Goering, l’idole incontestée des foules du Troisième Reich<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre allemand des affaires étrangères nazi Joachim Von Ribbentrop est accueilli à Berlin par Adolf Hitler et le président allemand du Reichstag Hermann Goering, le 28 août 1939.
Le ministre allemand des affaires étrangères nazi Joachim Von Ribbentrop est accueilli à Berlin par Adolf Hitler et le président allemand du Reichstag Hermann Goering, le 28 août 1939.
©AFP

Bonnes feuilles

Le livre de Géraud Jouve, « Mon séjour chez les nazis », est publié chez Nouveau Monde Editions. Décembre 1937. Géraud Jouve arrive à Berlin pour prendre la tête de la prestigieuse agence de presse Havas. Pendant deux ans, il observe la dictature nationale-socialiste de l'intérieur, jusqu’au moment où il est contraint de quitter le pays, quand la Guerre mondiale éclate. Extrait 1/2.

Géraud Jouve

Géraud Jouve

Géraud Henri Jouve, parfois appelé aussi Géraud Jouve, né est un journaliste, résistant, homme politique et diplomate français. Il entra à l'Agence Havas en 1931 dont il fut successivement délégué à Berlin, à Budapest et à Bucarest. Il accompagna le général de Gaulle lors de la Libération de Paris.

Réintégré à l’Agence française de presse (AFP) en avril 1944, il en devint le directeur du 15 août 1944 au 15 janvier 1946. Député SFIO du Cantal (1946-1951), il fut délégué de la France à l’ONU (1952), ministre plénipotentiaire (1953), ambassadeur de France en Finlande (1955-1960) et délégué de l’ONU pour les réfugiés (1960-1966).

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Hitler a une brutalité seconde de neurasthénique. Goering, lui, est naturellement brutal et c’est ce qui le rapproche des foules du Troisième Reich dont il est l’idole incontestée. Il est, de très loin, le plus populaire des chefs nazis et cela s’explique aisément lorsqu’on connaît le bonhomme avec sa rondeur de formes et de manières qui font contraste avec son élocution tranchante. Il est aussi le moins dogmatique des nazis et paraît prendre un malin plaisir à la mascarade dont il est un des plus gros figurants. Alors que Streicher, borné, têtu et sans doute convaincu, jure à tout moment qu’il flaire les Juifs, Goering, lui, dit couramment: «C’est moi qui décide qui est juif.»

Son sens de l’humour lui vaut de nombreuses sympathies. Il prend plaisir aux caricatures dont il est l’objet, se fait raconter les histoires qui courent sur son compte et je sais des fonctionnaires qui lui faisaient leur cour en lui rapportant tout chauds les bons mots qui l’égratignaient.

Par ses emballements subits, ses colères terribles, ses dépressions inexplicables, il se présente comme le plus slave de tous les chefs nazis, c’est-à-dire le plus prussien.

La clique du professeur Karl Haushofer, maître en géopolitique du Führer et du nazisme, met en avant Rudolf Hess, dit Rudi, comme héritier présomptif, parce que Rudi passe pour maniable et bon enfant, tandis qu’avec Goering on ne sait jamais… Cependant, la cabale contre Goering n’ose pas trop se manifester. L’Infant, en dépit de son embonpoint, est agile et a la riposte prompte. Le pauvre Streicher, qui a été rayé du nombre des vivants pour l’avoir gêné, en sait quelque chose!

Le peuple allemand croit se reconnaître en lui, dans ses défauts les plus visibles. On lui sait gré de les étaler, d’avoir la réputation d’aimer les uniformes, la bonne chère et le luxe. De tous les dirigeants nazis que j’ai connus, il est le seul que ses collaborateurs les plus proches aiment sans réserve. Il les informe, il sait leur donner l’impression qu’il les traite en confidents des plus importantes affaires de l’État. Il aime sentir autour de lui la sympathie. Comme la moyenne des Allemands qui se reconnaissent en lui, il est sentimental et cruel.

Son jeu préféré, dans les vastes greniers de sa résidence de Karinhall, à la Schorfheide, près de Berlin, consiste en une installation singulière, maintes fois décrite. J’en tiens le récit de divers personnages, en dernier lieu d’officiers italiens qui étaient dans la suite du maréchal Balbo, lorsqu’il rendit visite à Goering. Un vaste chemin de fer électrique occupe tous les greniers de la maison, aménagés ad hoc. Des voies de garage, des butoirs, des aiguillages, des dépôts de machines, des gares, des passages à niveau, des ponts, des viaducs, des tunnels, rien n’y manque. Au-dessus courent des fils et, sur ces fils, des avions qui lâchent des bombes. Pour jouer, on se couche sur des nattes épaisses, à portée d’un clavier électrique qui commande toute cette installation.

Goering honore diversement les hôtes intimes, seuls admis à assister à ce passe-temps. Balbo, lui, fut admis, distinction rare, à y participer et à presser les boutons. À l’ordinaire, c’est le maréchal du Reich qui se réserve ce rôle. Les locomotives sortent de leur dépôt, elles courent sur les voies ; on peut provoquer des déraillements, des tamponnements, des embouteillages. Le jeu se corse lorsque le maréchal y fait entrer les avions. Il s’agit alors de toucher un pont, un ouvrage d’art en déclenchant la bombe au moment propice. Le comble de l’adresse est atteint lorsqu’une bombe fracasse un train en pleine vitesse.

Quand le maréchal, qui aime recevoir, veut distinguer ses hôtes, il les conduit à Karinhall et leur montre le mausolée colossal élevé à sa première femme. Un degré de plus dans l’intimité et on lui fait les honneurs des bisons. Si le nouveau venu est sympathique, il est admis dans les combles à visiter l’installation du chemin de fer. Goering ne manie ce jouet devant son hôte que s’il veut lui témoigner son amitié. Être admis à s’étendre sur les nattes, aux côtés du maréchal, et à tripoter les boutons qui déclenchent les locomotives constitue un très rare honneur et une marque d’intimité inestimable. Le comble des attentions et de l’honneur est atteint lorsque Goering convie son invité à rivaliser avec lui dans le bombardement des voies. Balbo, dit-on, se montra très adroit et atteignit plusieurs fois les objectifs désignés.

Goering, avons-nous dit, est le plus représentatif des chefs nazis en ce sens que les Allemands se reconnaissent en lui. Karinhall, son mauvais goût, le faste des fêtes, le rapprochement bizarre entre les bisons d’autres âges et le jouet ultra-moderne des combles, ne choque personne en Allemagne. Bien au contraire. On se raconte volontiers tous les détails qu’on a pu entendre sur les merveilles de cette résidence. Le bison, animal totémique du Troisième Reich, tend à ramener l’Allemagne aux premiers siècles de l’histoire germanique, aux forêts vierges de la Germanie, aux mœurs brutales et frustes. Le jouet électrique, avec ses avions et ses bombes, symbolisant la puissance industrielle et militaire de l’Allemagne, évoque l’Allemagne des casernes et des usines. Entre ces deux pétitions du nazisme à la Goering, tout autre qu’un Allemand serait désemparé. La masse allemande sait gré à Goering de si bien marier la préhistoire germanique avec les nécessités et la mentalité de l’âge du fer. Ce ne sont là contradictions que pour nous. De la réserve aux bisons au jouet électrique, le passage pour l’Allemand moyen est facile.

À propos de bison, j’ai entendu raconter dans les milieux diplomatiques de Berlin une histoire qui fait honneur à l’inconscience parfaite de Goering, si ce n’est qu’il voulut s’amuser de la bégueulerie de certains diplomates, ses invités. Ils étaient arrivés à la Schorfheide avec leurs épouses, qui étaient expressément invitées. Goering, fidèle à sa manie, apparut d’abord en un uniforme vert qui tenait à la fois du grand maître de vénerie et du grand maître des forêts du Troisième Reich. Il portait en sautoir un cor de chasse et un coutelas au côté. Dans cet accoutrement, on s’en fut visiter le monument funéraire dédié à Carin Goering. Le maréchal, revenu avant ses invités, les attendait sur la terrasse en costume blanc, évoquant Parsifal. Les invités se demandaient ce que pouvait bien augurer ce changement de décor. On ne tarda pas à être fixé.

Les gardes-chasse, groupés sur la terrasse, firent entendre tous à la fois une mélodie langoureuse. Au signal, on vit des rabatteurs pousser vers le château un superbe bison mâle qui sortit des fourrés en secouant violemment ses fanons. À peine était-il arrivé en vue, sur la pelouse, qu’une lourde charrette, montée sur des roues très basses, portant une caisse à claire-voie, fit son apparition sur la pelouse. Des gardiens s’avancèrent au galop, dételèrent les bœufs qui avaient traîné la charrette et les emmenèrent, pendant que d’autres ouvraient la caisse et poussaient dehors une belle bisonne, toute ébahie de ce voyage et de cette société. Le taureau avait déjà reniflé la nouvelle venue et la salua de quelques coups de sabot qui firent voler les mottes autour de lui. La société, médusée, attendait sans encore comprendre. Après maints reniflements, maintes ruades plus violentes les unes que les autres, après quelques meuglements sourds, toujours plus sourds, le taureau s’approcha d’un air déterminé vers la bisonne que les gardes avaient enfin tirée de sa caisse et qui paissait distraitement le gazon trop soigné. À ce moment-là, les dames s’éclipsèrent, battant en retraite précipitamment, pour ne pas être offensées par le spectacle.

Goering ne marqua aucun étonnement ou regret de l’incident. Il supputait que son troupeau de bisons avait des chances de s’accroître et, le plus posément du monde, quand il en eut la certitude, il rejoignit ses invités pour les introduire dans les salles de réception.

J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec Goering à plusieurs reprises durant mon séjour en Allemagne, mais je garde particulièrement vivantes dans ma mémoire les conversations que j’ai eues avec lui, à Munich, le lendemain du fameux accord qui consacrait la ruine de notre système d’alliances à l’Est et la déchéance de notre esprit offensif. Tous les Français présents à Munich, même Daladier et François-Poncet, notre ambassadeur en Allemagne, ressentaient l’accord de Munich comme une défaite ignominieuse qui entraînerait, à bref délai, d’autres compromis véreux. Le télégramme de félicitations de M. Étienne Flandin à Hitler fut accueilli comme un soufflet supplémentaire. Depuis ce jour le grand Flandin ne fut plus appelé que «le petit télégraphiste» et les Allemands eux-mêmes, en général très sensibles aux manquements à l’honneur national, trouvèrent la manifestation de Flandin «déplacée ». Malgré tous ses efforts pour être invité en Allemagne, au moment où se traitait la question du rapprochement, Flandin ne put venir à Berlin, les Allemands, alors, le méprisant trop pour daigner se servir de lui.

Goering, à Munich, habitait traditionnellement l’hôtel des Quatre Saisons, connu dans toute l’Allemagne pour sa cuisine. Daladier et la délégation française avaient été logés au même hôtel, ce qui facilitait les entrevues. Goering, entre les séances des délégations, promenait dans le hall de l’hôtel son ventre imposant, ceint d’un large ceinturon qui s’agrippait à grand-peine au point le plus saillant et que le maréchal, d’un mouvement devenu automatique, remettait en place de temps en temps. Le maréchal était suivi d’une véritable cour et son cortège contrastait péniblement avec celui de Ribbentrop, alors à peu près isolé et qui, bien que ministre des Affaires étrangères, n’était pas admis à suivre toutes les séances des big four. Goering n’en manqua pas une, toujours flanqué de von Neurath; ceci faisait doublement enrager Ribbentrop qui venait d’enlever à Neurath le porte-feuille des Affaires étrangères.

Le lendemain de l’accord qui avait été conclu tard dans la nuit, Goering me fit appeler par son aide de camp et biographe pour me donner une déclaration destinée au public français. Je consentis sous réserve d’en référer au président Daladier qui pouvait juger intempestive une déclaration d’amitié de Goering au lendemain d’un accord qui dépeçait notre plus fidèle alliée, la Tchécoslovaquie. Lorsque je lui apportai, plus tard, la déclaration de Goering et que je la lui lus, Daladier, qui était entièrement prostré, la tête entre les jambes dans un fauteuil bas, l’approuva d’un signe de tête. Goering assurait le peuple français de la profonde sympathie du peuple allemand. Il reprenait le refrain favori des nazis sur l’estime que se portent naturellement tous les anciens combattants qui ont appris à se connaître sur les champs de bataille. Bref, une déclaration de pure forme mais qui, dans sa pensée, devait préparer le terrain à la visite qu’il comptait faire bientôt à Paris.

Déjà les aides de camp et la suite du maréchal me parlaient ouvertement des bons gueuletons que nous allions faire ensemble à Paris, lorsque le maréchal y scellerait, au nom du Troisième Reich, l’amitié, que dis-je? l’alliance avec la France. Chamberlain était parti de Munich le matin même, brandissant puérilement la déclaration anglo-allemande qu’on lui avait remise pour lui rendre possible le retour à Londres mais, surtout, pour exciter l’envie de la France, lui donner la sensation de l’isolement, l’amenant ainsi à désirer hystériquement une alliance avec le Reich. Cette déclaration germano-anglaise constituait, du point de vue allemand, un jeu assez habile. Les hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay, qui craignaient d’être accueillis au Bourget avec des œufs pourris, tremblaient à la pensée que Chamberlain rentrait avec une déclaration d’amitié et qu’eux-mêmes allaient revenir les mains vides.

Cependant, dans l’entourage de Goering, on laissait déjà percer à ce moment que la déclaration donnée à Chamberlain n’était qu’un papier sans valeur, qu’un hochet dans les mains d’un vieillard, alors que le véritable document d’amitié, la sainte-alliance, allait être conclue sous peu avec la France. Les dirigeants nazis rêvaient alors sérieusement de gagner la France à cette alliance. Ils la voyaient ébranlée et déçue. Après le coup à l’estomac de Munich, selon la meilleure méthode nazie, ils espéraient profiter du choc et du désarroi de l’adversaire pour en faire un allié qui, à tout prendre, valait bien pour eux l’Italie.

La question était compliquée par la situation intérieure de la France et surtout par les zizanies entre Goering et Ribbentrop qui se disputaient la direction de la politique étrangère. Goering barrait alors nettement Ribbentrop.

Extrait du livre de Géraud Jouve, « Mon séjour chez les nazis », publié chez Nouveau Monde Editions

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