Gilles-William Goldnadel : « Après le jeune mâle blanc qu’incarne Israël aux yeux de ses ennemis, c’est au vieux mâle avachi européen que les mêmes s’en prendront »<!-- --> | Atlantico.fr
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Cérémonie d'hommage aux victimes françaises de l'attaque terroriste du Hamas contre Israël le 7 octobre, aux Invalides à Paris, le 7 février 2024.
Cérémonie d'hommage aux victimes françaises de l'attaque terroriste du Hamas contre Israël le 7 octobre, aux Invalides à Paris, le 7 février 2024.
©GONZALO FUENTES / POOL / AFP

L'Occident attaqué

Entretien avec Gilles-William Goldnadel après la parution de son dernier ouvrage : "Journal de guerre : C'est l'Occident qu'on assassine".

Gilles-William Goldnadel

Gilles-William Goldnadel

Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Il a notamment écrit en 2024 "Journal de guerre : C'est l'Occident qu'on assassine" (éditions Fayard) et en 2021 "Manuel de résistance au fascisme d'extrême-gauche" (Les Nouvelles éditions de Passy). 

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Atlantico : Dans votre livre Journal de guerre : C'est l'Occident qu'on assassine (publié chez Fayard) vous exprimez toute la gamme des émotions qui vous ont traversé depuis le 7 octobre. C’est un très succès de librairie. Vous attendiez-vous à une telle réception ?

Gilles-William Goldnadel : Ce livre a été une véritable cure. Et même si je ne suis pas encore guéri, cet ouvrage a eu une vertu anesthésiante après le sentiment d’humiliation qu’ont provoqué en moi les massacres du 7 octobre.

Vous me demandez ce qui m’a étonné avec ce livre, et bien je crois que je me suis aperçu moi-même que j’avais bâti ma vision d'Israël sur la fierté retrouvée. Je suis un Juif d'avant la Guerre des Six Jours et je peux vous dire que mes grands-parents ne chantaient pas par-dessus les toits qu'ils étaient juifs. Ma grand-mère maternelle disait de son nom qu'il était alsacien. Il n'y avait pas une grande fierté d'être juif au sortir de la deuxième guerre mondiale.

Ce qui a redonné de la fierté aux Juifs, c'est la Guerre des Six Jours. Les Juifs du monde entier s'enorgueillissaient à peu de frais. Les Juifs avaient perdu leur voussure métaphysique. Le sionisme n'est pas un philosémitisme qui se contenterait de protéger les Juifs des persécutions, il entend véritablement transformer le juif diasporique. Le 7 octobre, pendant des heures interminables, je me suis retrouvé plongé dans ces moments où les Israéliens, visés en tant que juif par le Hamas, se sont à nouveau trouvés contraints de se comporter comme des Juifs ne pouvant pas se défendre. Je l'ai réellement très mal vécu, en dehors même d'un sentiment, que je n'avais pas perdu, de la fragilité d'Israël.

Dans mon livre cela dit, je confie que je n’avais pas attendu le 7 octobre pour ne pas être extrêmement heureux. La vision de ces manifestations dans la Tel-Aviv gay friendly et dans la Jérusalem austère, s'affrontant l'une l'autre, se détestant et n'ayant aucune préoccupation pour leurs ennemis, m'avait profondément déprimé déjà.

Je mentirais bien entendu en vous disant que j'avais prévu le 7 octobre. Dans mes pires cauchemars, je ne l'avais pas prévu.

Vous parlez au juif le moins shoahtique du monde. Je n'aimais pas beaucoup quand ma pauvre mère me parlait avec un certain pathos de nos parents déportés. J'étais plutôt fervent d'un deuil austère. Je n'aimais pas les fictions autour de la Shoah même si j'ai constaté à quel point -pensez au film de Spielberg par exemple-elles ont été éloquentes pour expliquer au monde ce qu'était la Shoah.

Le 8 octobre au matin, je n’ai pas pu m'empêcher, cela s'imposait à moi, de parler d'islamo-nazis, de parler de pogrom, de reproduire un vocabulaire ayant trait à la Shoah, ce qui montre le désarroi profond qui était le mien. Ensuite, la riposte israélienne a montré que l'Israélien savait se défendre.

Dans votre livre, on ressent cette émotion qui surgit. On connaît le Gilles-William Goldnadel bretteur, au tempérament de feu sur les plateaux de télévision et d’un seul coup, on voit poindre l'expression de cette douleur, de cette angoisse, de cette fragilité. Qu'est-ce qui vous a frappé dans la manière dont les gens l'ont reçue ?

Je n'ai jamais été, même dans les premières heures, dans l'abattement. Mais la tristesse la plus profonde, oui.

Les miens étaient en Israël, mes enfants. J'avais peur. Je craignais que le Hezbollah s'en mêle et que je ne sois pas sur place pour mourir avec eux. C'était aussi un sentiment extrême. Fallait-il que je reste ou que je parte ?

Si je pars, c'est pour être avec eux et éventuellement mourir. Et je suis resté pour me battre. Dans ce journal de guerre, je fais la guerre comme je sais la faire, avec des mots, avec des images.

Vous évoquez cette envie de partir auprès des vôtres. L’antisémitisme traditionnel, celui de l’extrême-droite notamment, fait souvent le procès aux Juifs de la double allégeance ou de l'allégeance cachée. Qu'avez-vous envie de leur répondre justement sur ce point-là ?

Cela fait partie de mon grand débat avec Eric Zemmour. D'une certaine manière, il me reprochait une sorte de double allégeance. Nos conversations et son voyage en Israël ont fait qu'il modère un peu les choses. Mais j'ai toujours reconnu et avoué que j'avais deux amours et que je connais des hommes qui aiment deux femmes et j'en connais d'autres qui n'en aiment aucune. Je préfère les premiers aux seconds. Et nous sommes dans un monde où il est possible d'aimer plusieurs fois. En tous les cas, une chose est certaine, j'écris dans mon livre et j'explique à Eric Zemmour, lorsqu'il revient d'Israël, que je préfère en ce moment Israël à la France en raison de la fragilité d'Israël. Mais je préfère les Français aux Israéliens. Je n'aime pas beaucoup la société israélienne. Je préfère la société française sur laquelle j’ai pourtant beaucoup à dire. Au moins, savons-nous encore ici dire bonjour, au revoir et merci. Chose qui n'a jamais existé en Israël. Il n'empêche que j'ai un profond amour pour la France et Israël et j'ai un profond amour pour les Français et les Israéliens. Vous savez maintenant mes dilections.

Cela vous dérange-t-il de mener parfois des combats avec des gens de droite qui finalement sont capables de vous faire ces mauvais procès sur vos liens avec Israël ?

Non, cela ne me dérange pas. Je sais qui je suis. Je ne nourris aucun complexe par rapport à eux. Je pense défendre la France, peut-être quelques fois mieux qu’eux. Je n’ai aucune espèce d’état d'âme. Lorsque j'ai présidé France-Israël, lorsque j’ai succédé à l'amiral Darmon, j'avais inventé une formule qui était « Quand je défends la France, je défends Israël. Quand je défends Israël, je défends la France ». Je suis un défenseur du monde occidental, de l'Occident libre et démocratique, et même et même un grand défenseur, et même, d'une certaine manière, de l'homme blanc. Cela m'embête de vous le dire comme ça parce que je ne me suis jamais senti blanc.

Mais quand même homme (rires…)

Oui, ça il n'y a pas de doute. Je suis un défenseur du mâle blanc sans complexe. Avant le racisme anti-blanc, je ne me sentais pas blanc. J’ai raconté dans un autre livre que lorsque j'étais petit, nous nous sentions comme des racisés et donc, d'une certaine manière, plus près des Noirs et des musulmans. Or, le juif n'est plus considéré comme un racisé maintenant mais comme un super blanc.

Les antisémites nous considéraient comme des métèques.

Au tout début de mes combats publics, je pensais davantage à Israël. Ensuite, avec la montée de l'immigration, j'ai pensé davantage à la France.

Mes préoccupations, mes peurs se sont succédées. Il y a trois ou quatre ans, lorsque je donnais des conférences en Israël, les Franco-israéliens qui venaient me voir à la fin de mes interventions ne me parlaient que de la France. Ils étaient beaucoup plus inquiets pour la France que pour Israël. Les Franco-israéliens sont encore extrêmement attachés à la France.

Un ami à moi, franco-israélien, m'a demandé de préfacer un livre qu'il avait fait sur les congrès sionistes dans le monde. Il y a un discours qui m'a beaucoup touché et même surpris dans ce livre. Ce discours a été prononcé dans un congrès sioniste avant la création d'Israël, en 1934 ou en 1935. Un délégué hongrois parle au congrès sioniste et annonce qu'il va faire son alyah dans les tout prochains jours. Il dépeint la situation en Hongrie sous le joug d'un antisémitisme virulent. Il ajoute pour terminer, des larmes dans les yeux, qu’il part en Israël mais que cela ne l'empêchera jamais de continuer à aimer la Hongrie et les Hongrois. Et dans la salle, tous les délégués sionistes se lèvent pour l'applaudir.

Quand vous êtes un défenseur de l'État nation, vous considérez que c'est la meilleure structure pour défendre votre peuple. Quand vous défendez les Etats nations, vous aimez les États nations. Je ne crois pas du tout que le nationalisme soit vecteur de guerre. C’est plutôt le fait de refuser le nationalisme de l'autre qui peut être vecteur de guerre.

Je n'aurais pas du tout été opposé au fait que les Palestiniens veuillent un État nation. Mais ils n'ont jamais été intéressés par ça. Ils ont toujours considéré l'ensemble de la Palestine comme arabe et musulmane. Ils n'ont jamais été intéressés par la création de l’Etat nation.

Je n'ai jamais rencontré de partisans d'un Etat nation arabe de Palestine. Si on en avait rencontré, la paix serait intervenue depuis longtemps. Au-delà de la France et d'Israël, je suis un profond défenseur de l'identité au sens noble du terme et donc de l'État nation.

Vous parliez de votre enfance et de ce sentiment d'avoir été racisé, comme ce que décrivent certains aujourd'hui. Mais dans votre vie publique, on a surtout connu justement un Gilles-William Goldnadel au tempérament guerrier, menant un combat incessant dans nos guerres idéologiques. Dans ce livre, j’y reviens, vous révélez une face différente, en tout cas pour le grand public justement, plus dans l'émotion, la peur, l'inquiétude ou la colère parfois. Dans la manière dont ce livre a été reçu, dans les réactions qu'il a suscitées ailleurs, dans les médias ou chez les gens qui vous en parlent, qu'est-ce qui vous a le plus frappé ?

Même quand je me présente comme un bretteur, je n'ai jamais caché ma sensibilité. Cela est indétachable de l'être que je suis. Je n'ai jamais joué les durs. L'intelligence appelle à la sensibilité. Lorsque je fais part de mes états d'âme sans barguigner sur ma douleur, sur ma désolation, je n'ai pas l'impression de m'abaisser.

Comme je ne me présente pas dans les débats ou dans mes écrits comme un fier-à-bras, je n'ai pas l'impression que cela ait étonné grand monde, mais je peux me tromper.

Le succès de ce livre prouve son bien-fondé. Qu'est-ce que je dis dedans ? Je dis que les Français et les Israéliens sont dans le même bateau pour des tas de raisons, parce que Israël est attaqué d'une certaine manière, comme un jeune mâle d'Occident qui se défend bec et ongles et ensuite on finira avec le vieux mâle décadent en Europe.

C’est ce qu’a cru le Hamas finalement qui pensait qu'Israël était avachi comme le reste de l'Occident…

Bien sûr et d'une certaine manière, le Hamas n'avait pas tort au regard de la manière dont les Israéliens se sont comportés avant la guerre…

Le Hamas avait quand même mal anticipé le sursaut de la société israélienne, non ?

La réalité est plus compliquée que cela. Le monde est un village. En Israël, des gens avaient cru devoir y puiser justement la satisfaction d'être dans un État nation qui savait se défendre. Le wokisme existe aussi en Israël. L’unité recouvrée du pays est cher payée.

Sommes-nous vraiment dans le même bateau au sens où il y a deux millions d'Arabes-israéliens en Israël qui, après le 7 octobre, ont fait le choix très clair d’Israël. Et ils l'ont dit probablement plus que ça n'avait jamais été dit auparavant. Avez-vous l'impression que les choses soient aussi claires pour toute une partie des immigrés installés en France ?

Les Français ont compris que nous étions dans le même bateau occidental, et j'ose dire blanc. Il y a eu une saine réaction d'empathie pour la douleur d'une grande partie de la société française, à l'exception notable de la gauche qui, avec une certaine cohérence, détestant l'Etat nation français occidental, déteste encore plus l'Etat nation occidental d'Israël pour des raisons qui touchent à ce que j'appelle, sinon l'antisémitisme, au moins le philosémitisme pathologique déçu, en deuil du juif en pyjama rayé et détestant avec une belle conséquence le juif en uniforme kaki qui a l'audace non seulement de se défendre, mais de tuer plutôt que d’être tué sans combattre. 43 % de la population musulmane de France tient un mouvement qui décapite les enfants pour un mouvement de résistance, c’est perturbant, oui.

Mais je ne sais pas faire la part entre l'islamisme antisémite et la même détestation de l'Occident travaillée par les gauchistes. Le clivage dépasse celui de l’immigration. 

L’islamisme déteste l'Etat-nation aussi et fantasme sur l’Oumma, la communauté des croyants du monde entier...

Bien sûr. Mais quand on a été élevé à détester le Français, le beauf français avec son béret pétainiste, on est assez ouvert à détester encore plus le juif en uniforme kaki qui tue des musulmans. Il n'empêche que dans ma construction personnelle, j'en veux infiniment plus aux amis de Jean-Luc Mélenchon qu'aux islamistes des banlieues. Peut-être ai-je tort, mais mon ressenti est celui-là.

Il y a une bonne part de racisme chez les amis de Jean-Luc Mélenchon qui tendent à essentialiser les musulmans de banlieue ou d'ailleurs, en considérant que mécaniquement ils ne devraient avoir aucune empathie pour les Juifs...

Mais bien évidemment. Avouons que pour certains, ils ne se sont pas trompés, L'analyse n'était pas erronée.

Mais pas pour tous et cela fait une grande différence, bien sûr, sur le regard que l'on peut porter sur la société française dans son ensemble. Pour les Arabes israéliens, cela a été un moment où ils ont fini par faire un choix vraiment clair d’allégeance et de préférence. N'êtes-vous pas d'accord ?

Il y a une part de la société des banlieues qui a été dressée à détester le flic français et l'Israélien en kaki, ce qui est cohérent dans la détestation. Les Arabes israéliens ont une grande chance. Ils sont capables de comparer leur sort avec le sort des Palestiniens d'à côté. La femme arabe-israélienne sait qu'elle vit de manière infiniment plus libre que sa voisine palestinienne. L'homme arabe-israélien sait qu'il vit dans une bien plus grande prospérité que le Palestinien d'à côté. Et d'autre part, ils savent bien que, contrairement à ce qu'on leur raconte, ils ne vivent pas dans un pays d'apartheid. Beaucoup sont médecins, beaucoup sont pharmaciens. On ne les frappe pas dans la rue. Ils ne connaissent pas le mépris. Ils sont les mieux placés pour savoir que la société israélienne, que je trouve critiquable, n’est pas aussi noire qu'on veut bien le dire. Je pourrais critiquer les avocats israéliens ou la proportionnelle intégrale, et plus encore les politiciens israéliens pendant des heures mais toutes ces critiques n’enlèvent pas sa légitimité démocratique à Israël. 

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