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Les GAFAM... et tous les autres : quelles seront vraiment les entreprises françaises touchées par la taxe Le Maire sur les services numériques ?
©BERTRAND GUAY / AFP

Nouvelle taxation

Depuis plus d’un an, le Ministre de l’économie, Bruno Le Maire, appelle de ses voeux à une taxation des géants du numérique. La proposition mise sur la table propose de créer une taxation du chiffre d’affaires de plus de 180 entreprises. Plus de 50 d’entre-elles sont européennes. On ne connaît pas leur nom.

Giuseppe de Martino

Giuseppe de Martino

Franco-italien, Giuseppe de Martino a commencé sa carrière chez Arte avant de prendre la Direction Générale de DailyMotion jusqu’à sa revente à Vivendi. Il dirige depuis Loopsider, le media pureplayer qu’il a fondé. Outre sa carrière de dirigeant d’entreprise, il fut le Président de l’Association des Fournisseurs d’accès internet, puis membre du Conseil du Numérique, et préside aujourd’hui l’Association des Services Internets Communautaires

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La révolution numérique a bouleversé de nombreux secteurs de l’économie. Elle a poussé les constructeurs automobiles à se transformer pour penser leurs véhicules comme des terminaux connectés. Elle a transformé le secteur de l’assurance et de la banque en super-calculateurs des données. Elle a poussé les acteurs de la presse écrite à se tourner vers la vidéo et la production de contenus interactifs. 

Le numérique est aussi source de disruption pour l’Etat. Dès lors qu’un service peut être proposé partout dans le monde depuis un seul pays, cette révolution a mis au jour les faiblesses des politiques fiscales des cinquante dernières années. Le droit fiscal repose sur la taxation des bénéfices générés par la valeur créée par l’entreprise, au lieu de création de cette valeur. La valeur, historiquement, ce sont les intangibles: l’ensemble des marques, technologies, savoir faire et droit attachés à l’ensemble des services créés. Leur localisation: c’est le lieu où sont situés les ingénieurs, les hommes et les femmes qui conçoivent l’ensemble des logiciels. 
Comme le relevaient Pierre Collin et Nicolas Colin dans un rapport remis au Ministre de l’économie en 2013, le numérique met en exergue les mécanismes d’optimisation fiscale créés et proposés par les divers États afin d’attirer plus d’intangibles. Mais surtout, le numérique a mis la France devant le fait accompli: notre échec de n’avoir pas pu attirer au cours des vingt dernières années de grands centres décisionnaires - comme l’Irlande le fait depuis un demi-siècle, ou de ne pas avoir été en mesure au cours des dernières années de créer une synergie entre les centres universitaires, les entreprises, les startups à l’instar de la Californie ou de Shanghaï.
En parallèle des réformes initiées en 2012 au plan international par l’OCDE permettant ainsi d’éviter toute double imposition, le Ministre de l’économie; Bruno Le Maire, souhaite l’adoption rapide d’une taxe sur les services numériques au plan européen. Selon les éléments communiqués, il s’agirait d’une taxe de 3% sur le chiffre d’affaires des géants du numérique destinée à compenser - peut être temporairement - l’absence de redistribution équitable de la valeur créée par le numérique. 
Seulement, et derrière les grandes déclarations, un élément central manque ; l’évaluation de l’impact réel de cette mesure. Comme le rappelaient des députés de la majorité dans un rapport de septembre 2018 (http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1236.asp#P2433_505406), “ce traitement en silo, selon les mesures prises, risque d’avoir un contrecoup massif en étendant – involontairement – l’application des mesures en question à l’ensemble des secteurs économiques ou, inversement, à différencier de façon injustifiée certains acteurs par rapport à d’autres”. Il appelaient donc à une prudence - jusqu’alors non suivie d’effets. 
Tout d’abord quelles sont les entreprises qui seront redevables de cette mesure ? Et selon quels critères précis? Si le ministre de l’économie ne mentionne que les “géants du numérique”, aucune liste précise ne circule. Un quotidien allemand a bien publié une liste de 120 entreprises incluant de nombreuses entreprises européennes comme Criteo, Ubisoft, Axel Springer ou Zalando. De son côté, le rapport parlementaire évoque environ 180 entreprises, dont 90 américaines, 35  asiatiques et … plus d’une cinquantaine européenne. 
Or, nul ne sait qui sont les 50 entreprises européennes - et sans doute françaises - qui sont aujourd’hui dans le périmètre de cette mesure fiscale. Les députés de la majorité n’ont pas été en mesure d’en obtenir copie. Outre Criteo et Ubisoft, va-t-on aussi rencontrer des acteurs comme Orange, BlaBlaCar, Chauffeur-Privé ou même Le Figaro qui réalise aujourd’hui plus de 50 millions de chiffres d’affaire grâce au numérique. 
Il convient d’appeler aujourd’hui à ce que cette transparence ait lieu et que la liste des 180 entreprises potentiellement concernées soit rendue publique. Lors de la publication dans un journal allemand d’une première liste, la Commission européenne a tout de suite rappelé que “la majeure partie des acteurs assujettis ne sont pas parmi les noms cités” - malgré la présence de tous les géants du numérique. Le doute persiste. Le flou s’installe. 
Car, à terme, ce sont aussi les effets de la taxe sur les services numériques voulue pour le Ministre de l’économie qu’il faut analyser et étudier. Comme le rappelaient les députés de la majorité dans leur rapport: “il n’est pas impossible (et cela risque même d’être probable) que les entreprises acquittant la TSN répercutent son coût sur les clients, faisant finalement peser sur eux la charge nouvelle”. Or, faute de connaître les redevables, ils n’est pas possible de déterminer l’impact que cette mesure risque d’avoir sur les entreprises françaises - clientes de ces futurs redevables. 
Face à cette mesure, véritable taxe à tirer dans les coins, les deux questions principales demeurent. Est-ce que la France demeure mobilisée pour faire évoluer le cadre juridique international dans un délai court ou préfère-t-elle envoyer un signal à ses partenaires internationaux que l’unilatéralisme est la meilleure approche ? Et au-delà, comment faire revenir la France parmi les “Digital Ten”, les 10 pays les plus attractifs pour le numérique. 
La souveraineté numérique et la capacité à développer des acteurs économiquement forts passe par une accélération des politiques d’innovation reposant sur des partenariats forts entre des entreprises européennes et internationales. Sans Microsoft, Qwant n’existerait pas. Sans Boeing ou Embraer, Air France ne serait pas aussi compétitif. Sans Facebook, Google, eBay ou Rakuten, des centaines de milliers de PME et TPE ne pourraient pas développer leur activité voire exporter à moindre coût. Monsieur le Ministre, le progressisme, ce n’est pas le protectionnisme. 

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