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Selon un sondage CSA-Les Echos, François Hollande a perdu 6 points de confiance en seulement un mois.
Selon un sondage CSA-Les Echos, François Hollande a perdu 6 points de confiance en seulement un mois.
©Reuters

Désaffection

Selon un sondage CSA-Les Echos, 53% des Français ne font pas confiance au chef de l'Etat. Insécurité sociale, identitaire et économique : les catégories populaires n'adhèrent plus au logiciel politique du PS.

Guillaume  Peltier,François Kalfon et Jérôme Sainte-Marie

Guillaume Peltier,François Kalfon et Jérôme Sainte-Marie

Guillaume Peltier est Secrétaire National de l'UMP chargé des études d'opinion.

François Kalfon Secrétaire National du PS en charge des études d’opinion.

Jérôme Sainte-Marie est Directeur du Département Opinion de l'institut de sondage CSA.

 

 

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Atlantico : Selon un sondage CSA-Les Echos, une majorité absolue des Français (53%) ne font pas confiance au président François Hollande. En un mois, le chef de l'Etat perd 6 points. Comment expliquez-vous cette baisse ?

Jérôme Sainte-Marie (Directeur du Département Opinion de l'institut de sondage CSA)Dans un premier temps, le mouvement s’est produit essentiellement chez les personnes âgées qui trouvaient qu’il y avait un problème de gouvernance. Aujourd’hui les personnes âgées ne bougent plus, elles ne sont pas si mécontentes que cela des annonces faites par le président durant le 20h de TF1. Maintenant, ce sont davantage les catégories populaires, et tout particulièrement la catégorie emblématique des ouvriers, qui décrochent.

Les critiques formulées sont tout à fait différentes. Les premiers reprochent à François Hollande de ne pas prendre des mesures suffisamment rapides, et pourquoi pas libérale, face au problème de l’endettement. Les retraités sont très sensibles au problème de la dette car, in fine, cela pèse sur le budget et pourrait menacer leurs pensions.

Les seconds commencent à estimer que la différence pour leur sort personnel n’est pas si importante entre l’époque Sarkozy et l’époque Hollande. Ce sont eux qui sont les plus exposés au problème du chômage. Ils veulent une économie qui fonctionne, avec de la croissance. Ils souhaitent également que l’Etat social continue à fonctionner et qu’une politique volontariste à l’égard de l’emploi se mette en place. Par exemple, ils attendaient une action résolue du gouvernement face aux plans sociaux. S’ils ont été séduits dans un premier temps par les annonces volontaristes d’Arnaud Montebourg, le discours de François Hollande a fait l’effet d’une douche froide.

Atlantico : Plusieurs sondages attestent que le président de la République recueille moins de 50% d’opinions favorables. Cette désaffection serait surtout vraie, chez les ouvriers où sa cote de confiance est passée à 35% soit une baisse de 21 points, selon le sondage CSA pour Les Echos paru la semaine dernière. Comment expliquer ce décrochage des classes populaires ?

François Kalfon : Les classes populaires sont parmi l’électorat global la catégorie la plus sceptique vis-à-vis de la politique et des institutions, la plus difficile à convaincre et la plus éloignée de la politique. Pendant très longtemps, et notamment lors du dernier quinquennat, elles ont été oubliées des politiques publiques. On a retenu du dernier quinquennat davantage le bouclier fiscal que la question du pouvoir d’achat…

De plus si dans les catégories intermédiaires, les classes moyennes inférieures ont voté majoritairement pour François Hollande au premier tour, il faut tout de même se rappeler que les ouvriers ont voté en majorité pour Marine Le Pen, même si François Hollande était devant Nicolas Sarkozy sur cette catégorie.

Au second tour, toute une partie de l’électorat populaire a voté pour François Hollande par rejet de Nicolas Sarkozy, et plus particulièrement sur la déception du « travailler plus pour gagner plus ». Il n’y a donc pas d’adhésion au logiciel politique du Parti socialiste, notamment chez les ouvriers.

Cela dit, quand on regarde dans le détail les mesures décidées par l’exécutif, elles semblent être appréciées diversement selon les catégories socio-professionnelles. Par exemple, la hausse de l’essence ne peut apparaitre que comme insuffisante aux yeux des classes populaires eu égard à leur problème de pouvoir d’achat. Quand on regarde l’appréciation des différentes mesures, on s’aperçoit qu’elles progressent, y compris celles qui devraient contenter prioritairement les ouvriers. Elles progressent à la fois en fonction du niveau de diplôme et de la catégorie socio-professionnelle en question. Le pouvoir d’achat, le blocage des loyers, le doublement du livret A sont d’autant plus appréciés dans les catégories sociales supérieures. Si les mesures n’ont pas d’effet immédiat sur le porte-monnaie de ces catégories, les gens saluent tout de même une forme d’intention plus qu’un résultat. Enfin dans les catégories sociales les plus exposées aux problèmes de pouvoir d’achat, il est évident qu’avant que cela ait un effet réel sur le niveau de vie il faut quand même un tout petit peu de temps.

Guillaume Peltier : Le décrochage de François Hollande et du pouvoir exécutif plus généralement, est confirmé depuis une quinzaine de jours par l’ensemble des enquêtes d’opinion. Et ce, particulièrement auprès des ouvriers et des employés. Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, François Hollande a pris de mesures très impopulaires qui concernaient les employés et les ouvriers. Je pense notamment à la défiscalisation des heures supplémentaires. Ce sont 9 millions de Français qui étaient concernés.  Très concrètement, ils l’ont vu sur leur bulletin de paie à la fin du mois.

La deuxième raison est plus symbolique. François Hollande a construit sa victoire sur ce qu’il appelait la présidence normale, en opposition à l’hyper présidence de Nicolas Sarkozy. Sauf qu’avec l’aggravation et l’accélération de la crise, cette présidence normale apparaît aux yeux des plus fragiles et des plus défavorisés comme une présidence inactive.

Les catégories populaires sont les plus impatientes dans le règlement de la crise, dans la recherche de solutions efficaces et concrètes. Elles attendaient donc avec impatience les 100 jours de François Hollande et finalement, elles ont eu les jours sans. C’est-à-dire, pas de cap, pas de cohérence, pas de dynamique, pas de propositions concrètes. Le seul cap étant l’antisarkozysme et le détricotage de mesures qui les concernaient directement.

Pourtant, lors de la campagne François Hollande avait rallié une large partie de cet électorat populaire. Quelle perception de François Hollande avait à l’époque cette partie de l’électorat ?

François Kalfon : C’est la volonté d’une alternance politique qui s’exprimait avec un thème qui était simple : « rien ne peut être pire que Nicolas Sarkozy ». François Hollande a pu capter ces électorats-là en prenant en compte les trois insécurités qu'ils connaissent : l’insécurité, l’insécurité identitaire et l’insécurité économique.

Je pense que la politique de Manuel Valls répond à l’insécurité de base. Sur l’insécurité identitaire, il va falloir un peu de temps pour y répondre. Concernant l’insécurité économique, les problèmes de pouvoir d’achat et de chômage, c’est un peu la même chose. Nous ne sommes pas ici dans le court terme du temps des sondages et de la presse.

Guillaume Peltier : En fait,  les chiffres ne sont pas considérables. La vérité sur le premier tour, c’est que c’est Marine Le Pen qui est arrivée en tête chez les ouvriers en totalisant 41% de leurs votes. Il n’y a pas eu de vote d’adhésion des catégories populaires à l’endroit de François Hollande. Les catégories populaires, déjà au printemps 2012, ont adressé à la classe politique le message d’une triple insécurité : l’insécurité économique, l’insécurité sociale et l’insécurité identitaire, c’est-à-dire celle liée aux questions régaliennes, aux questions d’insécurité et d’immigration.

Il y avait déjà au printemps 2012 les germes d’une méfiance vis-à-vis de François Hollande. En tout cas, il n’y a pas eu de vote d’enthousiasme. Ce vote prudent, s’est très vite, et c’est inédit sous  la 5e République, transformé en un vote de défiance. 

Avec la hausse du chômage et les plans sociaux en chaîne, s’en est-il fini de la lune de miel ?

François Kalfon : Quand la situation n’est pas bonne, on souhaite toujours être davantage défendu. De ce point de vue-là, on ne peut que partager l’attente très forte, voire même l’impatience, des catégories populaires.

Je constate que toutes les mesures qui sont perçues comme insuffisantes sont tout de même prises en direction des classes populaires. Quand on interroge les Français sur la question de savoir si le gouvernement a agi de manière équitable, on s’aperçoit que les réponses ne sont pas négatives.

Maintenant, le caractère équitable ne suffit pas. Les catégories populaires sont en attente de résultats.

En 5 ans, 400 000 emplois industriels ont été détruits et la conjoncture n’est pas rétablie. La conjoncture économique ne tient pas aux fondamentaux d’une industrie qui serait obsolescente, elle tient à un contexte au sein de la zone euro marqué par une crise. Suite à l’action de François Hollande en direction d’Angela Merkel et de nos principaux partenaires européens, on s’aperçoit que la BCE est enhardie et qu’elle est maintenant en capacité de prêter en premier ressort ce qui contribue largement à la détente de la situation européenne et au dégonflement de la crise de la zone euro.

Guillaume Peltier : Je pense qu’on leur a tellement dit, surtout sur le plan médiatique, que Nicolas Sarkozy n’était pas la solution et que François Hollande allait instaurer de manière très rapide une sorte de paradis économique et social en France, qu'ils attendaient des solutions rapides.

Sur les plans sociaux, il n’y a pas de solutions, le chômage franchit la barre des 3 millions, l’Europe est en panne avec l’absence de leadership, là où Nicolas Sarkozy incarnait un vrai volontarisme. On le voit très bien dans les derniers sondages, les catégories populaires considèrent aujourd’hui que Nicolas Sarkozy ferait mieux que François Hollande.

Il y a un agacement profond vis-à-vis de l’inaction. C’est intéressant, le 9 septembre François Hollande avait donné rendez-vous aux catégories populaires dans son interview télévisée sur TF1. L'objectif était de les reconquérir. Mais cela n’a pas fonctionné si l’on regarde toutes les études publiées depuis.

Dans un contexte de délocalisation et de disparition des usines, les catégories populaires ne croient pas au long terme et attendent des mesures immédiates et concrètes. Il y a cette impression de ne pas avoir un président de la République mais un résident de la République. Ca, c’est sur le plan formel. Sur le fond, ils ont l’impression que les mesures prises vont à l’encontre de leur bien-être et de leur protection immédiate. 

Par ailleurs, le gouvernement débat actuellement des questions sociétales comme le mariage homosexuel ou le droit de vote des étrangers, qui les concernent peu. Se sentent-elles délaissées ?

François Kalfon : Je pense qu’il faut tenir les deux bouts de la chaine. Sur les enquêtes d’opinion relatives aux droits des homosexuels, pour la gauche et la majorité de l’opinion publique française, la logique d’une sécularisation de la société française est bien présente. Dans toutes les catégories sociales, y compris au sein de la classe ouvrière, il n’y a pas de rejet sur la question.

Sur le droit de vote des étrangers, il  y a clairement toute une gauche qui identifie cette question comme un marqueur tout à fait fondamental du quinquennat débutant de François Hollande. Du point de vue des personnes pour qui le pouvoir d’achat, l’isolement, le sentiment d’injustice est le plus grand ce n’est effectivement pas une priorité.

Guillaume Peltier : La question du vote des étrangers n’est pas de nature à réconcilier les catégories populaires avec l’exécutif socialiste. Elles se sentent délaissées d’abord parce qu’elles considèrent que ce n’est pas la priorité, contrairement aux questions sociales, économiques et identitaires. 

Les choix de la question de l’euthanasie en juillet, en août de l’homoparentalité et en septembre du droit de vote des étrangers, apparaissent aux yeux de Français comme des écrans de fumée qui visent à masquer l’incompétence économique et l’inefficacité politique du gouvernement.  

Cette catégorie de la population représente-t-elle toujours un enjeu pour la gauche maintenant qu’elle est au pouvoir ?  

François Kalfon : Je pense que c’est une question identitaire pour la gauche. Cela fait même partie de son ADN. Lutter contre les injustices au sens large, et en particulier contre l’injustice sociale, est une exigence identitaire de la gauche dans son ensemble.

Ensuite, les faits démontrent qu’on ne peut gagner une élection en ayant un vote très dégradé chez les seniors, les actifs et notamment les salariés du privé. François Hollande a gagné avec sa capacité à fédérer les électorats.

Guillaume Peltier : C’est un enjeu clé parce qu’on ne gagne pas une élection nationale majeure sans le soutien des catégories populaires. Mais aussi la France rurale, la France des pavillons, souffrent également de cette triple insécurité et sont essentiels pour remporter une élection ou pour maintenir une cote de popularité à un haut niveau et obtenir le soutien d’une majorité de Français. Si Jean-Marc Ayrault et François Hollande ne trouvent pas la solution pour leur parler à nouveau et leur offrir une espérance, ce sera très compliqué pour eux de retrouver une cote de popularité surpérieur à 50% . 

Peut-on parler d’un sentiment de trahison entre la gauche et son électorat populaire ?

François Kalfon : Je ne ressens pas du tout cela. C’est simplement une attente forte qui s’exprime tant sur le plan des résultats que sur le plan de l’agenda présidentiel.

Un sondage expliquait que 70% des Français étaient prêts à une modification des engagements du gouvernement si la crise le justifiait. Je pense qu’il faut aussi être capable de hiérarchiser les engagements en tenant compte de la situation de crise tout à fait exceptionnelle dans laquelle nous sommes.

C’est un des points qui constitue une voie tout à fait intéressante pour consolider le rapport entre le gouvernement, le président de la République et les Français. 

Guillaume Peltier : Parler d’un sentiment de trahison récent, serait manquer de mémoire parce que ce sentiment de trahison remonte à une dizaine d’années. La gauche a perdu le peuple au moment du fameux "quinquennat" de Lionel Jospin avec un certain nombre de mesures qui ne correspondaient pas aux attentes de cet électorat populaire. La gauche a perdu le peuple il y a déjà bien longtemps.

Il y a eu un début d’espoir dans la campagne présidentielle de François Hollande notamment avec cette phrase clé : "mon adversaire, c’est la finance". Il y avait aussi des débuts de propositions qui pouvaient les intéresser, mais les premiers pas de François Hollande étant en totale contradiction avec ses promesses, le soufflé est très vite retombé.

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