernant le candidat à la présidentielle. Que sait-on de la méthodologie de cette enquête et de sa représentativité ?

Bruno Cautrès : Il faut tout d’abord préciser à nos lecteurs que l’IFOP est un des « majeurs » du secteur des sondages politiques en France. Il ne fait aucun doute que l’IFOP dispose du savoir-faire pour réaliser un tel sondage de grande ampleur. La clef de voûte d’un sondage c’est avant tout sa capacité à refléter l’état de l’opinion dans l’ensemble de la population étudiée : on extrait de cette population une partie que l’on appelle un « échantillon ». Méthodologiquement et techniquement, c’est cela un « sondage » : c’est le principe de la partie prélevée sur le tout, sans « biais de sondage ». C’est finalement le même principe qu’une prise de sang : pour que l’estimation faite à partir d’un échantillon soit une représentation fiable de ce qui se passe dans l’ensemble de la circulation sanguine, il faut qu’elle ne soit pas entachée d’erreur. Par exemple, si je ne viens pas à jeun faire la prise de sang, l’échantillon peut être biaisé. Il en va de la même manière pour les sondages politiques : la phase de constitution de l’échantillon et la manière dont il est extrait de la population électorale est une phase déterminante. Ici, la question est méthodologiquement redoutable : on ne dispose d’une population de référence. Si l’on connaît le nombre d’hommes et de femmes, de jeunes, de diplômés dans la population, on ne connaît pas le nombre de sympathisants LR ou d'électeurs "de droite et du centre". On ne le connaît que le jour des élections avec le vote ou par les sondages accumulés depuis des années. L’IFOP a donc dû relever un défi méthodologique : comment extraire un échantillon d’une population aux contours incertains ? C’est la raison pour laquelle le questionnaire de l’enquête débute par tout un tas de questions (votes aux dernières élections, sympathies partisanes, auto-classement sur l’échelle gauche-droite) qui permettent de savoir si la personne correspond bien à la cible recherchée. En cela le sondage sera plus proche d’une enquête qui observe et dénombre que d’un sondage qui estime et infère ces estimations au plan de l’ensemble de la population. Mais c’est déjà énorme de disposer de ces données et cette enquête constitue assurément une importante innovation dans la vie des partis politiques français.

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Les résultats de cette enquête vont-ils véritablement pouvoir donner des indications solides à LR ? A quel point les opinions et souhaits de septembre, alors que la campagne n’a pas vraiment commencé, sont-ils représentatifs de ceux d’avril pour la présidentielle ?

Il en ira des résultats de cette enquête comme de tout sondage : l’inférence que l’on peut faire se limite au contexte de la réalisation de l’enquête. Mais, vous savez, il ne faut pas sur-exagérer cette question : les attitudes politiques et les préférences politiques sont des éléments assez stables dans le temps. Autrement dit, le sympathisant LR qui va exprimer une préférence pour Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse, le fait pour des raisons qui ne sont pas dues au hasard. Des fluctuations conjoncturelles pourront bien sûr exister : les qualités que l’on prête à un candidat peuvent se révéler confirmées mais aussi infirmées par la conduite de sa campagne électorale. Qui aurait cru en fin novembre 2016 que François Fillon allait se retrouver dans un tel scandale en janvier 2017 ? Le problème est qu’un parti politique ne peut passer son temps à rechercher son meilleur candidat, il faut bien stabiliser le choix à un moment donné. C’est bien d’ailleurs ce goût amer de la primaire qui est resté chez de nombreux sympathisants LR en 2017 : après un vrai succès populaire (4 millions de votants aux deux tours), comment pouvait-on corriger et remettre en cause le choix de François Fillon ? c’était presque impossible. Pour 2022, il faudra surveiller avec attention la manière dont le choix final du candidat LR, qu’il soit adoubé par la primaire (V. Pécresse ? Xavier Juvin ? Michel Barnier ?) ou par l’opinion en dehors de la primaire (X. Bertrand), va « matcher » avec le programme de LR. Si le choix se porte au final sur V. Pécresse ou X. Bertrand, ces deux personnalités ne sont pas membres de LR : la campagne peut leur donner l’occasion de s’éloigner sur certains points du programme ou des prises de positions officielles des LR.

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Lors de la précédente élection les électeurs savaient-ils déjà ce qu’ils voulaient (sur le plan du programme) et qui ils voulaient (comme incarnation) à huit mois de l’élection ?

Non, pas encore complètement. A l’automne 2016, les électeurs de droite donnent encore une large avance à Alain Juppé et Nicolas Sarkozy. La remontée dans les intentions de vote pour François Fillon ne commence qu’à un mois de la primaire, à partir de fin octobre/début novembre. En revanche, sur le plan des préférences de politiques publiques, ce que nous appelons « l’effet thermostatique » joue à fond pour ces électeurs : le mandat de François Hollande a réveillé chez les électeurs de la droite un fort appétit pour des mesures de droite, notamment au plan économique. Le "thermostat" est monté assez haut sur ces questions et les solutions ainsi que la posture générale de François Fillon (« passer les statuts de la fonction publique à la paille de fer » a-t-il déclaré alors) parlent puissamment aux électeurs de la droite. C’est tout le problème de la séquence 2021/2022 : Emmanuel Macron est plus difficile à contrer car les électeurs le classent en moyenne au centre-droit. Certes, plus les électeurs sont à gauche et plus ils classent Emmanuel Macron à gauche et plus ils sont à droite, plus ils le classent à droite. Mais il va être plus difficile pour le candidat ou la candidate LR de proposer un agenda politique jouant sur « l’effet thermostatique » de l’opinion de droite.

Quels sont, en définitive, les avantages et les risques d’une telle méthode ? A-t-elle déjà été pratiquée ailleurs ? Si oui, avec quels effets ?

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Un tel sondage n’est pas été vraiment pratiqué à cette échelle avant et dans d’autres formations politiques. Il faut le regretter : les partis politiques, pourtant grands consommateurs de sondages politiques, rechignent à utiliser la technique du sondage pour mieux se connaître et mieux connaître les attentes, les univers idéologiques et les mutations de leurs adhérents et sympathisants. Peu d'organisations politiques ont accepté que des chercheurs et des enquêtes en profondeur étudient la sociologie et les préférences de leurs adhérents. La République en marche l’a fait lorsqu’en 2018 elle a joué le jeu d’accepter une enquête de grande ampleur à laquelle j’ai participé. Tout le monde n’en a pas fait autant. Cela n’empêche pas que nous devons nous poser des questions sur la place d’un tel sondage dans les modalités de sélection des candidats : la délibération interne au parti, le point de vue des militants, ne peuvent être réduits à un décor formel  où les vraies décisions se régleraient avec des enquêtes ou sondages. Très précieux outils de connaissance, ces derniers ne sont qu’une aide à la décision et une facette d’un processus de sélection de candidat. Les partis politiques auraient tout intérêt à nous faire connaître, parallèlement à ce type d’enquêtes, le résultat des travaux internes qu’ils ont conduit. Bref, il est temps que les partis politiques retrouvent une fonction programmatique essentielle en démocratie.

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