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Études baclées : pourquoi la biologie française se fait rappeler à l’ordre sur des webforums
©Reuters

Rappel à l'odre

Dans un article récent, Le Monde pointe du doigt plusieurs affaires d’"inconduite scientifique" dans le domaine de la biologie, et précise que si les expériences en elles-mêmes ne sont pas frauduleuses, c'est la "présentation incorrecte, voire illicite, des résultats" qui pose problème.

Hervé Seitz

Hervé Seitz

Hervé Seitz est un chercheur spécialiste en biologie moléculaire. Il est rattaché à l'Institut de génétique humaine (IGH) de Montpellier.

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Atlantico : Dans un article récent, Le Monde s'intéresse à plusieurs affaires d’"inconduite scientifique" dans le domaine de la biologie, et précise que si les expériences en elles-mêmes ne sont pas frauduleuses, c'est la "présentation incorrecte, voire illicite, des résultats" qui est en cause. Est-ce un phénomène de plus en constaté dans la recherche en biologie ? Dans la recherche de manière générale ?

Hervé Seitz : En tant que biologiste, je remarque qu'effectivement, le phénomène semble de plus en plus fréquent - je ne suis pas assez familier des autres domaines scientifiques pour me faire une idée précise de l'évolution du phénomène hors-biologie. Mais il faut aussi garder à l'esprit que, ce qui est de plus en plus fréquent, c'est la révélation de ces manipulations frauduleuses. Il est possible que, par le passé, la fraude elle-même ait été aussi fréquente, mais qu'elle soit passée plus facilement inaperçue. Grâce au développement d'Internet, nous avons la chance de vivre dans une société un peu plus transparente, et si quelqu'un remarque une anomalie dans un article scientifique, il est maintenant beaucoup plus facile de le faire savoir, de demander des explications aux auteurs, etc. Peut-être qu'après tout, nous ne sommes qu'en train de vivre la transition vers un système objectivement meilleur, où la fraude sera détectée plus facilement ... Car il s'agit bien de fraude : quand on dit que la présentation des résultats est incorrecte, voire illicite, il faut bien comprendre ce que ça signifie. Ça signifie que les auteurs ont modifié les résultats de leur expérience avant de les présenter dans leur publication : ils font mentir leur expérience.

Le Monde rapporte que ces affaires naissent essentiellement de la nécessité de publier pour obtenir des financement, un recrutement, un avancement de carrière, la gloire... Il y a-t-il, dans le monde de la recherche, une quête de la publication ? Quelles autres raisons peuvent expliquer ces affaires ?

C'est indiscutable, il y a une « quête de la publication » dans le monde de la recherche. Il faut savoir que l'évaluation des chercheurs n'est pas une chose facile (ces gens-là cherchent à découvrir ce qui n'est pas encore connu : il est difficile de déterminer précisément, à l'avance, ce qu'ils sont censés avoir trouvé s'ils travaillent correctement). Or l'organisation du monde de la recherche a besoin d'évaluer les chercheurs, pour récompenser les plus méritants avec des progressions de carrière, ou pour savoir à quel laboratoire attribuer un financement (sachant que les financements disponibles sont très loin de couvrir les besoins réels : il faut donc faire un tri) ; devant ce problème, les évaluateurs (qui sont des chercheurs eux-mêmes, choisis par les instances) ont souvent tendance à compter les articles publiés par les chercheurs à évaluer, en pondérant ce nombre par des considérations opaques et irrationnelles sur le « prestige » des journaux scientifiques où ces articles ont été publiés. Moi-même, quand on me demande d'évaluer le travail de mes collègues, je tâche de prendre le temps d'aller plus loin, de lire véritablement les articles du chercheur, de mesurer à quel point il a dû faire preuve d'intelligence dans la préparation de ses expériences étant données les connaissances disponibles à ce moment-là, ... c'est un gros travail, et souvent, il faut également déterminer quelle était la contribution du chercheur à un article qui aurait plusieurs auteurs (c'est faisable à l'oral, quand on est face au candidat, mais à peu près impossible quand on nous demande d'évaluer des dossiers papier). Si on n'a pas envie de se fatiguer, il est certainement tentant de se contenter de compter les articles publiés par le chercheur, en pondérant au doigt mouillé en fonction du prestige ressenti du journal, et de la contribution qu'on devine pour ce chercheur : au final, ces évaluations ont toutes les chances d'être biaisées, et injustes.

On appelle « bibliométrie » cette méthode d'évaluation des chercheurs par le nombre de leurs publications, et l'importance qu'on estime qu'elles ont eue. Ce qui ressort de ce mode de fonctionnement, c'est une pression à la publication, qui influence le comportement des chercheurs (un chercheur sous pression aura tendance à prendre moins de risques et ne pas se lancer dans un projet trop exploratoire, qui risque d'être difficile à publier). Une autre conséquence de ce système, c'est l'inflation du nombre d'auteurs par article : ajouter des auteurs sur son article (même si leur contribution réelle ne le mérite pas), ça leur fait plaisir (ils pourront renvoyer l'ascenseur à l'occasion), sans vraiment diminuer le bénéfice des auteurs légitimes. La fraude scientifique, qui aide les tricheurs à publier plus vite et dans des journaux plus cotés, est probablement, au moins partiellement, une autre conséquence de cette pression à la publication.

Le journal rapporte qu'en guise de solutions, les institutions commencent à se doter de "référents à l'intégrité", à sensibiliser les jeunes chercheurs. Comment se concrétisent ces solutions ? Est-ce suffisant ? Les autorités publiques se sont-elles saisies du problème ?

Très honnêtement, et au risque de faire de la peine à certains de mes collègues, je pense que les instances scientifiques n'ont pas été à la hauteur du problème. Ces comités, ces propositions de formation à destination des jeunes chercheurs, ressemblent plus à un timide cache-misère qu'à une véritable solution. On en a encore eu une illustration cette année : on s'est aperçu que plusieurs articles publiés par le laboratoire d'une chercheuse célèbre (et qui occupe maintenant un poste à très haute responsabilité dans le monde de la recherche) avaient été manipulés frauduleusement. Le scandale a éclaté il y a un an ; les agences de tutelle de cette chercheuse ont mis sur pied une « commission d'enquête » dont l'identité des membres est secrète, dont le nombre de membres lui-même est secret, et cette commission a bâclé un rapport visant manifestement à innocenter la collègue (quitte à mentir ouvertement sur des faits pourtant facilement réfutables). Il existe effectivement un « office français de l'intégrité scientifique », mais il a refusé de se prononcer (c'est un cas particulier, et cet office a visiblement pour unique mission de réfléchir à des politiques à long terme) ... Au final, les cas d'inconduite scientifique sont jugés par des commissions ad hoc, selon des procédures qui n'ont pas l'air d'avoir été formalisées, et elles semblent très poreuses aux conflits d'intérêt si par malheur le chercheur soupçonné est quelqu'un de puissant.

Finalement, et on l'a observé à de nombreuses reprises ces dernières années en France comme à l'étranger, le meilleur rempart contre la fraude scientifique, ce ne sont pas encore les agences officielles, ce sont des personnes individuelles, qui se donnent la peine, sur des forums de discussion électronique ou sur leurs blogs personnels, de faire tout le travail d'enquête rigoureux et transparent qu'on attendrait des commissions officielles. Au moins, ce qui me donne des raisons d'espérer, c'est que, fondamentalement, la culture du monde de la recherche est une culture d'ouverture, de partage de l'information. Quand on voit que même la CIA et la NSA américaines n'arrivent pas à garder leurs petits secrets embarrassants, les labos fraudeurs ont du souci à se faire : les scandales finissent par fuiter tôt ou tard, malgré les pressions en tout genre. On va sans doute encore assister à ce genre de scandale dans le futur, mais c'est une étape essentielle pour assainir ce qui est, fondamentalement, un service public, et qui a un impérieux devoir d'honnêteté et de transparence.

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