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François Bayrou, le seul à pouvoir encore sauver Emmanuel Macron (ou à le débrancher) ?
©DAMIEN MEYER / AFP

Partenaire ou allié ?

François Bayrou a montré quelques signes de désaccords importants vis-à-vis de ses alliés de LREM ces derniers mois. Mais peut-il faire plus que faire entendre, de temps à autres, son désaccord, ou a-t-il une carte à jouer ?

Judith Waintraub

Judith Waintraub

Journaliste au Figaro Magazine.

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Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, est chroniqueur, directeur de la Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie (avec l’institut Viavoice) et, depuis début 2020, président de l’institut Marc Sangnier (think tank sur les enjeux de la démocratie). Son compte Twitter : @JP_Moinet.

 

 

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Atlantico : A la fin du mois d'octobre, le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux avait qualifié Laurent Wauquiez de "candidat des gars qui roulent au diesel et fument des clopes". Propos qu'il avait finalement démenti après la "honte" ressentie par François Bayrou qui les considérait comme infamants pour les classes populaires. François Bayrou est-il le seul à pouvoir recadrer les errances des macronistes, selon vous ?

Judith Waintraub : Permettez une remarque préalable : de François Bayrou aujourd’hui à Jean-Yves Le Drian il y a quelques jours, en passant par Gérard Collomb avant sa démission, tous ceux qui ont émis des réserves sur la façon dont Emmanuel Macron dirigeait la France sont d’une génération bien plus ancienne que celle d'Emmanuel Macron. Ce sont de « vieux » politiques, ils ne sont pas nés avec En Marche. Ils n'ont pas la culture des start-uppers macroniens. Ils sont donc d'une certaine façon à la fois dans et hors du système.

C'est cette position qui fait d'eux les seuls à pouvoir essayer de recréer le lien cassé entre Emmanuel Macron et les Français.

Jean-Philippe Moinet : François Bayrou n’est pas le seul à pouvoir corriger des écarts de langage mais son poids politique, dans l’alliance qu’il a nouée depuis le printemps 2017 avec Emmanuel Macron, fait que ses paroles portent et comptent beaucoup pour les responsables de LREM. Benjamin Griveaux a ainsi appelé François Bayrou pour démentir un propos que lui prêtait un confidentiel de presse. Aujourd’hui l’extérieur du Gouvernement, le Président du MODEM joue les vigies : il invoque le pacte qu’il dit avoir nouer avec le chef de l’Etat, où le Maire de Pau défend une certaine idée de la vie et de l’égalité sociale  et le respect dù aux catégories modestes et rurales de la population. Lui le girondin montre aussi à l’élu parisien Griveaux qu’il faudra compter avec lui, et son mouvement, dans les périodes à venir : les européennes de 2019 bien sûr mais aussi les municipales de 2020, les élus centristes devant être respectés, reconnus et même valorisés. La conquête de la Mairie de Paris, par exemple, ne pourra se concevoir, à ses yeux, que dans le cadre d’un accord politique associant étroitement le Modem. Ce qui a valu pendant la campagne victorieuse du 1er tour de la présidentielle, puis les législatives, doit valoir, pour François Bayrou et ses proches, aux élections suivantes.

« J'ai trouvé [dans] cette phrase le contraire de ce que nous avons voulu bâtir avec le président de la République » a avancé François Bayrou. Alors que le vent semble avoir tourné en défaveur du Président de la République, que signale cet épisode de l'état actuel du « mariage de raison » conclu entre l'ancien représentant du centre et le candidat Macron durant la campagne ?

Jean-Philippe Moinet : Ce « mariage de raison » a en effet une importance particulière aujourd’hui, près de 18 mois après la grande vague LREM qui a déferlé à l’élection présidentielle et aux élections législatives. Le dernier remaniement a d’ailleurs montré qu’Emmanuel Macron concevait sa majorité comme une alliance, où le Modem joue un rôle pivot qui a été reconnu, par exemple par l’entrée au Gouvernement de l’ancien Président du Groupe Modem de l’Assemblée Nationale, Marc Fesneau, et par la promotion de la Ministre en charge du dossier-clé des Territoires, Jacqueline Gouraud, une proche de François Bayrou. Le Président du Modem n’est plus Ministre depuis l’été 2017 mais il n’est pas, loin s’en faut, inactif en Macronie. En coulisses, il a établi une relation, personnelle, de confiance et d’écoute avec le Président de la République. Ce « mariage de raison » ne s’affiche pas sur le devant de la scène mais il est réel et participe à l’équilibre de la majorité présidentielle. Le reflux de popularité, subi par Emmanuel Macron depuis l’été, fait que ce dernier est d’autant plus à l’écoute de ses alliés, actuels et potentiels. Son itinérance mémorielle cette semaine dans l’Est et le Nord de la France, passant par une série de villes moyennes économiquement en difficulté, est de nature à correspondre aux attentes et à la culture politique de François Bayrou, pénétré d’un sens à la fois de l’histoire et des territoires. S’il y a eu divergence public avec le lieutenant Griveaux, je ne pense pas qu’il y ait divergence stratégique avec le général Macron. C’est juste un signal de son existence et de son exigence politique, sur certains sujets.

François Bayrou peut-il se satisfaire d'une position marginale dans le dispositif du pouvoir ?

Judith Waintraub : Avant de parler de stratégie, il faut rappeler qu'il y a une sincérité chez François Bayrou. Son ralliement à Emmanuel Macron – même si refuse le mot et persiste à l’appeler « alliance » -  s'est fait au prix d'un lâchage définitif de ses compagnons de route de droite. Il a rompu avec eux au nom de sa conception de l'intérêt général, de cette conviction qu'il a toujours défendue qu'on ne peut pas gouverner un camp contre l'autre. Et il l’a fait à quitte ou double, donc il ne se réjouit pas de voir le président s’enliser. L'échec de Macron serait aussi le sien.

Partant de là, quelles sont aujourd’hui les intentions de Bayrou ? S’il a tant insisté pour parler d’alliance et pas de ralliement, c’est parce qu’il voulait évidemment peser en cas de victoire. Or il a été obligé de constater que depuis son élection, Macron ne se reconnaît pas d’alliés. Si l’on est avec lui, on adhère à sa personne et à son projet sans réserve et sans condition. Le président ne noue pas d’accord au sens politique du terme, même si pour obtenir le soutien de Bayrou, il a dû lui promettre d’aider le MoDem à avoir un groupe à l’Assemblée nationale.

Cette vision hégémonique du pouvoir s’étend jusqu’au fonctionnement de la majorité parlementaire. Un exemple : l’interdiction faite aux députés de La République en marche de voter pour un amendement déposé par un élu qui n’a pas l’étiquette LREM. S’ils l’approuvent, ils peuvent à la limite le redéposer en leur nom. Dans ces conditions, le Modem et François Bayrou font office de supplétifs de la majorité.

Macron chutant dans les sondages, on entend parler dans la majorité d’un rééquilibrage de la relation entre LREM et le MoDem. Aura-t-il lieu ? En tous cas, Bayrou le souhaite.

Peut-on imaginer que celui qui a toujours su manœuvrer pour se constituer en « faiseur de rois » rejoigne sa pente naturelle en reprenant finalement un rôle d'opposant au pouvoir en place ?

Jean-Philippe Moinet : Je crois que François Bayrou n’est qu’apparemment en position marginale. Il fait partie des quelques poids lourds de la majorité, certes contraint à rester en dehors du Gouvernement mais pour y revenir peut-être un jour en force, si son affaire judiciaire (celle des emplois présumés fictifs de son parti) qui l’a empêché de poursuivre son action au Ministère de la Justice se termine favorablement. On a même dit, pendant la période du dernier remaniement (qui était aussi une période de toutes les spéculations, y compris les plus infondées sur la solidité de l’actuel couple exécutif, Président-Premier ministre), que François Bayrou pouvait être une carte jocker pour la seconde partie du quinquennat,  en cas de besoin : soit en rentrant au Gouvernement en tant que Ministre d’Etat ; soit en étant Premier ministrable. Ce n’est évidemment pas d’actualité actuellement et dans le court terme mais c’est une hypothèse pas totalement absurde, à moyen ou long terme. L’image de François Bayrou, qui a toujours milité pour le dépassement du clivage gauche-droite - ce thème du « rassemblement national » était même au cœur de ses campagnes présidentielles de 2007 et de 2012 – cette image et cette réalité sont de nature à rassurer Emmanuel Macron en des périodes où il a besoin de réconfort, et nous sommes dans l’une de ces périodes. La préparation des prochaines élections européennes, qui seront décisives à la fois pour l’Europe et pour la majorité en France, passera aussi par François Bayrou, qui aura plus qu’un mot à dire sur la composition de la liste de la majorité, qui devra à la fois comprendre des responsables de LREM, du Modem, de LR courant juppéiste, et des acteurs de la société civile qui voudront et surtout sauront relever le défi de l’engagement européen face aux assauts des mouvements nationaux-populistes. François Bayrou est à la croisée de tous ces chemins de composition politique. C’est peut-être ce qu’il a voulu, consciemment ou non, rappeler avec vigueur dans cet épisode à fleurets mouchetés avec Benjamin Griveaux.

Ne pourrait-il pas se révéler un allié de choix pour le président de la République, en rejoignant les rangs du gouvernement par exemple ? En d'autres mots, est-il premier ministrable ?

Judith Waintraub : Lui affirme que ce n'est absolument pas dans ses intentions. Ça serait vraiment une rupture nette dans tout ce qui a constitué la stratégie de Macron pour les raisons expliquées plus haut, sa vision hégémonique. Et puis quel serait l’apport de Bayrou ? Quand on nomme un premier ministre c'est pour consolider ou élargir sa majorité. Le MoDem malgré ses frustrations ne montre aucune velléité de quitter cette majorité. De plus, Bayrou reste aux yeux d’une grande partie de l’électorat de droite et même du centre-droit le traître absolu, celui qui a appelé à voter Hollande contre Sarkozy. Dans le contexte des Gilets jaunes, une population certes traversée de sensibilités diverses mais où l’on entend des discours très à droite, ainsi qu’un dégoût de la politique, jouer la carte Bayrou me semblerait contre-productif. Bien qu'allié au « Nouveau Monde », il incarne toujours largement ce que les Gilets jaunes rejettent dans la politique française depuis des décennies. Donc je ne vois pas Macron le nommer à Matignon, même si les deux hommes restent très proches et se parlent souvent.

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