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Frappes sur la position stratégique de Lattaquié : l’attaque rebelle qui annonce un avenir plus sombre que prévu pour les Russes en Syrie
©Reuters

Symbole

La ville de Lattaquié, en Syrie, a essuyé plusieurs frappes terroristes ce mardi 10 octobre. En fin d'après-midi, on comptait une vingtaine de morts et une soixantaine de blessés, mais le bilan s'est alourdi en soirée. La ville accueille la base aérienne de Mumayimim, occupée par les forces russes déployées par Vladimir Poutine pour épauler l'armée régulière syrienne.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Une vingtaine de morts et une soixantaine de blessés sont à déplorer ce mardi 10 novembre, lors du pilonnage de Lattaquié en Syrie. La ville accueille une base militaire Russe, fraîchement engagée dans le conflit, notamment au travers de son aviation. Faut-il y voir des frappes de revanche ? Quelle est la place pour la symbolique, dans le cadre d’une attaque contre les Russes ?

Alain Rodier : Cette frappe ne visait pas la base aérienne de Mumayimim (située à une vingtaine de kilomètres au sud de la ville) où sont stationnées les forces aériennes russes depuis la fin septembre. Ce serait l'université de Tishreen située en plein centre ville qui aurait été atteinte par plusieurs obus faisant au moins 42 tués et plus de 100 blessés. Le nombre de victimes s'explique car les tirs ont eu lieu dans une zone densément peuplée. Plus que la base utilisée par les Russes, c'est le fief du régime qui est visé. Il est important pour les rebelles de signifier au pouvoir qu'il est menacé partout, même dans son berceau côtier.

Par ricochet, les Russes sont bien sûr aussi ciblés plus sur le plan du moral surtout après l'attentat (non encore officiellement confirmé) survenu sur un de leurs avions de ligne au Sinaï. A noter que la base de Mumayimim est solidement défendue par des troupes au sol russes (dépendant de l'infanterie de Marine) qui peuvent délivrer des tirs de contre-batteries grâce aux pièces d'artillerie qui y ont été déployées sans parler de la riposte air-sol qui ne manquerait pas de se produire en cas d'incident.  

L’aviation russe soutient les troupes au sol de l’armée régulière dans la bataille pour Alep. Dans quelle mesure cet affrontement est-il déterminant pour comprendre les frappes qui ont eu lieu sur Lattaquié ce 10 novembre ?

Depuis le début des bombardements russes qui ont eu lieu à partir du 31 octobre, les forces loyalistes ont repris l'offensive sur plusieurs fronts. Le plus proche se trouve au nord-est de Lattaquié avec pour objectif final la localité de Jish Al-Shugour. Mais les forces rebelles sont bien retranchées sur les hauteurs et il sera très difficile de les déloger.

Un des plus importants fronts est la ville d'Alep située au nord-ouest de la Syrie. Les combats acharnés ont pris de l'ampleur à partir de la mi-octobre, les forces gouvernementales attaquant simultanément vers le nord-ouest, le sud-ouest et l'est de la ville. Le 10 novembre, elles ont effectué la jonction avec la garnison de la base aérienne de Kweires située à l'est de la ville. Forte d'environ 300 combattants, elle était assiégée depuis 2013. Globalement, la bataille d'Alep est très coûteuse en vies humaines puisqu'en trois semaines, les "conseillers iraniens" emmenés par le major général Qassem Suleimani, le chef de la force Al-Qods des pasdarans présent en personne sur place, ont perdu 42 hommes dont plusieurs officiers généraux. Rien que l'opération ayant permis de dégager Kweires aurait officiellement coûté la vie à 57 militaires et miliciens syriens sans compter une bonne centaine de blessés.  

A plus d’une occasion, le Moyen-Orient a représenté un bourbier pour les forces américaines et russes. Qu’en est-il de la Syrie ? Y a-t-il un risque que les troupes russes s’enferrent dans ce conflit sans pouvoir en sortir ?

On y va tout droit. En effet, les rebelles ne se laissent pas faire. Ils ont repris le terrain perdu au début octobre au nord de Hama situé au sud de la province d'Idlib où ils sont présents en force. Ils se sont emparés notamment de la ville de Moreq coupant l'autoroute qui relie Hama à Alep.

Daesh tente, pour sa part, de faire une percée au sud de Homs menaçant l'axe Homs-Damas. Simultanément, les forces régulières syriennes poussent un peu plus au nord vers Palmyre. La prise de cette ville serait un succès psychologique de première importance.

A noter que depuis l'arrivée des Russes, les forces insurgées ont reçu de nombreux missiles anti-chars d'origine américaine -vraisemblablement fournis par l'Arabie saoudite-. Ils ont causé d'énormes dégâts occasionnant la perte de 123 blindés gouvernementaux en octobre. De plus, la menace qu'ils font peser ralentit considérablement les mouvements de chars. 

Vladimir Poutine déploie ses forces partout en Syrie. Quelles sont les bases qui devraient recevoir des troupes ? Quels sont les objectifs qui nécessitent un tel déploiement ?

La Russie déploie désormais ses hélicoptères de combat sur plusieurs bases afin qu'ils puissent appuyer au plus près les forces au sol. Pour aider l'offensive qui a lieu sur Palmyre, des voilures tournantes ont été dépêchées sur la base de Tiyas située à une vingtaine de kilomètres de la cité antique. Afin de bloquer l'offensive de Daesh dans la province d'Homs, des hélicoptères ont rejoint l'aéroport de cette ville et la base aérienne de Sayqal située à 70 kilomètres à son sud-ouest. Des appareils ont aussi été envoyés vers Hama pour appuyer les forces loyales qui se trouvent en difficulté au nord de cette localité.

A la différence des frappes de la coalition emmenée par les Etats-Unis, l'aviation russe (dont les hélicoptères) volent très bas pour délivrer les tirs en appui direct des troupes au sol. C'est un miracle si aucun appareil n'a pas encore été abattu car ils évoluent à portée des armes d'infanterie. Avec le temps, de nombreux aéronefs russes qui sont soumis à de rudes conditions d'emploi, vont être bloqués au sol pour révision et entretien. Si Moscou veut maintenir le rythme de ses frappes (une quarantaine par jour), il va falloir envoyer d'autres appareils afin qu'ils prennent la relève. De plus l'éparpillement du dispositif va rendre les installations au sol plus vulnérables aux attaques rebelles. Enfin, les forces syriennes, même épaulées par les pasdarans iraniens, le Hezbollah libanais et différentes milices chiites irakiennes, sont à bout de souffle après quatre ans de guerre. De plus, elles sont en sous-effectifs par rapport à la tâche qui leur est confiée. Si le président Poutine veut obtenir des résultats tactiques sensibles sur le terrain, je ne vois pas comment il va pouvoir éviter d'avoir à déployer des forces combattantes au sol. Et là, on sait quand cela commence, mais pas quand et comment cela se termine. L'exemple afghan est dans toutes les mémoires.

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