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Quatre ministres (Cécile Duflot, Philippe Martin, Stéphane Le Foll et Pascal Canfin) viennent de publier une lettre afin de demander publiquement une accélération de la transition écologique.
Quatre ministres (Cécile Duflot, Philippe Martin, Stéphane Le Foll et Pascal Canfin) viennent de publier une lettre afin de demander publiquement une accélération de la transition écologique.
©Reuters

Sortie de route

Assailli par sa majorité, ses ministres et ses alliés, le président de la République semble avoir perdu toute aura politique dans une période qui s'annonce des plus difficiles.

Arnaud Folch,François Kalfon et Eric Verhaeghe

Arnaud Folch,François Kalfon et Eric Verhaeghe

Arnaud Folch est rédacteur en chef politique et société de Valeurs actuelles. Il est notamment l’auteur de Histoire secrète de la droite (Plon, 1998) et Les présidents de la république pour les Nuls (First, 2012).

François Kalfon, conseiller régional d’Ile-de-France et adjoint au maire de Noisiel (77), est secrétaire national du PS en charge des études d’opinion. Il est l'auteur, avec Laurent Baumel, de Plaidoyer pour une gauche populaire : La gauche face à ses électeurs (Le Bord de l'eau, 2011).

Eric Verhaeghe est l'ancien président de l'APEC (l'Association pour l'emploi des cadres) et auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr
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Atlantico : En pleine rentrée politique, l'exécutif se retrouve confronté à une division de plus en plus nette de sa majorité, clivée sur la politique européenne ainsi que sur la réforme des retraites. Peut-on dire que le président Hollande est en train de perdre l'unité de ses parlementaires en cette période sensible ?

Arnaud Folch : Je ne pense pas qu'il soit en train de la perdre : je dirais plutôt que rien n'a vraiment changé sur ce plan depuis son élection. Tout le monde a simplement oublié les différentes bisbilles qui n'ont cessé d'animer le PS, les divisions de la primaire, et la dureté des propos que Jean-Luc Mélenchon a l'habitude de tenir à l'égard de la majorité actuelle. Il n'est donc pas étonnant de voir ressortir les divergences en cette période difficile alors que nous ne sommes plus qu'à quelques mois des municipales. Le contrôle de François Hollande sur sa majorité est d'avantage un contrôle de façade, guidé par des enjeux électoraux qui font que tout le monde marche à la victoire une fois venu le temps des échéances. Cette mécanique se retrouve d'ailleurs à droite, où nous avons vu l'UMP très unie au cours de la campagne, alors que le parti se livre aujourd'hui au droit d'inventaire du sarkozysme. Hollande est peut-être moins rassembleur sur son camp que n'a pu l'être l'ancien président, mais le schéma reste le même.

François Kalfon : Non, François Hollande n'est pas en train de perdre cette unité. On trouve toujours une colonne vertébrale, constituée des parlementaires socialistes et radicaux au sein d'une majorité qui est composite. Pour ce qui est de l'alliance avec les Verts, elle m'apparaît solide bien qu'il y ait débat concernant la transition écologique, comme on a pu le voir dimanche (Cécile Duflot, Philippe Martin, Stéphane Le Foll et Pascal Canfin ont signé dans le JDD une lettre demandant l'accélération de la transition écologique, ndlr).

Eric Verhaeghe : Je pense que vous commettez une erreur d'analyse en posant le rapport de force dans ce sens, et je pense que vous passez, ce faisant, à côté de la nature même du fait présidentiel sous François Hollande. L'enjeu du président n'est pas d'avoir raison politiquement ni de cimenter ses parlementaires autour d'une vision politique. Si cette vision existait, il nous l'aurait livrée et sur ses fondements il aurait fédéré ses élus autour de lui. L'enjeu de François Hollande est plutôt de se donner toutes les chances de gagner en 2017, et les mouvements auxquels nous assistons aujourd'hui me semblent devoir être analysés sous ce prisme.

François Hollande est un vieil apparatchik du PS, qui sait tout le poids des appareils et des partis de gouvernement dans notre régime finissant. Il est bien placé pour savoir que le PS est un parti d'élus locaux et que, sans eux, sans leur réseau, sa réélection en 2017 est fortement compromise. Les Français ne mesurent pas assez que le PS est vide de militants actifs. Il a structurellement besoin de ses cohortes de petites mains politiques employées par les maires pour faire tourner les sections, mais aussi de tout ce réseau de clientélisme qui fait l'enracinement d'un parti dans les territoires.

Prenez l'exemple d'Hénin-Beaumont qui vient de donner lieu à une condamnation plus dure que la réquisition du Parquet : c'était bien cela, tout un territoire mis en coupe réglée et structuré autour d'une logique d'intérêt où les élus locaux sont des passeurs ou des VRP de luxe. On pourrait tout autant prendre l'exemple de Marseille. Ces territoires-là vivent du parti au pouvoir localement : les logements sociaux, les marchés publics, les recrutements municipaux sont plus ou moins phagocytés par le parti, qui devient une institution indispensable à la vie économique locale.

Tout cela, c'est autant de leviers utiles pour gagner une élection présidentielle. C'est un terrain labouré en amont. Ce sont des dépenses de campagne prises sur les budgets municipaux ou départementaux. Ce sont des meetings organisés plus facilement, des salles vite remplies pour faire masse. Bref, la machinerie des présidentielles est structurellement liée à l'appui que l'on peut recueillir dans les collectivités où l'on a des élus.

Que disent ces élus aujourd'hui lorsqu'ils rencontrent le gouvernement, la hiérarchie du parti, les proches de François Hollande, ou François Hollande lui-même ? Ils tirent la sonnette d'alarme et prédisent le pire pour les municipales qui arrivent. Ils disent le mécontentement des Français vis-à-vis d'un gouvernement coupé des réalités, inquiets du chômage, frappés par une paupérisation permanente. Ils parlent de l'insécurité qui monte, des petits larcins qui se multiplient, de ces femmes qui bravent la loi ouvertement en portant le voile, des campements illégaux de Roms qui fleurissent aux portes des villes et des villages, de l'audience grandissante du Front national. Ces élus expliquent clairement que les fonctionnaires grognent, que la réforme des retraites ne passera pas dans l'opinion, qu'il faut rassembler à gauche pour limiter les dégâts et ne pas perdre les précieuses collectivités gagnées durant la décennie où la droite était au pouvoir.

Les barons qui ont fait François Hollande roi demandent à leur roi de se souvenir de ses barons. Ils réclament leur dû.

La division ne semble pas moindre au sein du gouvernement, alors que quatre ministres (Cécile Duflot, Philippe Martin, Stéphane Le Foll et Pascal Canfin) viennent de publier une lettre afin de demander publiquement une accélération de la transition écologique. Doit-on y voire une ligne de fracture entre l'Elysée et ses ministres ?

Arnaud Folch : Le débat d'idées traverse par nature la société, le Parlement, mais aussi le gouvernement. L'art de la politique est de travailler sur des compromis dynamiques et de ne pas se contenter de mauvaises synthèses de fin de congrès. Encore une fois je ne pense pas que ces événements soient à considérer comme anormaux.

François Kalfon : Qu'il y ait un échange d'arguments sur les diverses questions stratégiques m'apparaît normal et il traverse toute la gauche. Une telle dynamique me semble plus saine que celle des partis godillots. On ne peut pas être dans la politique du tout ou rien, mais bien dans celle du dosage, que ce soit sur la construction européenne (réduction de déficit contre soutien de la croissance) ou la réforme des retraites.

Eric Verhaeghe : J'y verrais plutôt les effets d'une course poursuite en cyclisme sur piste. C'est une manœuvre tactique qui illustre le dilemme des Verts face aux échéances électorales de 2014. Comme le PS, les Verts ont besoin de se compter tant pour les municipales que pour les européennes. Ce dernier scrutin est un grand pourvoyeur d'élus pour ce petit parti qui bénéficie à plein du système proportionnel. Mais la route est étroite et escarpée. Que les Verts se déchirent trop avec le PS et leur crédibilité s'envole: comment les Français pourraient-ils faire confiance à un parti qui crache dans la gamelle où il mange ? Qu'ils collent trop au PS et c'est l'inverse qui se produit: à choisir entre l'original et la copie, les électeurs préféreront l'original.

Pour les Verts, il faut donc suivre le chemin sinueux d'une voix suffisamment discordante pour capter les suffrages de gauche qui n'iront pas au PS - en particulier ceux des jeunes actifs éduqués, mais suffisamment compatible avec la doctrine PS pour ménager la possibilité de fusion de listes au second tour des municipales.

C'est ainsi que je lis la tribune Le Foll sur la transition écologique. On a un socialiste proche de François Hollande, un socialiste marqué dans la sphère écolo et deux ministres verts qui disent du bien de l'écologie. Une subtile alchimie qui permet de maintenir la fiction d'une aile "écolo-compatible" pour les prochaines élections. Il faudra voir comment tout cela survit après les municipales, lorsque le gouvernement fera le ménage, c'est-à-dire lorsqu'il autorisera la prospection des gaz de schiste, et lorsqu'il reviendra à la doctrine nucléaire de toujours.

En attendant, le bon sens voudrait que les écologistes quittent le gouvernement en septembre, c'est-à-dire suffisamment en amont de la campagne des municipales. C'est pour eux, me semble-t-il, le choix le plus raisonnable : ils retrouveront leur liberté de parole le temps de la campagne, et pourront ainsi plus facilement capitaliser les voix qui risquent de manquer aux socialistes au second tour pour garder de précieuses mairies. Ils disposent aujourd'hui de toutes les bonnes raisons pour le faire: soutien insuffisant à l'écologie, choix en matière de retraites trop favorable à l'électorat PS (les retraités, les fonctionnaires), trop défavorable à l'électorat Verts (les bobos du secteur privé).

En parallèle, le leader du Front de Gauche, Jean-Luc Mélenchon, vient d'émettre de vives critiques à l'égard de Manuel Valls et François Hollande, tout en commençant à faire pression sur le PS en vue des municipales. S'agit-il d'une simple stratégie électorale où d'un véritable désaccord ?

Arnaud Folch : Je crois que le Parti de gauche finira par s'allier avec le PS, et donc que la gauche arrivera en bon ordre de bataille pour ces municipales. Les divergences sont effectivement toujours vivaces entre les socialistes et leurs alliés, mais la gauche réussit toujours à s'entendre peu ou prou à l'approche des élections. Par ailleurs, au sein même du PS, on sait très bien que la probabilité de voir certains membres se présenter sur des listes dissidentes est assez faible. On peut cependant se demander si, du côté des électeurs de gauche, on sera prêt à accepter ces accords.

François Kalfon : Je pense que ce qui est excessif est insignifiant. Jean-Luc Mélenchon fait sa rentrée et reprend sa vieille habitude de la transgression. Je serais tenté de lui dire qu'à force de renverser la table il va finir par se prendre les pieds dans le tapis. Plus sérieusement, il se doit de réfléchir à quelques éléments forts, en particulier sa légitimité électorale qu'il doit pour beaucoup au Parti communiste, formation dont l'entente est historique avec le PS. L'écrasante majorité des collectivités locales de gauche est ainsi encore animée par les communistes, ce qui me fait douter de la véritable cohérence politique de M. Mélenchon. D'une certaine manière, il est animé de cette "foi du converti" qui n'est pas sans rappeler ces anciens communistes, comme Yves Montand, devenus farouchement anti-marxistes par la suite. Dans le cas de M. Mélenchon, nous avons un ancien socialiste qui, semble t-il, souhaite faire oublier son passé par un anti-socialisme primaire, secondaire et tertiaire.

Eric Verhaeghe : Le Front de gauche utilise une stratégie diamétralement opposée à celle des Verts : elle repose sur un rapport de force direct destiné à négocier au mieux les ralliements du second tour, mais aussi destiné à modifier le centre de gravité de la majorité présidentielle. Les attaques de Mélenchon contre Valls doivent se lire ainsi, me semble-t-il. Valls est un Premier ministre crédible, et un pôle de droitisation du PS qui structure idéologiquement un vrai contrepoids à la vision mélenchonienne. Il est donc naturel qu'il soit dégommé sous la ceinture, à la façon traditionnelle de Mélenchon, par une série de grosses ficelles rhétoriques tout droit sorties des stages de formation trotskystes : arguments ad personam, métaphores, kakemphatons divers. Dans la fiction que fait vivre Mélenchon auprès de ses militants, à la façon d'un gourou de secte, dans cette grande histoire qu'il leur raconte, et qui les fait rêver, d'une redite réussie de la révolution de 1917, où il deviendrait Premier ministre d'un pays en crise, il a besoin de nommer son Kerenski. Dans ce rôle, il aime alternativement camper François Hollande, qui le méprise souverainement, et Manuel Valls, qui ne le respecte pas plus.

Les deux hommes, Mélenchon et Valls, se sont abondamment croisé dans ce surprenant laboratoire de la gauche gouvernementale qu'est le département de l'Essonne. On oublie trop souvent que la banlieue sud de Paris est un carrefour détonant où ont patienté les Dray, les Mélenchon, les Valls, les Guedj, et quelques autres, le temps que la gauche revienne au pouvoir. Toutes ces personnalités si différentes sont tout à fait capables de s'entendre, même en se détestant, pour gérer les affaires.

Il faudra suivre avec attention les élections municipales à Paris pour comprendre l'évolution du rapport de force entre ces deux forces de gauche que sont les mélenchoniens et les hollando-vallistes. Le douzième arrondissement où l'un des lieutenants de Mélenchon, Alexis Corbière se présente, et le quatorzième arrondissement, où l'ex-mélenchonien Pascal Cherki est maire et député, seront des postes d'observation très intéressants.

Autre relais politique important pour la gauche, les syndicats, dont le soutien s'effrite de plus en plus face à la politique économique du gouvernement. Alors qu'une grande manifestation contre la réforme des retraites est prévue en septembre, peut-on dire que l'Elysée a perdu son "pari social-démocrate" qui consistait à inclure directement les syndicats dans le processus politique ?

Arnaud Folch :Il n'y a jamais vraiment eu de majorité de gauche qui ait réussi à obtenir le soutien total des syndicats. Ainsi, sur la réforme Sapin, la CGT et FO avaient refusé de voter, sans pour autant descendre dans la rue. On peut même affirmer que la mobilisation syndicale a pu être plus importante sous des gouvernements de gauche que sous des gouvernements de droite. Je ne pense donc pas que l'on assistera à un bras de fer syndicats-gouvernement aussi violent que celui qui a eu lieu sous le quinquennat Sarkozy. Il s'agit encore une fois d'un coup de gueule des représentants syndicaux qui veulent montrer leur force avant les élections syndicales qui se tiendront peu après la réforme des retraites.  

François Kalfon : Je constate qu'un grand accord a été scellé avec les syndicats sur le marché du travail et que cet accord a su faire bouger les lignes du dialogue social en entreprise. Cette entente a su mettre les syndicats "dans la boucle" en permettant de les représenter dans les CA d'entreprises. Et les effets bénéfiques de cette loi sur le marché du travail sont loin de s'être tous manifestés, bien que l'on en voit déjà les premiers signes sur le terrain (Renault, PSA, Bosch…) Cela génère des accords pour préserver l'emploi, quitte à accepter en contrepartie une modération salariale où une modification du temps de travail, et ce de manière pacifiée. Le bilan du "pari social-démocrate" à la scandinave de François Hollande n'est donc pas encore complet mais certainement pas négatif.

Eric Verhaeghe : Il me semble que le seul syndicat qui ait pu assumer une proximité avec le PS est la CFDT, et encore dans une logique compliquée. Si la CGT a appelé Hollande, ce n'est certainement pas par adhésion au personnage qui y est largement exécré. Simplement, la CGT pratiquait un tout sauf Sarkozy qu'il faudra un jour décoder de près.

Pour ce qui concerne les petits, la CGC et la CFTC, j'imagine mal que l'un ou l'autre s'éloigne d'un gouvernement qui a sorti, fin mars, des statistiques de représentativité totalement invérifiables (et informatiquement bridées à cette fin), qui leur garantissent contre toute attente une survie sociale.

Reste la CFDT, qui est structurellement coincée par sa relation presque consanguine avec le gouvernement. D'un côté, il y a les cadeaux reçus : l'ancien secrétaire général du syndicat recruté à l'Inspection générales des affaires sociales, l'une de ses lieutenants recrutée au cabinet de Najat Vallaud-Belkacem. De l'autre côté, il y a cet étrange équipage au pouvoir, où les énarques décident de tout en imaginant qu'ils savent tout sur tout. Or l'ignorance des questions sociales est forte chez beaucoup, et la méconnaissance de ce qu'est le peuple français au jour le jour y est criante. Cette situation d'être les cousins de province invités dans la maison de vacances des Parisiens est, je crois, assez inconfortable pour un certain nombre de décideurs cédétistes.

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