Être de gauche, de droite ou les deux en même temps : la grande schizophrénie des Français <!-- --> | Atlantico.fr
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L’Ifop a réalisé un nouveau baromètre auprès du « peuple de gauche » riche en enseignements.
L’Ifop a réalisé un nouveau baromètre auprès du « peuple de gauche » riche en enseignements.
©CRÉDITLUDOVIC MARIN / AFP

Orientations politiques

L’Ifop a réalisé un nouveau baromètre auprès du « peuple de gauche » à l'occasion de la Fête de L'Humanité. 78% des citoyens de gauche interrogés déclarent qu’il existe toujours des différences nettes entre la gauche et la droite. 52% des sondés estiment néanmoins que l’on peut être de gauche et de droite.

Frédéric Dabi

Frédéric Dabi

Frédéric Dabi est directeur général adjoint de l'Ifop et directeur du pôle Opinion et Stratégies d’entreprise.

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Atlantico : A l’occasion de la Fête de l’Humanité, l’Ifop a réalisé un nouveau baromètre auprès du « peuple de gauche » pour le journal L’Humanité. Quels sont les principaux enseignements de votre étude ?

Frédéric Dabi : Ce sondage est un baromètre mis en place depuis neuf ans. La philosophie de l’étude a évolué. Auparavant, elle permettait de s’interroger sur le fait d’être de gauche lorsque le gouvernement socialiste de gauche de l’époque décevait des Français issus du peuple de gauche. Le contexte a changé depuis. Ce qui est très intéressant cette année, c’est qu’il s’agit de la première enquête qui prend en compte la NUPES, une forme d’union de la gauche qui a donné de l’espoir aux élections législatives.

Il y a trois principaux enseignements à tirer de cette nouvelle étude.

Premièrement, la gauche existe toujours malgré les défaites électorales, malgré le mouvement discutable et discuté de « droitisation » du pays. Selon notre sondage, 45% des Français se positionnent à gauche, une donnée assez similaire à l’an dernier. Il y a donc une véritable stabilité même si le record de 2016 de 48% n’a pas été battu.

Il y a aussi une fierté à être de gauche. Jamais la part des Français de gauche considérant que l’on peut être fier de se revendiquer de gauche n’a été aussi forte (73%). Cela pourrait être lié à la NUPES.

Deuxièmement, l’identité de gauche se construit en opposition avec la droite. Il y a toujours des différences très nettes entre la gauche et la droite pour les Français. Sur certains sujets comme l’immigration, le partage des richesses…, le clivage gauche - droite est extrêmement fort. Il y a toujours eu une confusion avec la fin de la bipolarisation depuis l’élection d’Emmanuel Macron.

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La fin de la bipolarisation devait être annonciatrice de la disparition du clivage gauche - droite. Cette enquête démontre en réalité chaque année qu’il y a un vrai univers référentiel de valeurs de gauche, lié à la solidarité, le bien-être animal s’est invité également cette année. Les visions du monde diffèrent entre les citoyens de gauche et l’ensemble des Français et entre les personnes de gauche et les personnes de droite. Dans ce dernier cas de figure, il y a 30 points d’écart sur la question migratoire, 25 points d’écart sur le fait que l’Etat doit donner plus de libertés aux entreprises. Il y a une vraie continuité avec les enquêtes précédentes.

Le troisième point, qui est le plus notable, permet de révéler un regard très contrasté sur la NUPES, y compris pour les personnes se positionnant à gauche. C’est un mot qui est rejeté fortement et même par les personnes de gauche. Cette coalition électorale n’inspire pas une longue pérennité électorale aux électeurs. 73% de l’ensemble des Français interrogés considèrent que cette coalition électorale sera amenée à se désunir dans le futur et même à disparaître. Cette enquête a été réalisée avant les polémiques lors de la Fête de L’Humanité. Lorsque l’on étudie les représentations associées à la NUPES, ce nouveau mouvement électoral connaît des limites. Certes il s’oppose bien au gouvernement, certes on lui décerne une fonction tribunitienne mais les gens de gauche attendent en réalité une véritable alternative au macronisme et au pouvoir. Une personne sur deux à gauche ne croit pas que la NUPES puisse arriver au pouvoir dans les prochaines années. Quatre personnes de gauche sur dix et une majorité de Français éprouvent une inquiétude vis-à-vis de la NUPES compte tenu de la radicalité de cette coalition. Une équation s’opère pour l’ensemble des Français. Jean-Luc Mélenchon incarne le mieux la NUPES mais il génère un sentiment d’inquiétude au sein de l’opinion publique. L’essai est donc à moitié transformé pour la NUPES auprès des Français.  

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La fierté de gauche est plus forte. Ils ont sauvé les meubles aux élections législatives même si cela a été une défaite. Même à gauche, cette alliance a besoin d’être légitimée et de faire ses preuves.

Avec cette identité de gauche au sein de l’opinion, il y a des attentes de gauche spécifiques comme la croyance en une politique de gauche basée sur la redistribution des richesses et la revalorisation des salaires ainsi que sur la climat et la fin du monde et la fin du mois. Ces thématiques sont porteuses pour une offre de gauche mais la NUPES suscite néanmoins une certaine défiance.

Votre étude soulève néanmoins un paradoxe : 78% des gens de gauche déclarent qu’il existe toujours des différences nettes entre la gauche et la droite mais il y a également 52% des sondés qui disent que l’on peut être de gauche et de droite...

Ce n’est pas véritablement un paradoxe. On aborde le clivage gauche – droite de deux manières différentes. Les personnes interrogées se sont prononcées sur les différences. Le chiffre de 78% sur la différence entre la gauche et la droite n’a jamais été aussi fort. Il n’était que de 62% en septembre 2014. Cela fait 16 points de plus en huit ans. Nous avons posé toute une batterie de questions pour cerner la thématique des valeurs. Nous avons constaté que le positionnement des gens de gauche et de droite était extrêmement différent.

Pour autant, lors de précédentes études en septembre 2017 après l’élection d’Emmanuel Macron, la fin de la bipolarisation, le flou de certaines frontières politiques, le fameux « et en même temps » ont fait bouger les lignes.

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Dans les  45% de gens qui se positionnent à gauche, beaucoup sont favorables à Emmanuel Macron.

Il s’agit moins d’un paradoxe que le reflet d’un contexte particulier. L’élection d’Emmanuel Macron n’a pas détruit le clivage gauche – droite au regard des résultats de notre enquête mais elle a rendu plus flou un certain nombre de frontières. Pour une majorité de personnes, on peut se dire de gauche socialement et de droite économiquement. Il est possible d’être de droite sur les questions régaliennes et de gauche sur les questions de redistribution.

Y a-t-il une forme de schizophrénie chez les Français, avec des personnes à la fois de droite et de gauche ?

Il s’agit en réalité d’une perte de repères. Le champ politique est devenu flou. Sur la question migratoire, jamais le fait d’être de gauche et d’être de droite n’a jamais été aussi marqué. Jamais les réponses n’ont été aussi peu consensuelles. Sur la dette, il y a 17 points d’écart entre la gauche et la droite.

Cette enquête a le mérite de montrer que certains sujets dépassent le clivage gauche - droite. Sur les mots préférés des Français, il y a vraiment un consensus sur la liberté, sur l’égalité, sur la solidarité. Il n’y pas de différences fortes sur le travail.

Jusqu’en 2017 le système politique basé sur la bipolarisation permettait d’avoir des alternances successives. Ce système a été détruit. Une perte de repères s’est donc installée. Cela a aussi été accompagné par les discours présidentiels, par le refus de Marine Le Pen de se dire de droite, par le choix de Jean-Luc Mélenchon de parler du peuple au lieu de parler de la gauche.      

Celui qui est censé incarner le paroxysme du « et en même temps », Emmanuel Macron, mène pourtant véritablement une politique de droite pour les gens de gauche… Il n’y a donc pas de doute sur le fait que l’on peut être de gauche et de droite, mais ce n’est pas Emmanuel Macron qui l’incarne… ?

Au début du mandat d’Emmanuel Macron, presque un tiers des sondés considéraient que sa politique menée était une politique de gauche. Le premier quinquennat, certaines lois libérales ont suscité en réalité la « sainte alliance » entre sympathisants de droite LR et sympathisants d’En Marche pour soutenir la réforme des retraites, de la SNCF, les lois sur le code du travail. Cela a coloré la politique d’Emmanuel Macron comme une politique de droite. Cela n’empêche pas, selon notre baromètre pour Paris-Match la semaine dernière, qu’il y a toujours un tiers de Français de gauche qui approuvent la politique d’Emmanuel Macron. Cela prouve que même lorsque l’on est de gauche, on est sans doute plus politisé que l’ensemble des Français mais pour autant on ne va pas seulement évaluer l’action présidentielle sur un critère gauche - droite.  

Si ce flou et cette ambiguïté persistent, est-ce qu’une offre politique peut répondre aux Français ?

Les Français ne sont pas un peu de gauche et un peu de droite. Ils ont perdu certains repères. Notre baromètre présente un mode d’emploi de ce que serait une politique de gauche avec des objectifs de gauche. La redistribution des richesses et la revalorisation des salaires sont les deux critères clés les plus plébiscités. Le chômage s’est beaucoup affaibli dans la hiérarchie des préoccupations des Français au profit du pouvoir d’achat.

L’injustice suprême pour les Français et les gens de gauche n’est plus de ne pas avoir un emploi mais d’avoir un emploi qui n’est pas assez rémunéré.

Sur le papier, il y a les ferments d’une politique de gauche qui pourrait plaire à beaucoup de Français : redistribution, social, climat. Mais la politique, ce n’est pas que des mesures ou une offre. La politique est une incarnation. Lorsque dans la dernière question de l’étude, nous interrogeons les Français sur la personnalité qui incarne le mieux la NUPES, pour l’instant Jean-Luc Mélenchon écrase les autres leaders. Il a des atouts et une certaine popularité. Mais il est vu de manière très sévère par l’ensemble des Français. Dans la part des Français qui ont une mauvaise opinion des différentes personnalités politiques, dans le baromètre de l’Ifop pour Paris-Match, Jean-Luc Mélenchon a la part la plus grande à gauche (58%). Cela peut expliquer en partie les scores décevants de la Nupes lors du second tour des législatives et le fait que dans nos études le Rassemblement National soit considéré comme le mouvement qui incarne le mieux l’opposition à Emmanuel Macron.

La question de l’offre programmatique n’est pas réglée mais elle est bien perçue par les gens de gauche.

Est-ce que cela veut dire qu’il n’y a pas de possibilités de proposer un programme qui convienne au plus grand nombre, gauche et droite confondues ?

Emmanuel Macron a été élu en 2017 sur un programme qui a convenu au plus grand nombre. L’adversaire au second tour comptait également dans l’équation. Cela a contribué à un mécanisme de vote d’élimination en 2017 et en 2022 contre Marine Le Pen.

Le choix électoral est une sorte de mosaïque. Cela correspond à des ingrédients multiples comme l’incarnation, l’offre programmatique, une fidélité à certaines valeurs de gauche.

Ce qui est très intéressant, c’est qu’un Français sur deux indique que l’on peut être de gauche et de droite. Pour autant, ils ont l’intuition qu’il existe des différences nettes entre la gauche et la droite. Lorsque l’on ne leur suggère pas cette gauche et cette droite, deux visions du monde extrêmement différentes entre sympathisants de gauche et de droite s’opposent. Malgré des déceptions très fortes liées à l’exercice du pouvoir, trois quarts des gens de gauche considèrent que la gauche peut défendre ses idées et ses principes sans se renier quand elle est au pouvoir. Il y a donc toujours une espérance.

Une politique qui réussirait à faire consensus à droite et à gauche est-elle inenvisageable parce que les visions du monde sont trop clivées ?       

Les visions sont très clivées sur certains thèmes précis comme l’immigration, la dette, le rapport aux entreprises, l’Europe…  Mais le climat et la redistribution, deux piliers de la politique de gauche, vont au-delà d’une offre de gauche et d’une offre de droite. Ces thèmes peuvent plaire aux deux camps.

De plus en plus de Français ne se reconnaissent plus dans un positionnement gauche – droite. Ce baromètre est le résultat de différentes évolutions. Cela se voit à travers la défiance croissante à l’égard du personnel politique au pouvoir qui n’a pas permis de changer la vie des citoyens. La colère sur la question de la redistribution et du climat a été notamment portée par les jeunes. Il y a aussi eu un affadissement des étiquettes partisanes. Les Français se positionnent de moins en moins en proximité avec un parti politique et de moins en moins comme se positionnant sur un axe gauche - droite. 

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