Evolution des sanctions Hadopi : l'accès à internet doit-il être considéré comme un droit fondamental ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Ne pas avoir accès à Internet revient à être coupé de l'essence même de la vie moderne.
Ne pas avoir accès à Internet revient à être coupé de l'essence même de la vie moderne.
©DR

Libre accès

La ministre de la Culture Aurélie Filippetti vient d'annoncer la suppression de la sanction de coupure d'accès à Internet prévue par Hadopi. L'accès à Internet est-il devenu un droit fondamental au 21e siècle ?

David Fayon

David Fayon

David Fayon est responsable de projets innovation au sein d'un grand Groupe, consultant et mentor pour des possibles licornes en fécondation, membre de plusieurs think tank comme La Fabrique du Futur, Renaissance Numérique, PlayFrance.Digital. Il est l'auteur de Géopolitique d'Internet : Qui gouverne le monde ? (Economica, 2013), Made in Silicon Valley – Du numérique en Amérique (Pearson, 2017) et co-auteur de Web 2.0 15 ans déjà et après ? (Kawa, 2020). Il a publié avec Michaël Tartar La Transformation digitale pour tous ! (Pearson, 2022) et Pro en réseaux sociaux avec Christine Balagué (Vuibert, 2022). 

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Atlantico : Aurélie Filippetti a annoncé la fin de la sanction de coupure d'accès à Internet prévue dans la loi Hadopi. Elle devrait être supprimée le mois prochain. Comment expliquer cette décision ?

David Fayon : Hadopi était un projet voué à l’échec dès le départ. Techniquement, cette loi est inefficace car on peut télécharger de façon anonyme en passant par des sites proxy par exemple. Cette suppression est simplement un effet d'annonce consécutif au rapport Lescure. Attendons de voir ce qui en découlera concrètement. L’association La Quadrature du net fait justement remarquer que le passage vers une amende administrative aurait pour effet de multiplier considérablement les condamnations mais surtout que le recours en cas de litige serait très difficile. Avec Hadopi, couper l'accès à Internet pour un particulier revenait à le priver d'un droit fondamental même si l’objectif d’Hadopi était avant tout dissuasif. D'autant plus qu'il suffit d'une connexion Wi-Fi mal sécurisée ou qu'un tiers utilise votre ordinateur pour être en infraction et donc être poursuivi... Cette coupure était une mesure contestable en plus d'être techniquement aberrante. Pour autant le débat est loin d’être clos et une troisième voie qui se serait ni Hadopi ni la licence globale reste encore à trouver. Il conviendrait de véritablement remettre à plat les politiques quant aux industries créatives pour les adapter à la nouvelle donne numérique.

L'accès à Internet peut-il être considéré comme un droit fondamental ? Pour quelles raisons et dans quelles limites ?

Oui, c'est un droit aussi fondamental que l'accès à l'eau ou à l'électricité. Ne pas avoir accès à Internet revient à être coupé de l'essence même de la vie moderne : l'achat à distance, la recherche d’emploi, la communication via les médias sociaux, les démarches administratives, etc. Cela revient à une violation de la liberté du citoyen contemporain. Il faut toujours penser l'accès à Internet comme un droit soumis à un équilibre. Et bien sûr le fait d'utiliser Internet de façon déraisonnable c’est-à-dire si son utilisation enfreint la bonne marche de la société doit être sanctionné même si c’est délicat à mettre en œuvre et que des dérives liberticides sont à craindre. Les droits engendrent toujours des devoirs. Utiliser Internet doit être soumis aux limites de la loi - et encore, concernant le téléchargement par exemple, cela reste à voir puisque le préjudice n'est pas toujours avéré. Utiliser Internet pour pratiquer des cyber-attaques, fomenter des actions terroristes, animer un réseau de stupéfiants, etc. est infiniment plus condamnable !

Peut-on se passer du Web aujourd'hui ? Quelles sont les conséquences que cela implique ?

On peut très difficilement s'en passer dans notre société moderne. Par exemple, avant l’avènement du téléphone, on arrivait à vivre sans. Quand il a fait son apparition, il y a eu progressivement un effet d'accoutumance et il devient impossible de faire marche arrière. C'est la même chose avec Internet aujourd'hui. On ne pourrait pas vivre aujourd'hui comme on vivait il y a vingt ans sauf pour quelques marginaux qui s'en accommoderaient très bien. Cette vie ne serait pas acceptable pour la majorité des citoyens habitués au numérique, et cela constituerait en une régression des possibilités offertes par la technologie. Une fois le progrès acquis, il est très difficile de changer les comportements des utilisateurs. Sans compter qu'Internet est créateur de valeur : économiquement, se passer du web serait une catastrophe pour l’emploi.

Stavros Lambrinidis a rendu un rapport au Parlement européen sur le sujet. Il a déclaré que « l 'illettrisme informatique sera l'illettrisme du XXIe siècle » . Dans quelle mesure cette déclaration est-elle exacte ?

Ce que l'on appelle "alphanetisation" selon l’expression de Louis Naugès est le fait de savoir utiliser Internet et ses outils. A contrario ne pas maîtriser Internet crée une fracture numérique qui s'ajoute à la fracture sociale souvent liée aux fondamentaux que sont lire, écrire et compter. Il faut maintenant ajouter comme acquis fondamental le fait de savoir utiliser le web. Cette non-alphanetisation entraîne des difficultés à trouver un emploi par exemple, notamment pour les jeunes et les seniors, qui sont deux cibles importantes touchées par le chômage. Il faut donc envisager une formation aux sciences numériques dès le primaire et non pas en Terminale uniquement pour les sections scientifiques comme c'est le cas actuellement, mais aussi une formation pour les personnes qui sont déjà insérées professionnellement mais qui maîtrisent mal ces outils. Pour une réorientation professionnelle par exemple, la maîtrise d'Internet est un avantage considérable.

Plus que l'accès à Internet, n'est-ce pas la liberté d'expression qu'il faut garantir et protéger sur le web ? Internet n'est-il pas finalement qu'un moyen d'accès aux libertés fondamentales ?

Le Conseil National du Numérique a récemment préconisé d'inclure la neutralité d'Internet - principe fondateur du réseau - dans la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. La neutralité d’Internet a déjà une valeur constitutionnelle dans plusieurs pays comme les Pays-Bas, le Chili ou la Slovénie par exemple. De plus, il faut développer les infrastructures afin qu'Internet soit accessible au plus grand nombre possible de citoyens. Et encore une fois, il faut qu'Internet puisse être utilisé par tous mais jusqu'à un certain point. La liberté s'arrête en cas d'injure, de diffamation, etc. L'accès à Internet oui, pour tous dans la mesure du possible selon les conditions de connexion sur le territoire qui restent à maximiser (îles, zones montagneuses ou rurales). La responsabilité face à ses actes, même sur Internet, reste fondamentale.

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