Gouverne-t-on différemment selon son âge, son genre, son orientation sexuelle, ses origines sociales, etc. ?<!-- --> | Atlantico.fr
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En arrivant à Matignon, Gabriel Attal a fait référence à sa jeunesse, les observateurs à ses origines sociales ou son orientation sexuelle.
En arrivant à Matignon, Gabriel Attal a fait référence à sa jeunesse, les observateurs à ses origines sociales ou son orientation sexuelle.
©Ludovic MARIN / AFP

Déterminisme ?

En arrivant à Matignon, Gabriel Attal a fait référence à sa jeunesse, les observateurs à ses origines sociales ou son orientation sexuelle tandis qu’Elisabeth Borne faisait elle allusion à la misogynie dont elle a fait l’objet.

Janine Mossuz-Lavau

Janine Mossuz-Lavau

Janine Mossuz-Lavau est directrice de recherche CNRS au CEVIPOF, Centre de recherches politiques de Sciences Po. Elle est diplômée de l’IEP de Paris et docteure en science politique (1969). Elle travaille notamment sur le genre et la  politique et sur les politiques de santé et de sexualité.

 

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Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Atlantico : L'âge ou le sexe changent-ils le mode de management ? 

Janine Mossuz-Lavau : Ça les change dans la mesure où les femmes sont plus formatées par leur éducation. Les femmes politiques disent qu'elles sont plus à l’écoute, plus observatrices, plus attentives et souvent plus patientes. Il y a évidemment des femmes autoritaires, chef comme les hommes. Mais les femmes ont une relation aux autres différente de celle des hommes du fait de la formation et de la socialisation qu’elles ont eues. Mais ce qu’il faut dire, c’est qu’il n’y a pas un gène du comportement politique qui serait associé au sexe. Ce qu’il y a, c’est une différence entre les hommes et les femmes liée au fait qu’ils ne sont pas socialisés dans le même contexte. Le regard que l’on porte sur les filles et les garçons n’est pas exactement le même. Toute la société fait qu’on prédispose, d’une certaine façon, les garçons et les filles à réagir différemment. 

Raul Magni-Berton : Il y a deux façons par lesquelles l'age ou le sexe jouent un rôle. Prenons l'âge. Tout d'abord, le fait d'appartenir à une génération fait qu'on partage les expériences et les valeurs de cette génération, qu'on fréquente plus de gens de cette génération et qu'on est plus sensibilisé au problèmes de cette génération. Par exemple, il a été montré récemment que les candidats à la Maison Blanche sont âgés, parce qu'ils bénéficient de donateurs plus âgés, qui sont aussi les plus riches. Cela signifie que ces facteurs influencent le mode de management, puisqu'il s'agit de candidats des personnes âgés, à qui ils doivent des choses et qui leur ressemblent.  Deuxièmement, on a observé plusieurs fois que les dirigeants très âgés ont une politique économique moins performante. Cette régularité est couramment expliquée par le fait que l'horizon temporel d'un dirigeant âgé n'est pas le même, et il a plus de raisons d'être court-termiste, puisqu'il mourra plus rapidement. 

L'identité sexuelle est un peu différente dans les détails, mais suit la même logique. Une identité produit plus d'empathie pour les problèmes propres aux membres du groupe auquel on appartient et, réciproquement, attire plus de soutiens issus de cette catégorie. Une vieille étude américaine avait montré, par exemple, qu'il y a plus de chances d'être aidé par un sénateur ou député si on a le même profil racial, que si on appartient au même parti. Et, parfois, ces identités peuvent aussi influencer la personnalité. 

Ces distinctions ne sont-elles pas écrasées par la personnalité très atypique des leaders politiques ?

Raul Magni-Berton : Les leaders politiques n'ont pas une personnalité très atypique, ils pensent comme les gens de leur groupe social ou leur génération. Au contraire, parfois ils sont tout à fait "typiques", puisqu'ils représentent au mieux les personnes qui les élisent et les soutiennent. Par contre, je suis assez d'accord que l'influence de l'age et le sexe sont tout de même pas déterminantes. A l'intérieur d'une catégorie, les gens pensent différemment, et même s'il y a des tendances - qui existent sur certains sujets mais pas tous les sujets - on ne peut pas conclure que tous les membres d'une catégorie pensent pareil, ni que le fait d'appartenir à une catégorie détermine notre manière de diriger, de penser, etc. 
Cela se ressent dans la vie de tous les jours. Si vous rencontrez quelqu'un qui a 20 années de plus ou de moins que vous, et d'un sexe opposé, cela vous permet de déduire quelques éléments de qui cette personne est, mais certainement il vous sera impossible de prédire qui elle est. Dans le cas des leaders politiques, l'impact de l'identité est un peu plus important précisément parce qu'ils représentent des soutiens et produisent des vocations. Mais cela reste tout de même qu'une partie de l'histoire, et, comme nous tous, leur personnalités diverses vont bien au-delà de leur identités. 

Janine Mossuz-Lavau : Oui, bien sûr. Quand on fait de la politique, on doit se mettre dans un « mood » assez particulier. Faire de la politique, qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu’on veut changer les choses, puisque c'est en général pour ça qu'on fait de la politique. Il faut donc avoir du pouvoir. Comme personne ne vous donne le pouvoir, il faut se battre pour l'obtenir. Ce qui oblige aussi bien les femmes que les hommes à se battre pour pouvoir obtenir ce petit bout de pouvoir qui leur permettra d'avoir la capacité d’action pour changer les choses 

Homme, femme, hétérosexuelle ou homosexuelle… Ces distinctions ne sont-elles pas aussi écrasées par le contexte socio politique propre à chaque pays ?

Janine Mossuz-Lavau : Sans doute. Il est certain que dans les sociétés encore très conservatrices et religieuses, les femmes n’ont pas autant de facilités pour s’exprimer et faire de la politique. En Afghanistan, les femmes n’ont pas droit au chapitre. On les empêche même d’aller à l’école. Ce genre de contexte ne favorise pas une uniformisation et l’observation de deux rôles qui seraient tenus de la même façon par les hommes et par les femmes. Alors que dans des démocraties comme la France où on est élevé dans un système égalitaire, les femmes ont de meilleurs résultats scolaires que les hommes. Elles sont plus diplômées que les hommes et elles travaillent. Les enquêtes montrent que les femmes qui travaillent sont plus politisées et un peu plus orientées à gauche que les femmes qui restent au foyer. Celles qui travaillent sont aussi plus proches des comportements des hommes. Il y a beaucoup moins de différences que dans des sociétés plus patriarcales où les femmes sont assignées à des rôles de mère et d’épouse et où les hommes dirigent tout. 

Raul Magni-Berton : Bien sûr. Il y a en politique de nombreux enjeux qui dépassent totalement ces identités. Pour autant, certains enjeux récents sont sensibles aux identités. On peut même dire que le contexte socio-politique influence la façon dont ces identités jouent sur les idées politiques. Par exemple, dans des périodes ou l'homosexualité est largement condamnée ou, au contraire, largement acceptée, l'identité homosexuelle n'est pas une identité très pertinente pour comprendre les choix politiques d'un dirigeant, y compris pour les questions qui ont lien à la famille ou aux moeurs. Mais, en revanche, si le contexte socio-politique est divisé sur cette question, alors le fait d'avoir une identité homosexuelle produit certainement un effet sur l'approche de certains problèmes. Donc, plutôt qu'écraser, le contexte socio-politique influence la façon dont les identités jouent sur les choix politiques des dirigeants. 

Comment les Français jugent l'action en politique ? Est ce qu'ils jugent plus sévèrement, par exemple, l'action d'un homme ou d'une femme ? Sur quels critères ?

Janine Mossuz-Lavau : Les Français sont très ouverts à ça. Ils se sont totalement habitués à avoir des femmes qui exercent des fonctions électives. Dans les enquêtes, les français y sont très favorables. Ils trouvent que ce sont des actrices politiques qui valent les acteurs politiques. D'une façon générale, la population est souvent en avance sur la classe politique pour beaucoup de choses, notamment les mœurs ainsi que sur tout un tas d'opinions et d'attitudes. C'est la société civile qui fait évoluer les politiques.

Raul Magni-Berton : De manière générale, et pour autant que je sache, les jugements des hommes sur les hommes sont plus polarisés. Ils tendent à être moins méchants avec des femmes politiques, mais aussi moins élogieux. Les femmes c'est différent: elles jugent hommes et femmes de façon plutôt similaire. Mais encore une fois, il s'agit de moyennes et les écarts sont faibles. Ça peut expliquer des tendances, mais ça joue marginalement sur les cas individuels. Autrement dit: ça peut expliquer pourquoi, par exemple, certains systèmes électoraux favorisent les hommes, et d'autres les femmes, mais ça n'explique que marginalement la popularité d'un président ou d'une première ministre particulier.

Tous ces critères (l’âge, le sexe etc) changent-ils finalement quelque chose au regard des français sur le personnel politique ?

Raul Magni-Berton : Ça dépend. La démocratie représentative, d'après Madison, était un système où des pauvres élisent des riches. C'était d'après lui sa vertu, puisqu'un représentant, en tant que riche, il protégera les riches, mais en tant que choisi par les pauvres, il protégera les pauvres aussi. L'identité sociale était importante pour lui, pas seulement la personnalité. Pour autant, ce raisonnement est un peu obsolète aujourd'hui, et le fait d'avoir des parlementaires qui diffèrent trop de la population, produit de la méfiance légitime. Les parlementaires sont beaucoup plus riches, beaucoup plus âgés, plus souvent des hommes, il est normal que les abstentionnistes soient plus souvent des pauvres, des jeunes ou, dans une moindre mesure, des femmes. Et quand les pauvres et les jeunes ne votent pas, les politiciens vont moins se préoccuper d'obtenir leur voix, donc aussi de leur faire plaisir. Cela produit un cercle vicieux où les représentants ressemblent de plus en plus à ceux qui votent, et travaillent pour eux. C'est une des raisons pour lesquelles les systèmes représentatifs sont en crise. Mais ici encore, il ne faut pas confondre ces tendances moyennes, avec le jugement sur les individus. Chaque politicien est jugé surtout pour ce qu'il fait. Mais l'ensemble des politiciens sont aussi jugés pour ce qu'ils sont. 

Janine Mossuz-Lavau : Les Français n’en ont rien à faire. Ce qu’ils veulent, c’est que les politiques fassent des choses pour eux. Diminuer la précarité et la pauvreté, augmenter le pouvoir d’achat. Ce sont les principales revendications des français. Le profil des gens qui vont mettre en œuvre ce genre de choses, ils n’en ont rien à faire. Les français regardent les intentions et les résultats. Le fait qu’on ait un premier ministre qui assume son homosexualité ne provoque aucune réaction. Il n’y a pas de scandale. 

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