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François Kalfon : "Emmanuel Macron prétendait augmenter le champ des possibles pour les Français : élu, il les précarise tout en confortant ses amis milliardaires"
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Grand entretien

Pour François Kalfon, membre de la direction collégiale du Parti socialiste, l'habilité d'Emmanuel Macron a été de faire quoi au "ni droite, ni gauche", bien qu'il incarne "profondément une politique de droite" inspirée des cénacles qui ont pris le pouvoir en France depuis de longues années : les promotions de l'ENA et les conseils d'administration du CAC40.

François Kalfon

François Kalfon

Francois KALFON est conseiller régional d'Ile-de-France et membre de la direction collégiale du PS

Il a publié avec Laurent Baumel un Plaidoyer pour une gauche populaire : La gauche face à ses électeurs, Editions Le Bord de l'eau (novembre 2011).

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Atlantico : Vous qualifiez le quinquennat d’Emmanuel Macron de quinquennat de l’injustice mais comment expliquez-vous qu’aucune force d’opposition -ni politique ni syndicale- ne parvienne vraiment à capitaliser sur la thématique du président des riches que l’on constate pourtant clairement dans les sondages ? Et si les Français avaient en fait envie d’assumer une part de relative injustice sociale car après avoir enregistré l’échec des quinquennats précédents, ils se résignaient à attendre de voir si l’action de ce gouvernement ne sera pas finalement utile à terme ? D’autant que ni le CICE d’inspiration social-libérale ni la taxe à 75% d’inspiration égalitaire n’ont vraiment fait la preuve d’une très grande efficacité après 5 ans de François Hollande ?

François Kalfon : C'est beaucoup trop tôt, si peu de temps s’est passé après le Big Bang qu'a connu notre système politique, pour qu’il y ait une cristallisation conduisant à une alternative à Emmanuel Macron. En effet, notre champ politique est explosé. La droite ne s'en remet pas d'avoir perdu le candidat Fillon. Elle s'en remet encore moins de la véritable OPA qu'Emmanuel Macron a effectué sur son camp. L'extrême-droite n'en finit pas de payer ses contradictions entre deux lignes, l'une nationale-gaulliste incarnée par Florian Philippot et l'autre catholique traditionaliste et libérale incarnée par Marion Maréchal-Le Pen ; Sans compter les répliques interminables du "séisme" du débat raté de Marine Le Pen face à Emmanuel Macron sur fond de position intenable sur l’euro. Quant à la gauche socialiste, elle est en convalescence, en mal à la fois de ligne – le bilan du quinquennat Hollande n'ayant pas été établi – et d'incarnation car les nouvelles têtes tardent à émerger tandis que les Français ont disqualifié les anciennes équipes.

Emmanuel Macron, avec l'habilité qu'il faut bien lui reconnaître, installe son magistère dans un duopole avec Jean-Luc Mélenchon dont les médias sont friands, mais qui n'est pas efficace en termes de recomposition politique et de perspectives offertes aux français. En outre, les effets dévastateurs de la politique d'Emmanuel Macron marqués du sceau de l'injustice ne sont pas encore suffisamment connus du grand public. Ainsi, Emmanuel Macron a pu se qualifier au second tour de la présidentielle grâce au soutien massif des cadres qui constituent son principal socle électoral. Or ils n'ont pas encore pris conscience de faire partie des principaux perdants de ses choix fiscaux. À ce niveau là, c’est une tromperie caractérisée ! Sait-on bien qu’en réalité M. Macron n'est pas le président Jupiter mais bien le président des milliardaires ? Les seuls véritables bénéficiaires de sa politique fiscale sont les super-riches. C’est trois milliards et demi qui seront redistribués essentiellement aux dix milles contribuables les plus riches et ceci en faisant les poches des bénéficiaires des APL ou des français modestes qui roulent au diesel pour aller travailler sans pouvoir changer de voiture. C’est-à-dire bien plus que le bouclier fiscal de Nicolas Sarkozy qui avait coûté 800 millions d'euros aux Français. Sait-on en outre qu'avec la Flat Tax, si chaque retraité sera imposé à pot plein au-delà de 1251 euros, les super-riches, toujours eux, ne payeront pas cette augmentation de CSG ? C'est donc un bouclier fiscal XXL pour les plus grandes fortunes françaises qu'a créé le Président. Les grands patrons peuvent dire : Merci Macron !

Enfin, en ce qui concerne les retraités, on prétend du côté du pouvoir que l'augmentation de la CSG sera entièrement compensée par la baisse de la taxe d'habitation mais en réalité, le gouvernement s'est contenté de renvoyer la patate chaude aux collectivités locales, qui devront sensiblement augmenter les autres impôts et notamment la taxe foncière qu'une majorité de retraités payeront plein pot car c'est dans cette catégorie-là qu'on trouve le plus de propriétaires. Si vous ajoutez les effets dévastateurs de la baisse des APL, des attaques en règle contre les HLM, de la suppression des contrats aidés, de la désorganisation de notre droit du travail qui va rendre plus précaire les salariés de ce pays et les conséquences d’une politique fiscale qui ne profite en réalité qu'aux super-riches, vous avez là un cocktail explosif qui ne manquera pas de susciter des réactions de rejet à la fois sur le fond de cette politique qui tourne le dos au principe de justice et sur la forme avec un style d'un Président qui a décidément un problème avec le monde populaire : Il n'en finit pas d'insulter les Français, en particulier à l'extérieur du territoire national, ce qui est du jamais vu sous la Ve République.

Selon la plupart des économistes, rien ne prouve que l’argent des riches libéré par la suppression de l’ISF sur le patrimoine financier ou mobilier sera effectivement réinjecté à 100% dans l’économie française mais pris dans l’autre sens, il a souvent été établi qu’une fiscalité trop lourde, trop complexe et peut-être pire encore très instable avait un impact négatif incontesté sur la croissance. Ne serait-il pas temps de faire un Big Bang sur la fiscalité française ? Si le double choc de matraquage fiscal des quinquennats Sarkozy et Hollande n’a pas permis à la France de retrouver le chemin d’une croissance forte, ne peut on pas se poser la question de l’efficacité d’une dépense publique aussi lourde ?

Il est évident que notre impôt est à la fois instable et beaucoup trop mité. Personne n'y comprend plus rien. Or le principe de base d'un bon impôt est qu'il soit une contribution acceptée et comprise par tous, participant du sentiment que celle-ci est équitable. Or Emmanuel Macron n’a cessé d'aggraver l'inégalité fiscale notamment dans cette loi Finance.

Ce qu'il conviendrait de faire, c'est sans doute de recouvrer une contribution à la fois bien plus universelle, plus lisible et plus juste ; c'est l'idée d'une CSG progressive que nous appelons de nos vœux. Cette nouvelle contribution, issue de la fusion avec l’impôt sur le revenu avec l’actuelle CSG constituerait le socle de notre imposition. Elle permettrait que chacun contribue à proportion de ses capacités financières. Plus simple, elle serait mieux acceptée ; plus universelle, elle pourrait rapporter davantage.

Le deuxième axe pour d’une fiscalité socialement soutenable, est celui consistant à recouvrer le juste équilibre, déconstruit depuis trop longtemps, entre la fiscalité des ménages et celle des entreprises. Ce n'est quand même pas aux salariés de payer ad vitam aeternam les gains de compétitivité par des allégements sociaux et fiscaux des entreprises et ceci sans aucune compensation !

Il faudra sans doute réfléchir aussi à mobiliser davantage deux types de fiscalité qui nous permettraient de financer les missions de l’Etat grâce à des contributions justes et socialement utiles. Je veux parler de la fiscalité écologique qui devra contribuer à réaliser des investissements d’infrastructures pour la mobilité durable en application du principe du « pollueur-destructeur / payeur ». Et bien sûr que nous devons mentionner aussi le sujet d’une taxe anti importation qui favorise le « made in France » pour faire peser le financement de la protection sociale d'avantage sur les produits fabriqués hors de France que sur le travail et les entreprises qui fabriquent en France et sont aujourd’hui pénalisées par nos choix fiscaux.

Ce sont là quelques-unes des pistes alternatives aux choix actuels qui ne sont qu'une aggravation des choix précédents. En ce qui concerne la dépense publique, s'il me parait stupide de ralentir la croissance au moment où celle-ci repart en instaurant des politiques d'austérité – le Portugal a fait le choix inverse et la croissance potentielle a été boostée -, il y a sans doute des gains d'efficacité à trouver dans le fonctionnement de nos finances publiques, notamment en faisant d'avantage confiance aux collectivités locales, qui, quand elles assurent une nouvelle mission n'ont plus besoin du contrôle de l'administration centrale pour effectuer celle-ci. Il y a donc sans doute des doublons qui pourraient être évités.

Mais attention ! La dépense publique, c'est comme le cholestérol, il y en a du bon et du mauvais. Le bon c'est l'investissement public, notamment en matière de logements, qui permet à la fois de répondre à la pénurie et de réinjecter immédiatement ces dépenses dans l’économie réelle (et de nourrir la croissance grâce aux multiplicateurs keynésiens). C’est à dire tout l’inverse de la politique Macron qui préfère faire les poches du mouvement HLM entraînant un brutal coup d’arrêt à la dynamique de la construction. Le coup de rabot permanent sans discernement est une illustration supplémentaire du crétinisme libéral à la mode à Bruxelles comme à Bercy !

Vous êtes l’un des fondateurs de la gauche populaire qui s’est opposée à la vision venue de Terra Nova d’une gauche renonçant aux ouvriers et au « peuple » pour se construire une nouvelle majorité à partir des minorités ethniques, sexuelles ou autres. Aujourd’hui faire revenir les catégories populaires dans le giron d’une gauche non radicale, cela passe par quel genre de discours ?

Les théories de Terra Nova ont tellement bien fonctionnées en réalité que loin de consolider le Parti socialiste... Elles ont permis l’éclosion du macronisme. Le réservoir électoral du cœur des métropoles qui devait constituer l'électorat relai du Parti Socialiste a filé armes et bagages chez Emmanuel Macron. En effet, dépourvu de son moteur social, le socialisme est devenu sans objet. Un relai de croissance politique a été trouvé en la personne d'Emmanuel Macron qui incarnait à la fois un libéralisme économique cher aux catégories sociales gentrifiées des grandes métropoles et un libertarisme sociétal qui permettait à l'électorat centriste issu de la droite de s'affranchir de sa famille politique d'origine jugée trop rétrograde.

Quant aux "minorités" la première couronne des grandes métropoles, elles ont filé directement chez Jean-Luc Mélenchon, tout comme les cadres moyens et les salariés d’exécution de la fonction publique déclassés, les précaires et les acteurs de l'économie culturelle constitués principalement d’intermittents. Chez cet électorat "insoumis", composite, c'est la question sociale, celle des inégalités qui a constitué le moteur de la coagulation autour d'un leader charismatique bien plus vindicatif que les hiérarques du Parti Socialiste.

Si le PS a échoué au-delà des problèmes conjoncturels ou d'incarnation, c'est que la politique qu'il a conduit était trop divergente des intérêts et des aspirations de son électorat traditionnel constitué des classes moyennes et classes moyennes supérieures. En effet, les transferts massifs de fiscalité depuis les ménages vers les entreprises au cours du dernier quinquennat ainsi que les marqueurs plus symboliques (déchéance de la nationalité, réformes d'inspiration libérale du code du travail) ont détourné (définitivement ?) notre base sociale du Parti socialiste. 

Mais nous sommes aussi confrontés à un problème plus structurel et qu'il nous appartient de surmonter. D'abord comme je l'ai dit souvent, la mondialisation a certes produit des antagonismes sociaux biens plus puissants que dans les épisodes précédents du capitalisme ; Mais aussi, et cela est un phénomène relativement nouveau, des antagonismes territoriaux qui s’accélèrent, auquel l'État social n'a pas su répondre.

C'est cette fameuse "France périphérique" qu'il faut réintégrer au sein du contrat républicain. Ensuite, historiquement le Parti Socialiste est le parti des classes moyennes qui travaillent. Or ce bloc sociologique se rétrécit à mesure que le travail posté, traditionnel, évolue. Le rétrécissement du substrat industriel de notre économie, la fin programmée du modèle fordiste de production détruit les types de compromis qui sous-tendaient l'existence d'une social-démocratie.

La crise n'atteint pas que le Parti Socialiste en France mais sévit dans le monde entier. Elle touche également, on l'a vu lors de la contestation des ordonnances Pénicaud-Macron durablement le front syndical.. Car au fond, ce qui justifie l'existence même de partis réformistes c'est la capacité à créer des idées nouvelles à partir d'un compromis historique entre les forces du capital et les forces du travail au service du bien commun.

Aujourd’hui ce qu'il nous faut donc réinventer, c'est de savoir comment nous donnons du sens à notre bloc sociologique, constitué du cœur de la société en prenant la mesure des évolutions fantastiques que nous connaissons, à la fois de l'entreprise et du travail. L'entreprise ? Elle est mondialisée : il faut donc inventer des modes de contestation puis de régulation à cette échelle transnationale. De ce point de vue, le combat écologiste, planétaire par nature, est l'un des moyens par lequel nous trouverons un relai de contestation des logiques purement financières des firmes transnationales. Avant, la contestation était au sein du lieu de travail par le syndicat. Demain, la contestation sera davantage le fruit de mouvements d'opinion à l'échelle mondiale qui permettront ensuite d'apporter des régulations nouvelles du système capitaliste.

Regardez le scandale Volkswagen, la prise de conscience sur le nucléaire après la catastrophe de Fukushima : il s'agit bien de changements issus de mouvements d'opinion plutôt que de mouvements de mobilisations traditionnels. Toujours sur cette question des entreprises, on le voit bien, l'un des sujets majeurs est celui de l'évasion et de l'optimisation fiscale, notamment celle des nouveaux géants de l'internet que l'on appelle les GAFA. Une certaine prise de conscience apparait. La Commission européenne pourchasse les excès des géants de l'Internet. Mais nous ne sommes qu'au début de cette longue route qui consistera à inventer les moyens de régulation d'un nouveau capitalisme.

Nous avons connu la révolution de l'internet. Nous allons connaitre la révolution du travail liée à l'émergence de l'intelligence artificielle et de la robotisation qui va s’accélérer considérablement. La redistribution des cartes des gagnants et perdants de la mondialisation va changer d’échelle. Or c’est bien dans l'ADN de la gauche d'inventer un futur juste, qui ne se contente pas d'accompagner ces évolutions qui rendront obsolète une part importante de l'emploi même qualifié d'aujourd'hui. Le progrès que fut l'invention de la Sécurité sociale, de l'assurance chômage qui sont historiquement des compromis sociaux-démocrates doit trouver sa mesure face à ces enjeux considérables qui sont devant nous.. Aux socialistes, à la gauche, aux écologistes d'inventer cette sécurisation du travail, des individus, à l'échelle de ces nouveaux enjeux. Voilà quelques-uns des défis qui nous appartient de relever.

Et vous le voyez bien, il a une spécificité socialiste à répondre de cette façon-là à ces évolutions. Les uns fascinés par la marche de la mondialisation accompagnent joyeusement ces évolutions, préférant ceux qui réussissent à ceux qui ne seraient "rien". Les autres condamnent d’emblée des changements pourtant inéluctables en laissant penser qu'il y aurait un ailleurs plutôt que de rendre ce monde qui vient, vivable par ceux - qui si nous ne faisons rien - en seront les premières victimes.

Jamais la participation à un cycle d’élections présidentielles/ législatives n’avait été aussi faible qu’en 2017, à quel point le retrait d’un bon nombre de Français de la vie politique vous inquiète-t-il ? Un sondage IFOP pour Atlantico révélait la semaine dernière que 38 % des Français se déclarent en faveur d’un gouvernement autoritaire et 55 % d’un gouvernement d’experts non élus, notre démocratie serait-elle plus fragile qu’on le croit ?

Votre question m'inspire deux réponses. D'abord, et on le voit encore cette fois-ci, les orientations de la politiques gouvernementale c'est un peu variation sur un même thème... En réalité, derrière l’emballage qui prétend tout changer, c'est encore et toujours Bercy et la Commission européenne qui dictent leurs lois. On est très loin de l'imagination au pouvoir, les politiques semblant se contenter d'être les saltimbanques d'une seule et même ligne mondialiste, technocratique et libérale.

Or cette politique depuis des décennies produit des dégâts : accroissement des inégalités, relégation territoriale, perte de repères et d'identité… On croit voter rose, rouge ou bleu, et à l'arrivée on passe de la promo Voltaire à la promo Senghor. Les mêmes choix, les mêmes élites, interchangeables d'un parti à l'autre. Mais reconnaissons au moins au nouveau pouvoir un mérite : là où cette connivence était autrefois masquée, elle devient assumée aujourd'hui avec cet étrange alliage entre politiques et milieux d'affaires entre hauts fonctionnaires et personnes issues du conseil ou des "boards" d'entreprises du CAC 40. Cette nouvelle classe dirigeante du « et en même temps » c’est le robinet d’eau tiède des choix conformistes. Ils en ont rêvé, Macron l'a fait ! De ce robinet coule du lait d’ânesse pour les millionnaires et une douche froide pour les milieux populaires !

Macron le prestidigitateur a réussi l’habileté suprême : laisser croire, laisser penser que le banquier de chez Rothschild est un héraut du hors-système. Il prétendait apporter de l'horizontalité, du fonctionnement "en mode projet" : il détruit les corps intermédiaires. Il prétendait libérer les Français des contraintes, "augmenter le champ des possibles" : il les insécurise et les précarise avec les ordonnances Pénicaut.

Pour modifier l’ordre des choses, peu d'hommes et de femmes politiques osent en réalité aborder les vraies questions : celle d'un pacte social réellement correcteur des inégalités, à la fois économiques et culturelles, celle des valeurs d'un peuple qui a toujours su transcender son propre destin dès lors qu'il porte des convictions réellement universelles, celles de la place des cultures, des identités, des spiritualités dans un monde transnational qui offre en lieu et place d’un référentiel commun, un syncrétisme où "entertainment" et référence historique se mélangent jusqu'à se diluer suscitant angoisse et insécurité parmi les peuples du monde.

François Hollande semble décidé à continuer à jouer un rôle dans la vie politique française. Cela vous paraît-il justifié ? Ou alors en tant qu’ancien proche des Frondeurs, et même si sa critique sur le PLF présenté par le gouvernement rejoint la vôtre, avez-vous envie de lui demander un délai de décence au regard de l’état dans lequel il a laissé le parti socialiste ?

Si la gauche est en crise, c'est bien sûr et nous l'avons vu parce que sa raison d'être est interpellée par l'évolution de la mondialisation, c'est aussi comme le disait Gramsci "parce que le vieux n'arrive pas à mourir et le neuf n'arrive pas à naître". La politique se sont des idées, des moyens de la mettre en œuvre certes, mais aussi des incarnations. La crise de confiance qui affecte cette activité humaine passe aussi par la défiance envers les hommes et les femmes qui la mette en œuvre. À chacun d'entre nous de s'interroger dès lors que nous pratiquons cette activité singulière, mus par le bien commun, sur le rôle et la place la plus pertinente qu'il nous appartient de tenir dans une période comme celle-ci. Chacun est utile certes. Mais pour être utile faut-il tenir nécessairement le premier rôle ?

Quel premier bilan tirez-vous de ce quinquennat Et de droite et de gauche ? On sait que vous êtes très critique vis-à-vis du macronisme mais tout vous paraît-il à jeter ? Et croyez-vous à la transformation de la France promise par Emmanuel Macron ? Dans le portrait que consacre Emmanuel Carrère le président au président de la république dans le Guardian ce week-end, Emmanuel Macron affirme que "s’il ne transforme pas radicalement la France, alors ce sera pire que s’il n’avait rien fait du tout". À votre avis, vers quoi sommes-nous en marche ?

Emmanuel Macron est un homme habile, un homme de conviction. Il a compris qu'il fallait développer un certain type d'arguments pour se faire élire. Mais cela ne suffit pas. Le candidat victorieux, un peu comme le marchand de sable, a endormi les Français avec son idée du "et de droite et de gauche". Mais les faits son têtus. Les antagonismes sociaux, de milieux, on aurait dit il y a vingt ans « de classe » continuent de structurer la société française. Emmanuel Macron a donc fait son choix. Le magicien revient à ses fondamentaux comme la rivière revient dans son lit.

Ce qu'il est, ce qu'il incarne, ce qu'il porte, c'est profondément une politique de droite. Elle est intrinsèquement libérale et en réalité profondément autoritaire. Il se situe dans la lignée de la culture du chef de la droite française. Pour durer, aucun homme politique, aucun dirigeant (la superstructure) ne peut gouverner sans un soubassement, sans une assise sociale constituée, forte, et durable (l'infrastructure). Avec Emmanuel Macron, la droite parlementaire n'a plus de raison d'être. « En Marche ! » réalise la synthèse parfaite des milieux d'affaires et d'une certaine droite conservatrice, profondément imprégnée de sa position sociale antagonique des catégories populaires. Il ne reste aux LR qu'un discours identitaire qui n'a jamais fait dans ce pays 50+1.

Quant à la gauche, l'aile sociale libérale du PS a été profondément abîmée par l'offensive macronienne, tandis que Jean-Luc Mélenchon, par sa radicalité, parfois par ses outrances, cristallise un réel espace complémentaire à celui d'Emmanuel Macron pour réorganiser le champ politique sans toutefois disposer à ce stade de la crédibilité nécessaire pour « embarquer » avec lui le bloc sociologique des classes moyennes, sensible aux accents sociaux de la gauche mais pas prêt au grands chambardements. 

Il nous revient donc une nouvelle fois de bâtir en partant des antagonismes économiques et sociaux, des angoisses et du désarroi de nos concitoyens, face à un monde insaisissable et incertain, en partant du vide politique actuel un avenir en commun. Sans fascination ni aveuglement face aux évolutions du monde, mais en l’affrontant, pour transformer les colères qu’il suscite en projets. Car nous ne renoncerons jamais à articuler l’avenir et la justice sans quoi ce nouveau monde serait invivable.

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