Fin des primes carburants : mais au fait dans quelle proportion évolue vraiment la consommation d’essence lorsque les prix varient ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Quelle a été l’évolution de la consommation d’essence lorsque les aides financières ont été déployées par l'État ?
Quelle a été l’évolution de la consommation d’essence lorsque les aides financières ont été déployées par l'État ?
©FRANCK FIFE / AFP

Élasticité des prix

Certains ont considéré que les primes étaient une mauvaise idée pour l’environnement car elles soutiennent la consommation. Mais que disent les chiffres ?

Maxime Gautier

Maxime Gautier

Maxime Gautier est Chargé d'études couvrant le marché français chez Statista.

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Que savons-nous de l’évolution de la consommation d’essence lorsque la ristourne a été appliquée par l'État ? Que nous disent les chiffres ?

Maxime Gautier : Les données de la consommation mensuelle de carburant en France pour 2022 ne sont pas encore publiées.

Au-delà de l’exemple récent, comment évolue la consommation d’essence lorsque les prix varient en France ? 

 En France, le prix des carburants a été affecté en début d’année par la guerre en Ukraine et par l’augmentation globale du prix du baril de pétrole. C’est en mars et en juin où les tarifs étaient les plus élevés cette année. Si on regarde sur le temps plus long, on ne note pas de corrélation forte entre prix et consommation. C’est en 2016 où le prix du diesel était le plus faible ces dix dernières années, et pourtant, les automobilistes n’en ont pas profité pour plus consommer, 2016 étant même une année creuse dans la consommation totale de carburant en France sur la période 2004-2019.

Michel Ruimy : Dans le passé, les variations du prix des carburants, fréquentes et d’ampleur souvent importante, ont suscité, parmi les consommateurs, des inquiétudes et des incertitudes sur leur pouvoir d’achat. Pour cette raison, ces tarifs sont suivis avec attention par les pouvoirs publics. De nombreux rapports ont été rendus sur le sujet et récemment, une « remise carburants », prolongée jusqu’à la fin de l’année, a été mise en place pour limiter la forte hausse de ces derniers mois.

Comment les Français se sont adaptés à la récente flambée du prix des carburants ? Dans le langage de l’économie, l’élasticité-prix est l’indicateur qui mesure la réaction de la demande face à une variation du prix d’un service / produit. Elle est, en règle générale, de signe négatif, car la demande est une fonction décroissante du prix (loi de la demande).

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Rappelons que le carburant vendu dans les pompes à essence françaises n’est pas le plus cher d’Europe. Pour le « sans plomb », la France se situe dans la moyenne des tarifs pratiqués en zone euro et, pour le gazole, dans le groupe des nations où le tarif est le plus élevé. En outre, elle n’est pas championne d’Europe des taxes sur les carburants (près de 60%). Dans bon nombre de pays de l’Union européenne (Pays-Bas, Finlande, Grèce, Royaume-Uni, Allemagne, Belgique, Italie), cette proportion y est supérieure.

Il ressort que, à court terme, la consommation des carburants n’a diminué que faiblement. Au cours des dernières semaines - lorsque le prix de l’essence est passé à plus de 2 euros -, la quantité demandée par les conducteurs a été relativement insensible aux variations du prix (demande inélastique). Une consommation captive, sans réelle alternative. Cette situation cache de fortes disparités selon le niveau de vie : les ménages les plus aisés réagissent moins au prix du carburant que les ménages modestes. Autrement dit, les consommateurs - le plus souvent ouvriers et employés, ruraux et périurbains, jeunes et célibataires - n’ont pas pu faire autrement que de payer en rognant sur certaines dépenses pour faire le plein. N’oublions pas que n’ayant pu diminuer leur consommation - du fait d’une demande inélastique - en réaction à la hausse du prix, les « Gilets Jaunes » sont descendus protester dans la rue.

La hausse vertigineuse du carburant n’a pas dégradé fortement la situation financière des ménages. Pour y faire face, les foyers ont grignoté le surplus d’épargne qu’ils avaient accumulé pendant la crise sanitaire. Les niveaux d’épargne des ménages les moins aisés sont mêmes moindres qu’« avant crise ». La ristourne généralisée s’avère être plus favorable aux ménages les plus aisés, la part de ces dépenses dans leur consommation totale étant plus faible, par construction, puisqu’ils disposent d’un budget plus élevé. Ainsi, appliquer une ristourne généralisée à la pompe est une mesure « régressive ».

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Cette situation peut évoluer dans le temps. Une étude plus approfondie pourrait montrer qu’une hausse durable influe profondément les modes de vie et comportements écologiques de déplacement des Français qu’à long terme. Les consommateurs peuvent envisager de rouler dans une automobile moins énergivore comme une voiture électrique (report modal).

Sauf qu’en pratique, passer de la voiture à un autre mode de transport est beaucoup plus compliqué. En cause : les infrastructures de transport alternatives à la voiture fiables et confortables (ou plutôt, leur absence). Les automobilistes doivent avoir à leur disposition des infrastructures. Or, de nombreuses lignes ferroviaires régionales ont été fermées. Le réseau cyclable, que ce soit en ville et à la campagne, est peu développé.

De manière générale, dans les mobilités le principe est simple : donnez des infrastructures aux usagers et ils les utiliseront. Le gouvernement souhaite que la population se déplace en voiture ? Construisez des routes. Qu’elle prenne le vélo ? Construisez des pistes cyclables. Qu’elle prenne les transports en commun ? Construisez et opérez à un bon niveau de service des lignes de transport en commun.

Faire la morale aux automobilistes en leur expliquant qu’1 litre d’essence à 2€ est une opportunité de privilégier leur vélo plutôt que leur voiture est incompréhensible. En l’absence d’infrastructures alternatives à la route suffisantes, vous pourrez donner autant de leçons de morale que vous voudrez, tant que ces infrastructures ne seront pas construites, il sera difficile de procéder à un report modal massif. Et une fois encore, construire ces infrastructures prendra du temps

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Réduire à une posture moralisatrice un phénomène aussi riche et multidimensionnel que les mobilités est dangereux. Ne pas prendre en compte la complexité des problèmes réduit la possibilité de mettre en place des politiques publiques environnementales efficaces et ambitieuses pour les résoudre. À chaque fois qu’une stratégie rate ses objectifs, nous retardons un peu plus l’horizon de la transition écologique et, ceci, même si nous sommes mus par les meilleures intentions. L’échec se fiche de nos intentions.

Avons-nous des données sur ce qu’ont pu être les évolutions de consommation dans d’autres pays ? 

Maxime Gautier : Au Royaume-Uni, malgré une explosion des prix à la pompe du diesel et de l’essence entre janvier et juillet 2022, le volume total de vente de carburant a stagné. Globalement, le carburant est un produit inélastique, c’est-à-dire que lorsque le prix évolue, la consommation n’évolue pas en conséquence. Si l’on se réfère au prix du baril de pétrole, on observe de très fortes fluctuations des prix, mais une consommation totale qui stagne ou diminue très légèrement, comme en France. Cette diminution peut également s’expliquer par d’autres facteur comme l’amélioration des moteurs thermiques et leur diminution de consommation aux 100 kilomètres, l’agrandissement du parc automobile électrique ou le recours à d’autres moyens de transport comme les vélos électriques.

Les primes gouvernementales soutiennent-elles la consommation ?

Maxime Gautier : Il est difficile d’affirmer que les primes gouvernementales sur le carburant mis en place depuis avril ont eu un impact sur la consommation d’essence et de diesel, il faudra attendre les publications de l’année 2022 pour faire une étude plus approfondie. Cependant, cette aide et donc ce budget épargné pour les transports va être dépenser sur d’autres postes de dépense comme le logement ou la nourriture pour lesquels les prix s’envolent également. L’INSEE indiquait que l’inflation actuel mobilisait davantage l’épargne des revenus des Français, surtout les plus modestes.

Si le prix du carburant ne fait pas vraiment évoluer la consommation d'essence, quels sont les autres critères qui peuvent l'influencer ? 

Maxime Gautier : Il y a également d’autres facteurs sociétaux qui peuvent expliquer une diminution de la consommation de carburant. En 2021, plus d’un tiers des Français déclaraient favoriser les déplacements à pied ou vélo plutôt qu’en voiture afin de réduire l’impact écologique de leurs mobilités, selon un sondage de l’Ipsos. Globalement, le recours à la voiture tend à diminuer légèrement, entre 2018 et 2019, le parcours moyen annuels des automobilistes avait diminué de presque 1.000 kilomètres.

La variation du prix des transports en commun peut également faire varier la consommation de carburant. En Allemagne, le gouvernement fédéral a mis en place un ticket unique mensuel à 9 euros entre juin et août 2022. Selon la fédération des entreprises du transports (Verband Deutscher Verkehrsunternehmen) en Allemagne, il y a une hausse significative du nombre de passagers dans les bus, métro et trains régionaux et ils ont constaté une baisse des déplacements en voiture. Toujours selon la fédération, l’Allemagne aurait évité l’émission de 1,8 millions de tonne de CO2 supplémentaires grâce à cette mesure.

Le recours à d’autres services de transport comme le covoiturage, peut avoir un effet, bien que négligeable, sur la consommation totale.

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