Etats-Unis, Chine, Inde, Turquie… : quand les Etats instrumentalisent les réseaux sociaux<!-- --> | Atlantico.fr
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Véronique Reille-Soult publie « L'ultime pouvoir La face cachée des réseaux sociaux » aux éditions du Cerf.
Véronique Reille-Soult publie « L'ultime pouvoir La face cachée des réseaux sociaux » aux éditions du Cerf.
©ANTONY DICKSON / AFP

Bonnes feuilles

Véronique Reille-Soult publie « L'ultime pouvoir La face cachée des réseaux sociaux » aux éditions du Cerf. Propos haineux, cyberharcèlement, fausses informations, théories du complot, manipulation des masses... Les réseaux sociaux sont aujourd'hui propices à tous les excès, à toutes les dérives. En une vingtaine d'années, ils se sont multipliés et occupent désormais une place prépondérante dans notre vie quotidienne. Cet ouvrage donne des clés pour comprendre la révolution qui a bouleversé nos existences. Extrait 2/2.

Véronique Reille Soult

Véronique Reille Soult est présidente de Backbone Consulting, experte de l'opinion et de la gestion de crise. Elle a notamment publié "L'ultime pouvoir - La vérité sur l'impact des réseaux sociaux" (2023) aux éditions du Cerf.

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8 novembre 2016. Donald Trump est élu 45e président des États-Unis. Une entreprise, enfin deux, reviennent en boucle dans les médias : Cambridge Analytica et Facebook. Le Président nouvellement élu aurait en effet employé les services d’analyse de données à grande échelle de l’entreprise britannique pour influencer la campagne sur la plateforme américaine. Outre-Atlantique, la gauche s’indigne et met en cause le réseau social. Au lendemain des résultats de l’élection, l’éditorialiste du New York Magazine Max Read signe une tribune au vitriol : « Donald Trump a gagné à cause de Facebook. » C’est la première fois que le rôle d’une plateforme est mis en cause au-delà de sa fonction primaire de connecter entre eux les individus du monde entier. On parle ici de l’analyse de dizaines de millions de données d’utilisateurs, à l’insu de ces derniers, dans le but de dresser leur profil psychologique, de définir leurs besoins et leurs centres d’intérêt et enfin de les influencer dans leurs décisions. L’utilisation de ce service d’analyse de masse a changé le jeu politique. Sans évoquer le scandale lié à l’utilisation et à l’exploitation frauduleuse de millions de données, la Russie elle-même aurait activement participé en sous-main à la présidentielle américaine en ayant recours aux données de Cambridge Analytica. On a en effet souvent évoqué le rôle ambigu de la Russie pour faire élire Trump. L’histoire de ces adolescents macédoniens rencontrés par BuzzFeed en 2016 et avouant fièrement qu’ils abreuvaient les électeurs américains de fausses informations a dévoilé l’existence d’une machine complexe œuvrant dans l’ombre pour servir les intérêts de Donald Trump. Cet événement majeur, tant pour la vie politique américaine que pour la démonstration du rôle dévoyé des réseaux sociaux, marque un tour‑ nant dans l’instrumentalisation des plateformes à des fins politiques et gouvernementales.

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Cambridge Analytica, Facebook, la Russie et les fake news ont fait date dans l’histoire des réseaux sociaux. Le pouvoir d’influence des plateformes ainsi que leur capacité à collecter des données sur leurs utilisateurs et tout savoir d’eux ont été finalement révélés au grand public. Ce monstre de Frankenstein hors de contrôle rappelle un épisode de la série dystopique Black Mirror, dans lequel un homme, dévasté par la mort de sa femme, victime d’un accident de voiture après avoir consulté une notification de son réseau social préféré, cherche à contacter le patron dudit réseau pour lui faire porter la responsabilité de ce décès. Après de multiples rebondissements, il finit par échanger avec le P.-D. G du réseau social. Ce dernier lui explique qu’il n’a plus le contrôle sur sa plateforme, que son rêve de départ est bien loin et qu’il a engendré une créature instable gérée par des actionnaires vénaux. Cet exemple tiré de la fiction illustre le caractère monstrueux des médias sociaux, cette perte de contrôle des individus, des États et des plateformes elles-mêmes.

À l’inverse, en Chine, l’État exerce un contrôle total sur les réseaux sociaux du pays (Facebook y est d’ailleurs proscrit). Le réseau phare y est Sina Weibo, créé en 2009 et qui revendique aujourd’hui 500 millions d’utilisateurs. Sur cette plateforme, l’État chinois censure tout. On ne peut plus y parler de politique, de défense, d’économie, de sécurité ou tout autre sujet qui participe à l’élaboration du débat public, comme en témoignait Ma Xiaolin le 30 janvier 2021 : « J’ai reçu un coup de téléphone du service client de Weibo. Désormais, les comptes individuels de Weibo ne doivent plus publier de contenus originaux sur la politique, l’économie, la défense, etc. En tant que chercheur et chroniqueur sur les questions internationales, je suppose que je n’aurai qu’à prendre le chemin du divertissement. » Il en va de même pour WeChat, autre réseau social majeur chinois, qui a enjoint à ses utilisateurs de « ne pas commenter les contenus politiques, économiques, diplomatiques ou d’autres actualités majeures ». Et dans le cas où l’on souhaiterait pouvoir évoquer ces sujets, il devient nécessaire d’obtenir des « qualifications requises ». Le gouvernement chinois a en effet publié une loi qui interdit à la fois aux plateformes et aux utilisateurs de « diffuser du contenu interdit par les lois et les réglementations pertinentes ». En 2021, Douban et Weibo, deux réseaux sociaux populaires, ont été publiquement condamnés à des amendes de plusieurs millions de yuans. La même année, 3,5 mil‑ lions de contenus, touchant entre autres la politique, le féminisme, la communauté LGBT et le soutien aux travailleurs, ont été censurés par les autorités sur les réseaux sociaux fermés. Des chaînes de vulgarisation scientifique comme PaperClip, qui avaient diffusé des informations sur le Covid-19, ou de sciences sociales, comme Elephant Magazine, ont également été fermées. Mais cette censure arrive tout de même à être contournée. Ainsi, en 2022, un mouvement sans précédent s’est formé pour dénoncer la poli‑ tique zéro Covid du gouvernement : des internautes se sont mis à afficher des carrés blancs sur leur profil WeChat, tandis que des manifestants ont défilé en brandissant de simples feuilles blanches, vierges de tout slogan. Les Chinois détournent ou fabriquent aussi différentes expressions afin de contourner les mécanismes de surveillance, comme ces étudiants qui se sont pris en photo en tenant des feuilles couvertes d’équations de Friedmann, du nom d’un célèbre physicien russe, faisant implicitement référence à l’expression anglaise freed man (homme libéré) ou au terme freedom (liberté). D’autres ont évoqué sans le dire les manifestations avec l’expression « peau de banane », qui a en mandarin les mêmes initiales que le président Xi Jinping, ou encore « mousse de crevette », à la sonorité proche du mot « démission ». « Les réseaux sociaux restent la caisse de résonance principale du mécontentement social. Ils permettent à l’État-parti de savoir ce que pense la population et de pouvoir tuer le mécontentement dans l’œuf quand ils le repèrent », a rappelé Chloé Froissart, professeure de sciences politiques au département d’Études chinoises de l’Inalco. Les vidéos des manifestations en Chine, contre la politique zéro Covid ont d’ailleurs été retirées très rapidement après leur diffusion.

En Afrique, c’est encore pire et beaucoup moins subtil. Certains États et gouvernements coupent délibérément l’accès à Internet pour empêcher les populations locales de se connecter aux réseaux sociaux. Rien n’est plus simple : ils demandent aux fournisseurs des services Internet de restreindre l’accès des abonnés aux adresses web des différentes plate‑ formes, ce qui occasionne généralement le blocage de celles-ci. Quels sont les pays concernés par cette politique radicale ? La Tanzanie, lors de ses récentes élections à la présidentielle, l’Éthiopie, à la suite de la mort du chanteur et activiste Hachalu Hundessa, mais aussi le Togo, le Gabon, le Burundi, le Tchad, le Mali, la Guinée, le Soudan, le Burkina Faso et le Zimbabwe. Et la liste continue de s’allonger : désormais, pratiquement tous les États africains sont concernés. Il semblerait en outre que ces coupures soient de plus en plus fréquentes, passant de 12 en 2017 à 25 en 2019 pour l’ensemble de l’Afrique. Comment se défendent les gouvernements interrogés ? Ils prétendent vouloir seulement endiguer les vagues montantes de fausses nouvelles lors des élections, en particulier présidentielles.

Dans la quête étatique d’instrumentalisation des réseaux sociaux, l’Inde est même allée jusqu’à demander aux plateformes de supprimer certains messages d’internautes au sujet de la prétendue mauvaise gestion du pays durant la crise sanitaire. Le Premier ministre Narendra Modi a rapidement été désigné personnellement sur les réseaux sociaux comme le coupable de cette catastrophe sanitaire et s’est tourné vers les plateformes numériques pour faire cesser la contestation. Toujours dans une logique de modération ambiguë, Facebook, Twitter et Instagram ont dans un premier temps supprimé les messages en question, puis en ont remis en ligne certains, en jugeant qu’ils n’enfreignaient pas la loi. Narendra Modi n’en était pas à son coup d’essai : en novembre 2020, il avait déjà menacé d’emprisonner des employés de Twitter si ces derniers ne supprimaient pas certaines publications liées à la révolte des agriculteurs. La plateforme avait alors appelé ses employés sur place à suivre les directives gouvernementales.

On compte également l’Iran parmi les États qui entreprennent de censurer les réseaux sociaux. Les autorités du pays tentent en effet de restreindre fortement l’accès à Internet afin de limiter les capacités de rassemblement des manifestants et surtout pour réprimer à huis clos les soulèvements de la population. Le blocage d’Instagram, réseau social extrêmement populaire en Iran, a pour objectif de rendre invisible ces citoyens qui osent défier le pouvoir et ainsi de les punir « à l’abri des regards ». NetBlocks, un site basé à Londres qui observe les coupures volontaires d’accès à Internet à travers le monde, confirme les tentatives de blocage d’Instagram et de WhatsApp. Après l’interdiction de Facebook, Twitter, YouTube et TikTok ces dernières années, ces deux plateformes sont en effet devenues les plus largement utilisées en Iran. Le fait d’empêcher leurs ressortissants d’y accéder prouve bien que l’expression sur ces réseaux dérange les autorités du pays.

Extrait du livre de Véronique Reille-Soult, «  L'ultime pouvoir La face cachée des réseaux sociaux », publié aux éditions du Cerf

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