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Les Etats Unis claquent la porte de l’ONU : Damas le prochain Bagdad ?
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Syrie

L'ambassadrice américaine Susan Rice a en effet déclaré que les Etats-Unis considéraient que le Conseil de l'ONU avait "totalement échoué", et que le pays allait travailler seul. Frédéric Encel, docteur en géopolitique, nous explique ce que cela signifie.

Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

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Atlantico : L' ambassadrice américaine Susan Rice a déclaré ce jeudi que les Etats-Unis considèrent que le conseil de l'ONU a "totalement échoué". Elle annonce que les Etats Unis vont maintenant travailler seul, en dehors du conseil. Comment peut-on interpréter la défiance des Etats-Unis envers l'ONU ? Est-ce la première fois que nous assistons à cette situation ? 

Frédéric Encel : Quand une puissance est déçue de ne pas avoir pu faire passer ses résolutions, elle critique et déplore toujours "l'échec", ou "l'impuissance" du Conseil de sécurité ! C'est un grand classique. De là à passer complètement outre, il y a une marge.

D'abord notons que Washington n'a pas attendu les débats du Conseil en juillet 2012 pour appliquer des sanctions commerciales unilatérales à l'encontre de Damas ; celles actuellement en vigueur datent de 2005 ! 

Ensuite, il ne s'agit précisément que de commerce - exactement ce que prévoyait d'ailleurs la résolution à laquelle Moscou et Pékin se sont opposées hier - et, peut-être, de questions d'interdictions de visas pour de hautes personnalités. Rien de bien désastreux pour Assad...

Si l'on a raison de rappeler que les Etats-Unis sont déjà passés outre le Conseil de sécurité, en 2003 au sujet de l'Irak, cela reste tout de même assez exceptionnel. Surtout, les Américains ne mourront pas pour Damas ! Qu'Obama cherche à coller à son image d'humaniste proche des peuples arabes en lutte, soit. Mais de là à intervenir directement dans un pays qui abrite une base russe, certainement pas !   


Quelles conséquences la position des Etats-Unis va t-elle avoir sur la scène diplomatique ?

D'abord un refroidissement des relations russo-américaines et sino-américaines, à relativiser tout de même ; on en restera à des joutes diplomatiques. Les échanges et intérêts économiques et énergétiques sont tels qu'aucun des deux "blocs" n'est prêt à aller trop loin pour la question syrienne.

D'autres enjeux, de l'Asie centrale au Sud-est asiatique et du golfe Persique au Caucase, sont plus essentiels que le sort des Alaouites syriens... Ensuite, que les Etats-Unis donnent de la voix contre Assad et ses soutiens va plaire - par un faux paradoxe - aux islamistes sortis des urnes dans le grand Maghreb ces derniers mois. Washington compte ainsi conforter ses positions dans le monde arabe sunnite, très angoissé par la politique pan-chiite de Téhéran.

Enfin demeure un problème à la fois diplomatique et juridique international : l'affaiblissement du Conseil de sécurité. Si chaque puissance se met à l'ignorer au gré de ses intérêts du moment, on va vers une sorte de loi de la jungle. Mais fi de toute naïveté ; l'ONU est déjà un simple forum où s'exercent les rapports de force traditionnels entre les plus grandes puissances. Et les Américains ne sont pas les seuls à y jouer leur propre partition... 


A quels impacts peut-on s'attendre sur le terrain en Syrie et plus largement, dans la région ?

Tout dépend de la nature des décisions américaines, si toutefois il ne s'agit pas d'un simple coup de menton sans lendemain. Absolument convaincu qu'il n'interviendront pas militairement - avec ou sans l'OTAN - dans un pays qui abrite une base russe (Tartous), je pense qu'il ne s'agira que de sanctions économiques. Et donc peu efficaces. Car de toute façon, au point où en est Bashar el Assad, le soutien non seulement militaire mais économique russe lui est indispensable. Les Russes le savent, qui continuent à soutenir le régime. Quant aux Iraniens et aux Chinois, ils augmentent leurs achats de produits syriens afin de soutenir également l'économie.

Dans ces conditions, que peuvent faire les Occidentaux ? Presque rien. Sauf, peut-être, aider à l'acheminement massif de matériels lourds financés par l'Arabie saoudite et le Qatar, via l'Irak, la Jordanie ou la Turquie. Et encore faut-il que ces Etats l'acceptent. Peu vraisemblable, surtout de la part de la prudente et faible Jordanie. Non vraiment, en définitive, je ne crois pas à un engagement américain qui dépasserait la rhétorique, les sanctions économiques, et peut-être une aide logistique extérieure. Mais les Russes équilibreront... Et tout cela peut durer encore longtemps car - comme je le disais hier matin dans ma chronique géopolitique quotidienne chez vos confrères de France Inter - la masse critique du régime Assad tient toujours. Et si elle s'effondre, restera le pays alaouite, sur le littoral méditerranéen, où pourrait se retrancher le despote, ses troupes fidèles, sa communauté d'origine. Croyez-moi, l'affaire syrienne ne fait que commencer...


Propos recueillis par Charles Rassaert 

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