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Comment les Verts 
ont tué Europe Écologie
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Tu quoque mi fili

Alors que Nicolas Hulot a pris ses distances avec Europe Écologie Les Verts, le futur du parti écologiste - déjà très remuant - semble correspondre à un retour vers le passé. La structure idéologique en moins.

Jean Jacob

Jean Jacob

Docteur en science politique, Jean Jacob est maître de conférences à l'Université de Perpignan. Il a notamment publié Les Sources de l'écologie politique (Arléa/Corlet) et Histoire de l'écologie politique (Albin Michel).

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Atlantico : Nicolas Hulot, dépité, a annoncé cette semaine que sa courte carrière chez EELV (Europe Écologie Les Verts)  ne lui avait rien apporté de bénéfique. Qu'en pensez-vous ?

Jean Jacob : En réalité, non seulement cela ne lui a rien apporté, mais il a même beaucoup perdu, à commencer par son salaire mensuel, sachant qu'il a dû abandonner l'ensemble de ses fonctions à la télévision. Son engagement était toutefois risqué, et il ne pouvait en être autrement au regard des multiples reproches qu'on lui a adressées : son amitié envers les multinationales, le fait d'être riche... Bien que sincère dans ses convictions, il a donc dû abandonner, et a perdu gros dans cette affaire. Restent ses liens étroits aux multinationales qui l'ont soutenu, et la nécessité pour lui de clarifier la situation.

Mais si l'on ne considère que son discours, et ce sur plusieurs années, on découvre un homme qui s'est de plus en plus ouvert à des variables sociales, économiques et politiques. Son discours était autrefois moins pugnace, mais bien qu'ayant intégré toute une série de variables nouvelles, cela n'a pas suffit. La fibre de gauche, qu'on peut trouver chez René Dumont ou d'autres, lui manquait.

Vous voulez dire que ce que reprochent finalement les militants EELV à Nicolas Hulot, c'est d'être de droite ?

Sur le fond et d'après son parcours, on peut dire que Nicolas Hulot a un côté boyscout : il peut discuter de tout, avec tout le monde, et convaincre des acteurs qui ont des intérêts antagonistes par rapport à la cause environnementale. C'est ce qui lui est beaucoup reproché, cette tentative de concilier des intérêts qui sont inconciliables.

Le journal La Décroissance nous en donne un bon exemple. Il a lancé un pacte contre Hulot, mais la sincérité de l'homme n'a pas été mise en cause, le compagnonnage avec les multinationales par contre si. En particulier quand on sait que ces dernières, soucieuses du greenwashing, profitent d'une certaine candeur de Nicolas Hulot. A ce niveau, l'instrumentalisation du personnage est certainement de mise.

Entre le lancement d'EELV par Daniel Cohn-Bendit et le départ de Nicolas Hulot, comment jugez-vous l'évolution de ce parti un peu atypique ?

Les Verts sont un parti très remuant, avec des tendances et des sous tendances, voire même des cotés hystériques dans les débats.
De manière pragmatique, au niveau de la sociologie électorale, ce n'est pas forcément une bonne chose d’avoir rebaptisé les Verts en EELV. En effet, si l'on se penche sur les intérêts de l'électorat français, ce n'est pas cette question à proprement parler qui mobilise, mais plutôt le travail, l'emploi, le pouvoir d'achat, etc... Surfer sur la vague européenne en pensant que cela était susceptible d'être porteur était une stratégie maladroite.

Depuis quelques années, un profil électoral se dégage - même si une évolution aux marges peut être recensée -, il s'agit majoritairement de «bobos» qui ont des affinités avec le PS. Ce qui explique l’électorat fluctuant : on passe de 2% - 3% à l'élection présidentielle à 16 % aux européennes, et ce en fonction du candidat socialiste en face.


Peut-on affirmer que l'électorat «bobo» est plus volatile qu'un autre électorat ?

C'est un électorat qui oscille entre Le PS et Les Verts, ce qui explique que Les Verts passent de 2-3% avec Dominique Voynet pour la présidentielle à 16 % aux européennes. Le profil sociologique électoral est commun avec le PS, d'où cette logique des vases communicants entre les deux partis.

Les Verts ont-ils eu la peau d'EELV, en vidant la formation de sa spécificité et en revenant à une politique plus classique d'un parti de gauche ?

Ils ont confondu alliance électorale provisoire et parti définitif. Pour chaque élection, il y a un cartel de partis ou de mouvements qui se crée, mais pareille formation est vouée à disparaitre. Les Verts ont donc voulu pérenniser quelque chose de condamné à l'origine. Au sein des Verts les clivages sont déjà tranchés, en allant au-delà et en agglomérant des gens qui ne sont pas vraiment dans leur lignée, le devenir d'EELV était scellé.

EELV est donc condamné ?

Est-ce qu'il s'agit d'un cartel politique viable sur le long terme ? Jusqu'à la présidentielle peut-être. Après reste à voir... L'évolution des Verts en témoigne. Ils ont été très dispersés au niveau partisan, se sont éclatés souvent. Les verts en tant que tels, c'était un phénomène tout à fait singulier, pour la première fois il y avait un parti pérenne, le remettre en cause avec EELV, c'était risqué.

Cette évolution ne risque-t-elle pas d'entraîner la perte de l'électorat «bobo» qui risquerait de basculer au PS ?

C'est possible, d'autant plus qu'il y a le précédent de 2002, à savoir la crainte de retrouver Le Pen arbitrer le deuxième tour, et qui devrait inciter certains Verts à se rallier au candidat ou à la candidate socialiste dès le premier tour.

Comment synthétiser l'évolution de l'écologie politique depuis René Dumont ?

Au niveau doctrinal, le programme des Verts est quelque chose de très "caoutchouteux". On y trouve l'influence d'Edgar Morin avec l'insistance sur la complexité des interactions, qui se combine avec l'idée qu'il est possible d'agir de manière volontaire... Bref, quelque chose de très fouillis, incompatible. Au profit d'un agglomérat de différentes théories, l'épine dorsale de l'écologie politique est sacrifiée.

Le profil des dirigeants Verts a lui même changé, Cécile Duflot a fait une école de commerce, Jean-Vincent Placé vient du monde de la finance, des profils inimaginables il y a 20 ans chez Les Verts, qui étaient soit des écologues, soit d'anciens étudiants en provenance des facs de lettres.

Et Eva Joly ?

C'est quelqu'un qui ne vient pas des rangs écologistes, qui a une réputation acquise dans le milieu judiciaire, mais pas de réflexion sur le rapport homme nature, l'environnement, et pas de philosophie écologiste.

C'est un peu décevant, en particulier pour un analyste politique, lorsqu'il n'y a plus d'idées politiques à proprement parler. Chez René Dumont, la grille d'analyse était celle de la gauche, tiers-mondiste, ralliée à certaines idées écologistes ; avec Brice Lalonde, des idées charpentées autour des rapports homme nature, couplées à la réflexion de Serge Moscovici, et nourries d'une contre-culture américaine très riche.

Là, il n'y a plus rien, exception faite de la référence à Edgar Morin, et très légère encore. Tout est à la fois noir et blanc. Un minimum qui ne permet pas l'action, qui ne donne pas de cohérence à l'action politique. Avec Dominique Voynet, en 1995, il y avait au moins une forme d'éco-socialisme proche de René Dumont, une cohérence. A force d'agglomérer une série de courants, le discours s'est affaibli.

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