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Etats-Unis - Chine : guerre froide ou conflit chaud ?
©JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Meilleurs ennemis

La tension monte entre la Chine et les Etats-Unis, qui se sont engagés dans une spirale de sanctions et de mesures de rétorsions. La crise de la Covid-19 a accentué les ambitions chinoises et l’approche des élections américaines durcit le ton du président-candidat Trump.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico.fr : Sur fond de crise sanitaire et économique mondiale, les Etats-Unis et la Chine s'engagent de nouveau dans une spirale de sanctions et de mesures de rétorsions. Sommes-nous revenus à une Guerre Froide où la République populaire de Chine a pris la place de l'URSS ?

Cyrille Bret : Le cycle des sanctions et des mesures de rétorsions est ouvert depuis plusieurs années entre la République Populaire de Chine et les Etats-Unis. La comparaison avec l’affrontement entre l’URSS et les Etats-Unis est tentante au vu des événements qui ont émaillé la présidence Trump. Sur le plan économique, la priorité des pouvoirs publics américains a été de réduire la dépendance à l’égard des importations chinoises et des capitaux venus de Chine pour financer les dettes privées et publiques américaines. C’est ce qui a conduit à la « guerre commerciale » lancée par la présidence Trump dès 2017. Sur le plan militaire, les tensions montent également : les capacités chinoises s’accroissent et s’améliorent dans tous les domaines classiques (naval, missiles, etc.) et moins conventionnel (cyberattaques, drones, etc.). Si bien que dans l’aire indo-pacifique, les Etats-Unis ont désormais désigné la Chine comme la principale menace militaire. Enfin, sur le plan politique et symbolique, les valeurs chinoises sont considérées par Washington comme incompatibles avec les valeurs américaines. Et d’autres domaines encore sont les champs de rivalité entre les deux grandes puissances du 21ème siècle. Si bien qu’elles semblent promises à l’affrontement comme l’a souligné il y a quatre ans le géopoliticien Graham Allison dans son célèbre ouvrage Destined for War qui examine les raisons pour lesquelles les deux puissances, l’une installée et l’autre en essor, seront tentées par le conflit armé.

Aujourd’hui, les tensions se réchauffent nettement : la crise du COVID-19 a accentué les ambitions chinoises et l’approche des élections américaines durcit le ton du président candidat Trump. Mais la comparaison avec l’affrontement entre Etats-Unis et URSS a ses limites : l’URSS avait obtenu une parité militaire et diplomatique mais n’était jamais parvenu à une parité économique alors que la Chine a l’infrastructure économique pour rivaliser avec les Etats-Unis. En revanche, l’URSS avait bâti, souvent les armes à la main, un réseau d’alliés, ce que la Chine peine à faire même avec les investissements de la Nouvelle Route de la Soie. De plus la Chine est prise dans une tentation de la revanche après les humiliations coloniale du 19ème siècle. Ces différences peuvent assurément jouer pour évaluer les risques de conflits armés.

La Chine peut-elle "réchauffer" le conflit et mener des opérations militaires contre les alliés des Etats-Unis en Asie? Ou même affronter les Etats-Unis pour Taiwan?

L’Asie du Sud Est est le champ d’affrontement le plus évident entre les deux puissances. Depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, les Etats-Unis étaient la puissance militaire dominante dans la région par la présence de bases sur le territoire américain (Guam) et sur les territoires de ses alliés (Japon, Corée du Sud, Philippines). Désormais, la Chine conteste cette suprématie dans un espace qu’elle considère comme sa zone historique d’influence en raison de la présence de ses diasporas du Nord au Sud (Malaisie, Singapour) mais aussi en raison de ses ambitions sur des îles des îlots et des récifs à proximité des eaux territoriales de ses voisins. Ainsi, elle conteste la souveraineté du Vietnam, de la Malaisie, des Philippines ou encore du Japon sur un ensemble de territoires marins et terrestres. Même si l’arbitrage de 2016 par la Cour de La Haye l’a déboutée, elle continue à revendiquer, à poldériser et à militariser ces îlots pour en faire des points d’appui destinés à ses pêcheurs, ses industriels et surtout sa marine.

C’est là que les risques de réchauffement en conflit armé sont les plus grands. Le détroit de Taïwan cristallise toutes les tensions. D’une part, la Chine considère que l’île doit rejoindre la RCP comme Hongkong mais, d’autre part, les Etats-Unis entendent faire de l’île un symbole de la lutte contre l’expansion militaire chinoise. Reste à savoir si une guerre pour Taiwan est possible pour l’électeur, le contribuable, et le politique américain. Les tensions actuelles peuvent être largement surjouées par une administration américaine en campagne qui a besoin de se poser comme l’adversaire du parti communiste chinois.

Le président Trump peut-il profiter d'une guerre à l'approche des élections présidentielles du 3 novembre prochain ?

Le président candidat n’est pas assuré de sa victoire le 3 novembre prochain. Sur la scène politique intérieure, il est toujours aussi clivant. Ses prises de position sur le meurtre de George Floyd, sur la lutte contre la pandémie, sur la liberté de la presse, etc., réactivent à nouveau le clivage entre l’Amérique profonde, de la Bible Belt, des couches populaires blanches, etc. et l’Amérique libérale, noire et immigrée. Pour compenser la faiblesse des intentions de vote, il est tentant, pour l’équipe Trump de se donner la posture internationale de celui qui résiste au « parti communiste chinois. » C’est ce qu’ont fait en Europe plusieurs représentants de l’équipe Trump dans les semaines passées. Cela peut attirer la sympathie de ceux qui redoutent l’emprise chinoise.

Mais, comme dans le cas de l’Iran en 2017 et de la Corée du Nord, il y a loin de la menace de la guerre à la guerre elle-même. Pour le moment, le président Trump serait plutôt tenté de remporter un succès net, symbolique et circonscrit sur la scène internationale. S’engager dans le conflit réel avec la Chine serait plus déstabilisateur que bénéfique pour sa réélection.

Toutefois, par-delà les péripéties de la campagne électorale, il convient de garder à l’esprit que la rivalité sino-américaine est structurelle et déterminera une large partie de la scène géopolitique du siècle. Les Français et les Européens doivent trouver dans cette tension une position qui défendent leurs intérêts propres. S’aligner sans condition sur les Etats-Unis au nom de la solidarité des valeurs n’est pas plus indiqué que de sous-estimer les risques de l’activisme chinois dans l’espace européen.

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