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Et si les accusateurs du libéralisme essayaient d’abord de comprendre ce dont ils parlent
©ALAIN JOCARD / AFP

Schtroumpfs paresseux

Pascal Salin revient sur l'entretien du secrétaire général des Républicains, Aurélie Pradié, accordé à Libération et sur les questions du libéralisme et de la droite.

Pascal Salin

Pascal Salin

Pascal Salin est Professeur émérite à l'Université Paris - Dauphine. Il est docteur et agrégé de sciences économiques, licencié de sociologie et lauréat de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris.

Ses ouvrages les plus récents sont  La tyrannie fiscale (2014), Concurrence et liberté des échanges (2014), Competition, Coordination and Diversity – From the Firm to Economic Integration (Edward Elgar, 2015).

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Atlantico.fr : Lundi 30 Mars, le secrétaire général LR Aurélien Pradié a accordé un entretien à Libération dans lequel il explique que son parti va devoir "réviser plusieurs de ses certitudes traditionnelles", fustigeant au passage le libéralisme qu'il veut continuer à "interroger" notamment.

Les hommes politiques français de droite semblent avoir un problème de fond avec le libéralisme et ce depuis des décennies. Est-ce le cas ? Si oui, pourquoi ? Ne confondent-ils pas "libéralisme" et "capitalisme", "libéralisme" et "néolibéralisme" ?

Pascal Salin : L’entretien dans Libération du secrétaire général du parti Les Républicains, Aurélien Pradié, est extrêmement surprenant et décevant car il consiste largement à critiquer le libéralisme et à revendiquer un renforcement des activités étatiques. Il est pourtant évident que la France est titulaire d’un record mondial de l’interventionnisme étatique, aussi bien en ce qui concerne l’importance des règlementations que le montant des dépenses publiques et de la fiscalité. Or, il est clair par ailleurs que la France connait depuis des décennies – pour cette raison - une situation économique médiocre (par exemple en ce qui concerne le taux de croissance et le niveau de l’emploi). Mais très curieusement on entend souvent dire que cette situation est la conséquence des politiques libérales – ou « néo-libérales » - adoptées en France. Pourquoi dit-on cela ? Parce qu’il y a eu, au cours des décennies passées un grand nombre de gouvernements de droite et on assimile a priori – mais à tort – droite et libéralisme. Or, malheureusement, ce qui caractérise les décennies récentes c’est que les gouvernements de droite n’ont pas fait de politiques plus libérales que les gouvernements de gauche . On peut se demander pourquoi il en est ainsi. L’une des raisons en est, me semble-t-il, que l’opinion publique n’est pas favorable au libéralisme parce qu’elle ignore sa véritable signification et ses mérites considérables. Ceci peut paraître surprenant dans un pays – la France – qui a connu certains des plus célèbres penseurs libéraux (par exemple Jean-Baptiste Say ou Frédéric Bastiat), penseurs qui ont eu une influence considérable à l’étranger : c’est ainsi que Ronald Reagan avait souligné ce qu’il devait à ces penseurs et il a fait des politiques libérales extrêmement efficaces. Une des raisons de la situation française vient du fait que l’éducation – aussi bien dans les écoles que dans les Universités – est totalement nationalisée, ce qui permet à l’État de faire en sorte qu’on n’enseigne jamais les mérites du libéralisme. 

Il est par ailleurs probablement vrai que les hommes politiques français de droite confondent le libéralisme et le capitalisme. Mais ce qui est grave ce n’est pas tellement de confondre libéralisme et capitalisme, mais de critiquer l’un et l’autre. Le terme de capitalisme est peut-être un peu ambigu. Il est souvent interprété, plus ou moins implicitement, selon les préjugés marxistes, à savoir que les « capitalistes » sont censés exploiter leurs salariés. En fait il conviendrait surtout de dire qu’il s’agit d’un système productif reposant sur des droits de propriété légitimes et un respect des contrats. Quant au néo-libéralisme, considéré comme caractéristique de la situation française, il s’agit là d’un terme ambigu qui est parfois interprété comme une situation de « social-libéralisme » ou comme un libéralisme favorable à l’interventionnisme étatique.

Aurélien Pradié - comme d'autres l'ont prôné à droite auparavant - fait l'éloge du Gaullisme, expliquant qu'il veut un État fort et qu'il faut arrêter de faire en sorte que "l'argent [soit] la seule échelle de valeur." Or, en 1958 existait le plan Pinay-Rueff...

Sait-on encore ce qu'est le Gaullisme à droite ? Pourquoi en vouloir autant à l'économie ?

Charles de Gaulle a été célèbre à juste titre à cause de son activité au cours de la seconde guerre mondiale, mais ses activités politique ultérieures ont été purement pragmatiques et n’ont été rattachées à aucune idéologie, en particulier pas à une idéologie libérale. Le caractère très ambigu de ce qu’on appelle le « gaullisme » devrait conduire à éviter d’utiliser ce terme et surtout de prétendre faire une politique « gaulliste ». En fait Charles de Gaulle a été, par exemple, très favorable à la planification, considérée comme une « ardente obligation ». Mais le hasard a fait qu’il a toléré le « plan Pinay-Rueff ».
En fait on a peut-être tendance à assimiler le gaullisme et la droite. En effet, ce qui caractérise le mieux Charles de Gaulle a été son nationalisme. Mais on confond facilement en France nationalisme et droite, en particulier parce qu’on appelle « extrême-droite » un parti nationaliste comme le Front national. En réalité il y a des nationalistes de droite comme de gauche et Marine Le Pen, par exemple, a défendu une politique économique qu’on aurait dû appeler d’extrême-gauche.

Le parti Les Républicains est censé être un parti de droite, mais je considère pour ma part comme regrettable d’avoir choisi cet intitulé – Les Républicains – car on peut être un républicain de droite ou de gauche, libéral ou anti-libéral : la République est un pouvoir politique dont les dirigeants ne sont pas nommés héréditairement ou par leur prise du pouvoir, mais où ils sont élus.  

Ce qui est contestable c’est en fait la distinction entre droite et gauche, ces deux termes étant en fait ambigus. Ce qu’on devrait opposer c’est libéralisme et collectivisme. Il serait donc extrêmement souhaitable qu’apparaisse prochainement un parti politique qui s’intitulerait « parti libéral ».

Soulignons-le enfin, pour un libéral l’argent n’est pas la seule échelle de valeur, contrairement à ce que dit Aurélien Pradié; l’échelle de valeur c’est la satisfaction des individus, mais pas nécessairement par le marché  et donc par l’argent; et cela n’implique pas la négation de l’État, celui-ci devant avoir des fonctions régaliennes, par exemple pour défendre un pays.

La droite (et ce que dit Aurélien Pradié) fait-elle le bon diagnostic dans la crise actuelle ? Fait-elle le bon diagnostic sur les problèmes actuels ?

Le problème actuel constitue ce qu’on peut appeler une crise économique. Mais celle-ci n’est pas le résultat des causes habituelles des crises économiques, en particulier l’instabilité de la politique monétaire; Elle est le résultat transitoire des difficultés rencontrées par les activités productives. Mais tous les hommes politiques de droite comme de gauche réagissent avec leurs réflexes habituels, à savoir que c’est l’État qui peut résoudre tous les problèmes. Il y a donc le risque que l’interventionnisme étatique en soit accru en France et qu’il le soit de manière durable. La crise économique actuelle s’ajoute à la situation de long terme regrettable qui résulte des excès de l’interventionnisme étatique. La seule chose qui serait souhaitable c’est qu’on plaide pour une diminution de cet interventionnisme, sachant par ailleurs que la crise actuelle est une crise transitoire qui ne peut pas être surmontée par la politique économique et la politique monétaire, celles-ci ne pouvant avoir que des conséquences nuisibles en provoquant des distorsions dans les structures productives.  

Propos recueillis par Edouard Roux

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