Fautes stratégiques et micro-management : la responsabilité personnelle de Vladimir Poutine se voit de plus en plus dans les échecs de l’armée russe<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine et Serguei Lavrov lors d'une cérémonie officielle.
Vladimir Poutine et Serguei Lavrov lors d'une cérémonie officielle.
©ALEXANDER ZEMLIANICHENKO / POOL / AFP

L'Ukraine, nouvel Afghanistan ?

Face aux erreurs et aux failles en matière d’organisation au sein de l'armée russe depuis le début de l'offensive en Ukraine, les voix dissonantes et les critiques de généraux russes à la retraite peuvent-elles influencer Vladimir Poutine et faire évoluer sa stratégie militaire ?

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : Au regard de la situation militaire actuelle sur le front en Ukraine, Vladimir Poutine aurait-il mieux fait d’écouter le général russe à la retraite Leonid Ivashov, président de l'Assemblée panrusse des officiers, qui avait accusé le dirigeant russe d'utiliser l’opération spéciale pour détourner l'attention des problèmes intérieurs de la Russie et prédisant qu'une attaque ferait de la Russie un « paria de la communauté internationale » ? 

Viatcheslav Avioutskii : Le général Ivashov a en partie raison. De nombreux experts ont démontré le caractère multifacettes de cette guerre, de l’opération militaire spéciale déclenchée par Vladimir Poutine. Parmi les objectifs, il y avait effectivement la volonté de la part de Vladimir Poutine de resserrer son socle électoral qui commençait à s’effriter progressivement. En lançant la guerre en Ukraine, Vladimir Poutine voulait reproduire le « Printemps russe » de2014 afin de provoquer une euphorie d’une partie de la population russe pour oublier les problèmes et les difficultés internes au sein du pays. Il s’agissait d’un des objectifs de Vladimir Poutine.

Les critiques de certains militaires du régime de Poutine ou de certains généraux à la retraite ont-elles des chances de faire évoluer Vladimir Poutine sur l’issue de la guerre et sur sa stratégie militaire ?

Effectivement, Vladimir Poutine et son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, ont été vivement critiqués pour la conduite de cette guerre. Il y a eu beaucoup de problèmes concernant la véracité du renseignement militaire. Les prédictions tablaient sur une situation complètement différente en Ukraine en février 2022. Selon ces renseignements, les Ukrainiens devaient accueillir les Russes comme des libérateurs. Le régime de Volodymyr Zelensky était considéré comme un régime politique faible et qui devait s’effondrer. 

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La Russie et le chef du Kremlin se sont illustrés par une très grande incompréhension du fonctionnement de la démocratie. Le système ukrainien est bien démocratique. Volodymyr Zelensky a été élu par une large majorité de la population. La Russie a eu tort d’imaginer que son régime ait pu être renversé dès le début de cette offensive.

L’armée russe, par sa rigidité, n’a pas su s’adapter face à une situation qui était en train d’évoluer très rapidement. Les troupes auraient dû être redéployées sur certains objectifs stratégiques alors qu’elle est restée dispersée sur plusieurs fronts jusqu’au début du mois d’avril.   

D’autres erreurs de Vladimir Poutine ont été fustigées, notamment son manque de vision stratégique. 

Vladimir Poutine, selon les sources de renseignement occidental, intervient désormais directement dans la conduite de la guerre, dans une sorte de micro-management des situations très localisées par exemple à Lyman ou près de Kherson. Vladimir Poutine s’est opposé à la demande des militaires et des généraux qui souhaitaient se retirer de la rive droite du Dniepr. 

Il y a donc une forte contradiction entre les objectifs politiques et les capacités militaires de l’armée. Les généraux n’arrivent pas à comprendre quels sont les objectifs militaires de cette opération. Les objectifs politiques ne sont pas très bien définis également. 

Vladimir Poutine essaye d’atteindre un objectif politique avec des moyens militaires qui ne sont pas adaptés à ce type d’opération. Il visait un changement de régime en Ukraine, avec un changement d’attitude de la population et l’émergence d’un régime favorable. L’armée n’est pas adaptée pour cela. La voie diplomatique et l'utilisation du soft power conviennent mieux à ce type d'objectifs. 

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Il y a donc toute une série de contradictions et de critiques sur la stratégie russe déployée dans le cadre du conflit en Ukraine. Il y a de plus en plus de critiques parmi les généraux à la retraite commele général Ivashov.

Ramzan Kadyrov et Evguéni Prigojine ont aussi critiqué la conduite de la guerre sans toutefois s'attaquer à Vladimir Poutine, avec lequel ils entretiennent une relation très étroite. Ils sont tous les deux à la tête d’armées privées ou quasi-privées indispensables en Ukraine et critiquent assez violemment l'armée professionnelle. A leur tour, les officiers de cette armée professionnelle sont perturbés par la multiplicité de formations présentes sur le front: Wagner de Prigojine, les unités de Kadyrov, les milices, qui de facto bénéficient d'une large autonomie et dont le contrôle leur échappe. Nous assistons à une grogne et à des tensions entre les officiers, les généraux et les hommes politiques. Vladimir Poutine essaye de manœuvrer entre les divers acteurs dans ce conflit. 

La Russie a annoncé le remplacement de son plus haut gradé chargé de la logistique alors que l’offensive en Ukraine a montré des difficultés en matière d’organisation. « Le général d'armée Sergueï Sourovikine a été nommé commandant du groupement combiné de troupes dans la zone de l'opération militaire spéciale » en Ukraine, a annoncé le ministère russe de la Défense sur Telegram. Qu’est-ce que cela souligne d’un point de vue stratégique et militaire et sur la suite du conflit ? Et notamment au regard de la récente mobilisation générale ?

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Il y a eu déjà plusieurs changements à la tête du groupe des forces armées qui sont impliquées dans l’opération militaire spéciale en Ukraine. Il n’y a pas de réelle évolution stratégique derrière cette évolution. Sergueï Sourovikine n’a jamais été considéré comme un grand stratège. Il a suivi une carrière militaire classique au sein de l’armée russe. Il a été directement impliqué dans le coup d’Etat d’août  1991. Il a dirigé l’unité en personne qui a conduit à la mort de trois opposants. Avec des blindés, ils avaient essayé de prendre d’assaut le siège du gouvernement russe, dirigé à l’époque par Boris Eltsine. Sergueï Sourovikine a été emprisonné, mais ensuite amnistié. Il a ensuite servi au Tadjikistan et s’est battu en Tchétchénie et en Syrie. Cette nomination ne correspond donc pas réellement à une innovation stratégique dans la conduite de la guerre par la Russie. 

En revanche, symboliquement, de nombreux observateurs ont souligné que la nomination à ce poste de Sergueï Sourovikine évoquait un retour et une certaine nostalgie envers l’Union soviétique, au regard de sa participation en tant que militaire à une tentative de sauvetage du modèle soviétique en 1991. 

En Syrie, il s'est appuyé sur la surutilisation de la puissance de feu que l'on retrouve également en Ukraine. Il s'agit depuis l'époque soviétique d'utiliser cette stratégie pour combler les déficiences de la pensée stratégique. 

En revanche, l’officialisation de cette nomination et le fait de citer directement son nom est une grande première en Russie. Jusqu’ici, un flou persistait dans l’organigramme militaire russe. Les personnes à la tête des opérations n’étaient pas officiellement connues ou citées. Il y a eu beaucoup de rotations à ce poste-là. 

Vladimir Poutine veut passer un message via cette nomination. 

En plus de l’armée régulière russe, les troupes professionnelles renforcées par les mobilisés, il existe deux armées quasi-privées, les mercenaires de Wagner de Prigojine et les bataillons de Ramzan Kadyrov. Il y a également l’armée séparatiste de Donetsk et de Louhansk. 

Vladimir Poutine, en nommant ouvertement les personnes à la tête de toute l’opération, envisage en réalité de fusionner ces différents corps d’armée. Il ambitionne d’intégrer les milices séparatistes au sein de l’armée régulière après l’annexion de certains territoires en Ukraine. 

Une explosion a gravement endommagé ce samedi matin le pont traversant le détroit de Kertch et reliant depuis 2018 la Russie à la Crimée annexée. Au-delà du symbole, cet incident fragilise-t-il encore un peu plus la Russie ? Comment ne pas avoir pu protéger un tel site ? S’agit-il d’une nouvelle faille stratégique et militaire ?

La portée symbolique et politique de ce qu’il s’est passé sur ce pont dépasse largement l’utilité purement stratégique. Une partie du pont a été détruite par l'explosion. Les Russes ont interdit l’utilisation de ce pont aux poids lourds. Ils ont relancé le ferry qui existait avant l’inauguration du pont. La structure du pont ferroviaire devra être également surveillée suite à la violente explosion. Sur le plan stratégique, pendant un certain temps, cela va réduire le flux logistique entre la Russie continentale et la Crimée. 

Cet événement a une portée symbolique et politique. Les individus derrière cet attentat voulaient montrer que la Russie est vulnérable et que même un ouvrage aussi symbolique sur le plan politique et géopolitique peut être atteint. Pour rappel, ce pont a été inauguré par Vladimir Poutine, il constituait un symbole d’unification entre la Crimée et la Russie. Cela a démontré qu’un tel ouvrage était bel et bien vulnérable. Côté ukrainien, des menaces avaient été proférées vis-à-vis de ce pont-là. Mais le camp ukrainien avait précisé jusqu’alors qu’ils n’avaient pas de moyens techniques pour atteindre ce pont.

Ndlr : Cette interview a été réalisée le dimanche 9 octobre, avant les bombardements massifs de l’armée russe dans plus d’une vingtaine de localités en Ukraine, dont la ville de Kiev, avant le Conseil de sécurité organisé par Vladimir Poutine ce lundi 10 octobre

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