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Faim chinoise d'or, fin du dollar américain ?
©Reuters

Monnaies, monnaies, monnaies

Devenir une puissance monétaire mondiale : c’est ce que veut la Chine, à côté des États-Unis (pour commencer), donc avec le Yuan à côté du Dollar (pour le grignoter). Pas facile, pas immédiat, mais obligatoire dans l’optique chinoise.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Devenir une puissance monétaire mondiale : c’est ce que veut la Chine, à côté des États-Unis (pour commencer), donc avec le Yuan à côté du Dollar (pour le grignoter). Pas facile, pas immédiat, mais obligatoire dans l’optique chinoise. La Chine en effet, qui n’est pas sensible aux alternances démocratiques, suit une stratégie à long terme : devenir la première économie du monde, et le rester. Le devenir, c’est mécanique, sauf crise économique. Avec un PIB de 12 240 milliards de dollars en croissance de 6% l’an, contre 19 400, en croissance de 2% pour les États-Unis, si rien ne change, le PIB chinois dépasse mathématiquement l’américain en 2031 ! Un peu plus de dix ans, autant dire tout de suite. Le rester, c’est autre chose ! C’est pourquoi la Chine développe ses « routes de la soie », pour relier par train, route et mer l’Asie à l’Europe, sans oublier l’Afrique. Elle aura ainsi créé des débouchés et des chaînes de production bien à elle : de la croissance non américaine. Plus des alliés politiques, tout au long des voies. Le rester, c’est aussi devenir une puissance militaire. Mais cela ne suffit toujours pas.

Il ne s’agit pas en effet de devenir « le premier PIB du monde », et même une puissance militaire et diplomatique de premier plan, si la monnaie n’est pas là : le Yuan. C’est le statut de monnaie mondiale de réserve qui ancre la puissance dans la durée. Ceci commence par les échanges, en demandant qu’ils soient de plus en plus libellés en Yuan, non en dollars. Mais pas seulement.

Pour que le Yuan devienne une monnaie mondiale d’échange et de réserve, notamment pour les monnaies moins importantes, il faut qu’il renforce ses propres réserves dans un actif incontestable. Le dollar ? Non bien sûr ! L’euro ou la livre sterling ? Un peu. L’or ? Surtout. Voilà pourquoi la Chine se remet à en acheter, doucement pour ne pas trop faire monter son prix. Mais sûrement, car il lui en faut beaucoup. Décembre 2018 : 10 tonnes d’or, janvier 2019 : 12, février : 10 autres. Voilà trois mois que la Chine achète à nouveau de l’or, pour 32 tonnes. « Officiellement », selon la People’s Bank of China, elle en détient 1 853 tonnes, soit 60 millions d’onces et 80 milliards de dollars. Surtout, elle qui n’avait officiellement rien acheté depuis octobre 2016, reprend ses emplettes en marches d’escalier : 2005, 2009, 2016. « Officiellement », on en voit le résultat : la Banque centrale de Chine en avait révélé, 1658 tonnes en juin 2015, contre 1054 en 2009. 75% de plus en dix ans !

1853 tonnes : c’est loin des 4000 supposées ou des 10 000 fantasmées, notamment par rapport aux 400 à 500 tonnes annuellement achetées à Hong Kong depuis 2009, et qu’on supposait transportées à Pékin et aussi des 450 tonnes supposées extraites chaque année dans le pays, et vendues nulle part. C’est peu par rapport aux « grandes réserves » : les plus de 8300 tonnes américaines, plus de 3400 allemandes, plus de 2400 françaises et italiennes et russes. Mais c’est rien par rapport aux réserves financières chinoises, avec 1 100 milliards de bons du trésor américains. Elles sont la contrepartie du déficit commercial américain, pour le faire accepter, au temps où il ne posait pas de problème ! Cet or représente moins de 3% du total des réserves de change du pays, contre 74% pour les réserves américaines ou 59% pour les françaises. Rien de rien !

L’histoire est donc écrite : la Chine va acheter de l’or, ne plus acheter de bons du trésor américain, demander aux pays avec lesquels elle commerce de garder dans leurs réserves les yuans avec lesquels elle les paye, yuans de plus en plus « garantis » en or. En même temps, elle va faire école : si l’or monte contre le dollar, de plus en plus de pays, en Asie bien sûr, à l’Est ensuite, en Afrique désormais vont en vouloir !

Et comme l’or va monter, pour motif de diversification des banques centrales, l’idée de « dé-dollarisation » va monter aussi dans les marchés financiers.Pour la première fois depuis 2012, la valeur totale des réserves d'or des fonds adossés à l’or sur les ETP (Exchange-Traded Products) a dépassé 2 440 tonnes, 100 milliards de dollars (Conseil mondial de l'or). Ces capitaux servent à acheter des lingots détenus dans des coffres forts. Mieux encore, comme l’argent afflue, les frais de gestion baissent.  

L’or n’a pas fini de monter : le dollar devrait s’en inquiéter, avec sa dette et son déficit public. Le risque est la remontée des taux longs américains, qui expose moins la Chine. Inquiétudes commerciales, géopolitiques et politiques, questions sur l’indépendance de la Fed et de la BCE, achats de métal par les banques centrales à la suite de la Chine qui veut « orifier » ses réserves, donc baisse de l’euro et du dollar par rapport à l’or : tout s’ajoute ! La faim chinoise d'or annonce la fin d’un dollar américain sans souci. La phrase du Secrétaire au Trésor John Connally en 1971 : « Le dollar est notre monnaie, mais votre problème », devient : « Le dollar : moins votre monnaie, plus notre problème ! »

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