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Gouvernement, syndicats et même opposition : qui ne serait pas perdant à un Euro 2016 gâché par le conflit social (et donc croyez-vous qu’il le sera) ?
©Reuters

A qui profite le crime ?

Manuel Valls s'est récemment exprimé sur l'ouverture de l'Euro 2016, estimant que "la France est prête à accueillir" cette compétition, "chacun dans ce moment-là doit être responsable et patriote". Il a également annoncé que tout serait mis en œuvre pour permettre l'accès aux stades pour les supporters.

Erik Neveu

Erik Neveu

Erik Neveu est un sociologue et politiste français, professeur des universités agrégé en science politique et enseigne à Sciences Po Rennes.

Il est l'auteur de l'ouvrage "Sociologie politique des problèmes publiques".

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque est historien, spécialiste du communisme, de l'anarchisme, du syndicalisme et de l'extrême gauche. Il est l'auteur de Mensonges en gilet jaune : Quand les réseaux sociaux et les bobards d'État font l'histoire (Serge Safran éditeur) ou bien encore de La gauche radicale : liens, lieux et luttes (2012-2017), à la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique). 

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Atlantico : Le premier match de l'Euro 2016 a lieu ce vendredi 10 juin et oppose la France à la Roumanie, alors que le pays demeure secoué par d'importantes mobilisations syndicales et sociales. Si la compétition devait être ternie par les manifestations, voire sérieusement perturbée, qui y gagnerait ? Une telle situation n'aurait elle pas pour résultat de ne faire que des perdants ?

Sylvain Boulouque : En dehors de ceux qui ne portent pas l'amour du football, l'ensemble de la nation perdrait à la réalisation d'un tel scénario. L'Euro 2016 est, sans conteste, un événement européen. Il est même potentiellement planétaire, ce qui signifie donc que le monde entier a les yeux braqués sur l'Hexagone et les gardera le temps du spectacle. Si celui-ci en venait à être troublé par les mobilisations, la France renverrait une image particulière et spécifique (très française, au fond) : celle des conflits sociaux très fréquents, avec tous les inconvénients qu'ils génèrent et que l'on sait (blocages, grèves, manifestations). En bref donc, si ce scénario se produisait, tout le monde y perdrait évidemment des plumes, au delà même du regard mondial, tant amusé que circonspect, qui sera posé sur nous.

S'il fallait se pencher sur des conséquences plus internes, il va de soi qu'un blocage de l'Euro serait dommageable à plusieurs des acteurs de ces conflits sociaux. Les grévistes s'attireraient probablement les foudres et l'antipathie de tout une frange de la population, dont ils jouissent pourtant encore du soutien aujourd'hui. Pour l'heure ils attirent encore de la sympathie. En parallèle, le gouvernement pourrait également s'attirer l'antipathie de ce pan de la population, voire de son électorat traditionnel qui éprouve actuellement de l'empathie à l'égard des grévistes, s'il attaquait trop frontalement au mouvement de fronde contre la loi Travail. L'impact sur les – ou la, selon qu'on estime ou non qu'il y en a plusieurs – oppositions est différent, et pour cause : au FN ou chez LR, ils demeurent tout de même moins exposés en cela qu'ils restent spectateurs de la situation plus qu'acteurs. Ils ne sont pas à la manœuvre. Chez Les Républicains, il est fort probable qu'on accentue les critiques, le cas échéant, sur le manque de fermeté du gouvernement. En revanche au Front national il sera plus compliqué de formuler des critiques claires, en raison des deux niveaux de lectures relatifs à la loi El Khomri et à la mobilisation. D'un côté, une certaine ligne au Front national témoigne d'une certaine empathie, voire d'un soutien, à l'égard des grévistes qui appartiennent pour partie à son électorat. D'un autre, on constate un deuxième secteur plus libéral économiquement, qui tablerait ses critiques sur la faiblesse du gouvernement avant de revenir également sur des thématiques anti-communistes (le "complot-gaucho-socialo-communiste-etc") qui font le ciment de son électorat traditionnel.

>>> A lire aussi : 59% des Français continuent à trouver que le conflit social autour de la loi Travail est justifié 

Rappelons néanmoins qu'il s'agit essentiellement de postures. Ni le FN ni la droite traditionnelle ne sont directement aux affaires aujourd'hui. Par conséquent, ils sont naturellement moins concernés. En vérité, Les Républicains adoptent cette posture en cela qu'ils peuvent conforter leur propre électorat et n'ont pas de réelles négociations à mener. En effet, celles-ci se font soit au niveau des branches, soit au niveau national, la direction des Républicains n'est donc pas impliquée. Ils sont complètement libres de dénoncer les carences du gouvernement ; mais rappelons que quand il leur faut négocier ils procèdent généralement de la même façon. Côté Front national, encore une fois, les positions sont plus alambiquées. En cela que le sud est très libéral (voire ultralibéral), il a davantage tendance à protester contre les mobilisations qui correspondent selon lui à un empêchement du travail. En revanche, la ligne plus sociale du FN (incarnée par Florian Philippot, notamment) est beaucoup plus hostile à la loi Travail en tant que telle. En un sens, on retrouve dans cette scission la "France du non" de 2005, qui avait du exprimer son opposition ou son adhésion à l'Europe.

Erik Neveu : Oui, cela ressemble à ce qu'on nomme une situation de "double contrainte", ingérable. Exemple : Un jeune veut trouver un travail : toutes les offres d'emploi demandent de l'expérience, or il n'aura d'expérience que si quelqu'un l'embauche. Ici si la CGT maintien et amplifie la mobilisation elle risque l'accusation de saboter un événement majeur et festif, de nuire à l'image de la France. Si elle stoppe le mouvement on dira qu'elle s'est dégonflée ou a adopté une stratégie aventuriste.Et le schéma vaut pour le gouvernement : il lui est bien difficile de céder après le piteux épisode de la déchéance de nationalité et les mouvements de menton de Manuel Valls... et s'obstiner à toutes les chances de plomber le score déjà pitoyable annoncé au candidat socialiste en 2017.

Eric Verhaeghe : Ce serait évidemment un immense échec collectif. L'image de la France à l'étranger souffre depuis plusieurs années, notamment du fait des déficits publics excessifs, de l'impossibilité de réformer le pays et des conflits sociaux qui le déchirent régulièrement. Le spectacle du DRH d'Air France la chemise déchirée a fait le tour du monde. L'insécurité liée aux attentats de 2015, l'incapacité manifeste du gouvernement à arrêter préventivement des terroristes identifiés par les renseignements généraux bien avant qu'ils ne commettent leurs forfaits - tout cela nourrit l'image d'un pays sur le déclin, en pleine désorganisation et incapable de se "reprendre". A ce tableau déjà apocalyptique s'ajoute désormais la prise en otage d'un événement sportif continental. Les Français donnent le sentiment de n'être plus capables de se raisonner eux-mêmes, mais de tomber si bas qu'ils prennent les étrangers en otage de leurs propres délires. Tout cela est effrayant et montre à quel point quatre an de hollandisme ont fini d'épuiser ce pays et de le plonger dans un effrayant déclin. 

Du point de vue du gouvernement et de François Hollande, une perturbation de l'Euro est-elle simplement concevable ? La question du déficit d'autorité n'est elle pas trop importante pour François Hollande ou Manuel Valls pour se permettre un tel événement. En quoi ouvriraient-ils une voie royale aux critiques de l'opposition ?

Sylvain Boulouque : Rappelons d'abord que nous ne parlons pas de la même configuration. François Hollande est autrement plus souple que Manuel Valls, plus autoritaire. Il s'adapte bien plus facilement aux situations et aux éventuels conflits, quand le Premier ministre est davantage dans une position rigide, visant à affirmer son autorité. Il y a, à l'inverse, une volonté de dédramatiser ce phénomène de la sorte chez le Président de la République, de compromis social-démocrate, d'incarner le "père de la nation".

Pour autant, il va de soi que le couple exécutif et plus généralement le gouvernement ont tout intérêt a minimiser autant que possible ces conflits sociaux, tout spécialement durant l'Euro 2016. D'abord pour s'éviter tant que possible ce regard tantôt sournois, tantôt moqueur, de la communauté internationale et les critiques sur sa droite ; ensuite parce qu'il est clair que les Français refuseront qu'on les prive de la dernière religion nationale en date : le football. 

Notons cependant que les différentes oppositions – il n'y en a pas qu'une – critiquent lourdement le gouvernement depuis déjà longtemps. Les grévistes, en outre, forment également une opposition en tant que telle. Le gouvernement doit donc faire face à une double opposition, tant sur sa droite (menée essentiellement par Les Républicains) que sur sa gauche (incarnée notamment par Jean-Luc Mélenchon, mais aussi en partie par le NPA). Il lui reste plusieurs possibilités, dont celle d'adopter une attitude comparable à celle de Jules Moch, d'extrême fermeté, qui consiste donc à interdire les grèves. Cependant, il est peu probable que le jeu en vaille véritablement la chandelle : le mouvement reste relativement minoritaire et ne pourra probablement pas perturber l'Euro 2016 plus qu'aux marges.   

Erik Neveu : On voit bien, le discours de Nicolas Sarkozy à Lille le 8 juin en témoigne, qu'une partie de la droite veut poser l'autorité à la fois comme diagnostic d'une défaillance de la gauche, et comme remède à beaucoup de maux que rencontrent les français. C'est de bonne guerre. C'est la logique du combat politique. Ce thème est davantage du patrimoine des droites., il peut trouver écho dans une population secouée par les attentats, le chomage de masse, des craintes devant les flux de réfugiés .

Ceci posé on peut formuler trois séries de questions. Peut-on dire, sans nuance, que l’exécutif se caractérise par une absence chronique d'autorité ? Ne sommes nous pas en état d'urgence, la forte réponse aux deux séquences d'attentats de 2015 n'a t'elle pas suscité des parenthèses de consensus national ? La mort d'un manifestant à Sirvens,  – pour la première fois depuis 1977- l'actualité suggèrent-elles un style 'Bisounours' de maintien de l'ordre ? Questions encore : en quoi l'autorité crée t-elle magiquement des emplois, dégage t-elle des ressources pour financer les forces de sécurité, les hôpitaux et les universités ? Autres questions enfin, les difficultés récentes du tandem Valls-Hollande viennent elles d'abord d'un déficit d'autorité ou d'un écart entre des engagements électoraux, une politique annoncée et des mesures dont l'une était au programme du Front National (la déchéance de nationalité) et l'autre (la loi travail) parfaitement introuvable dans les envolées anti finance et pro-salariés du candidat Hollande ?

Eric Verhaeghe : La question est surtout de savoir s'ils ont encore la capacité de l'éviter. Il est évident rassurant de se dire que tout cela n'est qu'un jeu et que la raison va finir par triompher. Mais rien ne prouve que la situation soit encore gérable, et beaucoup d'éléments montrent même le contraire. Les mouvements sociaux qui viennent obéissent à une forme de génération spontanée. Ils sont décidés par la base. Ils échappent au contrôle des hiérarchies syndicales. Et ils montrent tous que ceux qui les mènent ou les font au jour le jour placent leurs intérêts catégoriels au-dessus de l'appel à la raison à l'approche de l'Euro 2016. Il faut dire que le calcul selon lequel l'appel à l'unité nationale allait indéfiniment fonctionner relevait de l'erreur manifeste d'appréciation. A force d'expliquer aux grévistes qu'ils jouent avec le feu, les intéressés se sont persuadés assez naturellement qu'ils disposaient d'une sorte d'arme atomique.

Cependant, les Républicains ne risquent-ils pas d'entrer dans une logique de confrontation avec les syndicats qui pourrait lui porter préjudice à horizon 2017 ? Et si le FN sortait de son ambiguïté sur le sujet, cela n'ouvrirait-il pas la voix à un conflit entre les différentes lignes qui cohabitent en son sein ?

Sylvain Boulouque : Dans la mesure où nous ne disposons pas encore des résultats des élections présidentielles de 2017, il est difficile de s'exprimer. Néanmoins, il existe effectivement une confrontation latente. Je doute cependant que, le cas échéant, les syndicats puissent réitérer un mouvement d'une ampleur similaire à celui d'aujourd'hui, particulièrement si celui-ci en venait à s'étirer le long de l'Euro 2016. Si la droite passe et met en place un autre train de réforme, il est fort probable que les syndicats ne soient pas en mesure de continuer à mobiliser : n'oublions pas que cela coûte à un gréviste. Les syndicats seraient probablement épuisés si le conflit perdure.

Le FN, en revanche, fait face à un risque plus important : celui de voir ses deux électorats se scinder complètement. Ce qui fait le ciment entre eux, c'est le discours anti-immigration, mais il est dur de dire si cela permettra de continuer à jouer la partition du grand écart économique et sociale. Cette division claire est incarnée par Florian Philippot et Marine Le Pen d'un côté, notamment face à Marion Maréchal-Le Pen. Là encore, il serait dur de dire qui l'emporterait réellement dans un rapport de force clair.

Erik Neveu : Il me semble que c'est au contraire dans l'opposition aux mouvement actuel et aux syndicats qui le portent que "Les Républicains" ont une forme de cohérence. Ils n'ont guère de soutiens électoraux à attendre des groupes mobilisés. Beaucoup de candidats à la primaire de la droite ont un programme en matière de droit du travail qui est du El Khomri puissance 10. Bruno Lemaire est par exemple clair : élu, il parlerait avec les confédérations syndicales mais ne négocierait pas avec elles. Elles savent à quoi s'en tenir. Quant au FN, ses dirigeants sont moins bêtes que beaucoup de commentateurs ne le suggèrent et, peut être sans l'avoir lu, elles/ils ont compris la maxime du cardinal de Retz : "On ne sort de l'ambiguité qu'à son détriment"... d'où un assez roublard jeu sur le flou, d'où la cohabitation de propos contradictoires, une tonalité sociale et compréhensive chez Philippot, l’hostilité aux grèves et syndicats chez Maréchal-Le Pen. Diaboliser, débiaboliser ? Et si ceux qui ont le pouvoir de questionner les dirigeants du FN sur les grands médias leur demandaient clairement ce que serait leur programme du coté des rapports sociaux, du droit du travail ?

Eric Verhaeghe : C'est un des paris de la gauche, qui consiste à faire comprendre à tout le monde qu'elle est la moins mauvaise solution pour réformer ou pour absorber la contestation sociale latente dans le pays. De ce point de vue, les Républicains jouent une mauvaise carte en préparant un programme de réforme bien pire et "sans espoir" que la loi Travail. Le génie de Hollande est probablement là : il a eu le flair de comprendre que cette loi ne le renforcerait sans doute pas, mais qu'elle mettrait tous ses adversaires en difficulté. Quelles sont les options ouvertes aux Républicains, en dehors de reprocher à Hollande le désordre dans lequel il plonge le pays ? Soit les Républicains dénoncent la loi comme trop molle, et ils annoncent la couleur pour 2017. Soit ils reprochent à Hollande son excès de réformisme et ils se mettent en position compliquée au regard de leur propre programme. Pour le FN, le dilemme est pire, puisque la base du parti a incontestablement des sympathies pour ceux qui s'opposent à cette loi.

Ce 9 juin, Philippe Martinez a  pu indiquer "Je ne suis pas sûr que bloquer les supporters soit la meilleure image que l'on puisse donner de la CGT". Cependant, selon un sondage IFOP pour Atlantico, 59% des français jugent encore le mouvement social "justifié" Du point de vue des syndicats, quelles pourraient être les conséquences d'un tel blocage de l'euro ? En quoi la situation actuelle pourrait être déterminante au regard des prochaines élections professionnelles ? 

Sylvain Boulouque : Pour commencer, il m'apparaît important de souligner qu'il est très peu probable que ce blocage de l'Euro 2016 se réalise. Il y a matière à nourrir de sérieux doutes. Bien évidemment, il pourra éventuellement exister quelques zones bloquées, mais cela sera très marginal. L'impact sur l'Euro 2016 ne pourra qu'être limité. Rappelons aussi qu'à la CGT, les gens aiment le sport et particulièrement le football. Il n'est pas improbable de retrouver des CGTistes dans les gradins des stades accueillant les matchs. La CGT ne revendiquera donc pas des éventuels blocages – du moins, pas sa direction générale. Il n'est pas inenvisageable que certains bastions soient plus radicaux que d'autres et fassent peu de cas du spectacle sportif, mais cela ne viendra pas de la direction de la CGT. Cela restera marginal néanmoins. Sud, en revanche, pourrait être tenté de bloqué la Gare du Nord où il est bien implanté. Ce syndicat a moins de considération pour le football. Mais cela resterait, une fois encore, assez subsidiaire face à l'impact général de 'lEuro 2016.

La situation actuelle n'en reste pas moins déterminante en cela qu'elle marque et souligne clairement la scission définitive entre les deux gauches de France. La gauche radicale n'appellera pas à voter Parti Socialiste aux prochaines élections présidentielles 2017, y compris au deuxième tour. C'est quelque chose de très conséquent : cela signifie que le Parti Socialiste a perdu sa réserve de voix à gauche.

Erik Neveu : Un blocage des transports , des villes aux rues jonchées de poubelles puantes pendant l'Euro mettraient probablement plus de pression encore sur la CGT que sur le gouvernement. Cela peut créer la tentation d'une politique du pire : laisser pourrir, stigmatiser les grévistes comme nouvelle 'anti-France'. Pas sur pour autant que le schéma ne reste pas perdant-perdant : on aura alors l'argument du manque d'autorité, de la France humiliée venant des oppositions de droite et d'extrême droite. Alors ? La phrase citée est importante, le respect des supporters peut être l'alibi d'une décélération. Pas besoin pour décoder ce propos d'un doctorat en lecture entre les lignes : une suspension (ce n'est pas un retrait) du projet de loi-Travail, une négociation rassemblant tous les protagonistes rendrait possible une suspension au moins partielle des grèves. Rien ne dit qu'un consensus en sortirait. Mais l'unique possibilité de désamorcer au moins provisoirement la situation où tout le monde perd, est bien là. 

Et après demain ? La CGT, à un moindre degré FO, aura dans tous les cas conforté une image d'organisation combative. A y bien regarder le chiffre de 59% de soutien, s'il marque une baisse, n'en est pas moins remarquable et troublant pour l'exécutif. Une nette majorité de soutien alors même que les actions en cours engendrent de vraies gênes et que le gros des médias traite d'une manière pas vraiment chaleureuse M. Martinez (comparons avec la Macronmania !). Alors ce durcissement syndical : effets de 'biscottos 'pour produire une image de défenseur des petits qui garantira un carton aux élections professionnelles ? C'est oublier que ces élections se jouent aussi au prisme de milliers de situations locales, de hiérarchies variables d'enjeux (salaires, conditions de travail, sauvegarde des emplois) dans une grande diversité d'entreprises où la situation la plus courante est...l'absence des syndicats. On a peut être là le paradoxe central : c'est n'est pas à trop de syndicats, mais pas assez de syndicalisation que la France doit une part de l'explosivité de ses rapports sociaux. La radicalité, des formes d'action 'par procuration' sont un palliatif au déficit de représentativité.  Et si un autre paradoxe était qu'il faut encourager de façon volontariste la syndicalisation pour sortir des impasses actuelles ?

Eric Verhaeghe : Une hypothèse est que le blocage de l'Euro soit impopulaire, mais je ne le jurerais pas. De ce point de vue, tout le monde joue à la feu. Peut-être que beaucoup de Français, qu'une majorité d'entre eux, tient vraiment à assister aux matchs de football. Mais peut-être, et nous n'en savons rien, qu'une majorité d'entre eux se moque éperdument de cette compétition sportive qui fonctionne comme une extraordinaire pompe à fric, et peut-être qu'une majorité se dégage pour que l'euro ne se tienne pas et que le mouvement social s'installe à sa place. Dans la pratique, il faut se méfier des distorsions de perception. A Paris, dans les médias nationaux, l'Euro apparaît comme une priorité. Mais dans les campagnes, dans les coins de France reculés, là où il n'y a plus d'école, de médecin, de boulanger, la priorité est ailleurs. Elle est dans l'attente d'une autre vie, d'une autre politique, et probablement d'un régime qui prend mieux en compte les attentes de tout le monde. 

Propos recueillis par Vincent Nahan

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