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Et si le sujet qui intéresse le moins les Français pour la présidentielle 2022 était celui qui était à la racine de tous les autres ?
©MARTIN BUREAU / AFP

Théorie du logement

Dans les sondages, le logement est une priorité mineure chez les Français alors qu'il coûte de plus en plus cher. Pourtant nous devrions nous en soucier étant donné toutes les conséquences que le sujet implique.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Etat des lieux 

Laurent Chalard : Selon les enquêtes d’opinion réalisées auprès des français, le pouvoir d’achat constitue la première préoccupation de nos concitoyens, ce qui est assez logique dans une société capitaliste. Or, même s’ils ne le perçoivent pas toujours directement, l’évolution de leur pouvoir d’achat est fortement dépendante de la part que les ménages attribuent au logement dans leur budget. Il s’ensuit qu’indirectement il constitue un élément primordial dans l’évolution du pouvoir d’achat des ménages, puisque plus ces derniers doivent consacrer d’argent à se loger, plus ils peuvent avoir le sentiment que leur pouvoir d’achat baisse alors que dans les faits, or poste logement, ce n’est pas forcément le cas. Il y a donc une incompréhension certaine de la part de la classe politique concernant la question du logement sur laquelle elle n’ose guère s’avancer, n’ayant pas de solution miracle à proposer.

L’Emploi 

Pierre Bentata : Sur l’emploi, le logement a bien évidemment un impact. Notre économie devenue principalement « tertiarisée » est tirée par la recherche, le développement, le traitement des données et les services. Mécaniquement, ce sont les grandes métropoles qui sont les centres de gravitation de l’activité économique et les salariés et les actifs sont attirés vers ces grandes métropoles. Être dans cet espace multiplie les chances d’accéder à des secteurs dynamiques avec des emplois plus faciles à trouver et parce que l’on est proche du coeur de l’activité économique, les salaires sont plus élevés.

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Il y a une corrélation entre l’endroit où l’on habite et les chances que l’on a de trouver un emploi ou d’avoir un salaire élevé. Aujourd’hui, cela touche même des professions qui étaient plutôt protégées. Un avocat aujourd’hui dans une région rurale, s’il arrive à faire un travail équivalent à celui d’une grande ville, n’aura pas le même salaire. Entre deux zones, les professions ne sont plus les mêmes. Choisir une zone en dehors des grands bassins de croissance économique a un impact sur sa carrière. 

Laurent Chalard : Etant donné la concentration de l’emploi au cœur des grandes métropoles, la localisation de son logement a un impact certain sur le type d’emploi que peuvent espérer occuper les populations. Par exemple, dans la France périphérique, éloignement des pôles emplois les plus dynamiques, il est difficile de déménager vers les territoires créateurs d’emplois du fait du différentiel de prix de l’immobilier…

L’Innovation 

Pierre Bentata : Ce n’est pas du tout un problème franco-français. La place de l’innovation est liée à la transition économique que l’on vit. Tant que nous avions une économie industrielle, on pouvait avoir des bassins d’innovation qui pouvaient être un peu partout. Le secteur économique, qui tirait l’économie, avait besoin d’énormément de sous-traitants et l’on pouvait avoir des bassins de spécialisation un peu partout. 

Il y a des restes de cela : à Aix-en-Provence, nous avons des fabricants de lentilles pour des télescopes ou pour les satellites utilisés par la Nasa, il y aussi dans le Jura un bassin d’industrie de la lunette. Tout cela s’est fortement atténué car nous ne sommes plus dans une économie industrielle, mais tertiaire et d’innovation. Dans cette économie, on a besoin de très peu de sous-traitants donc tout se concentre au même endroit. Ce dont on a besoin, c’est d’intelligence et de très fortes interactions. Là où se trouve l’innovation est là où se trouve l’activité car elle peut vivre en vase clos ou avec d’autres métropoles. 

Les inégalités sociales 

Pierre Bentata : Lorsque l’on est en dehors de ces fameuses grandes métropoles, on souffre d’une forme d’inégalité. Tout ce qui gravite autour du secteur économique premier est au même endroit. Tout ce qui relève de la qualité de vie est moins présente lorsque vous êtes en dehors de ces villes. 

Les questions relatives au type de logement révèle des inégalités. En France, où la pierre est considérée comme une valeur refuge, avoir une maison n’amène pas le même statut social que si l’on vit en appartement. Habiter dans une grande ville, ou si vous êtes à Paris lorsque vous êtes dans certains arrondissements, n’a pas la même valeur. 

Un point primordial à propos de l’éducation. Avec la carte scolaire, l’endroit où l’on habite détermine la façon dont les enfants vont être éduqués. Il y a une double corrélation : les gens les plus riches vont se demander si ils sacrifient un jardin pour être dans un appartement si cela permet d’avoir accès à de meilleures écoles. Celui qui n’a pas les moyens ne pourra pas se poser cette question. De fait, cette personne va se retrouver dans un endroit où il y a davantage de brassage, mais où il n’y aura pas les enfants des catégories le plus privilégiées. 

La Santé

Pierre Bentata : L’impact n’est pas lié au type de logement mais à leur qualité. Si on habite dans un logement insalubre, mal entretenu, il y a des impacts à court terme comme l’asthme ou le saturnisme. Au-delà des pathologies se pose la question de l’accès à la santé. La densité de pharmacie est assez bien répartie dans le pays, mais en revanche la partition des médecins généralistes ou spécialistes est très différente. Lorsque l’on est dans une zone rurale, où les revenus sont plutôt faibles, loin de la fameuse métropole, cela peut varier du simple au triple, au quadruple quand on parle des distances qu’il faut faire pour accéder à un médecin. 

La fracture territoriale 

Pierre Bentata : Les emplois qui sont les plus protégés et les plus rémunérés sont aussi ceux que l’on peut faire le mieux en télétravail et dans ce cas la situation géographique n’a que très peu d’impact. Il n’y a alors pas de fracture territoriale. Sauf que le télétravail concerne une minorité de personnes en France. On estime que seuls 40 % des emplois sont faisables en télétravail et ce sont très souvent des emplois de type CSP +, soit à forte créativité ou intellectuel. 

Pour les autres emplois, si on ne peut pas les faire en télétravail on est bien obligé de se trouver proche d’un lieu de travail. Un double phénomène accentue alors la fracture géographique, soit la fracture sociale. Si l’on a retrouvé un emploi qui est peu rémunéré, mais proche de la grande ville on paie un loyer exorbitant. Des personnes sont alors obligées d’aller de leur habitation vers l’endroit où l’activité économique se trouve. Mais ils ne gagnent pas assez en faisant cet effort et on n’a pas accès au service évoqués précédemment. 

Quand on est installés dans une zone peu attractive économiquement, on souffre plus fortement des augmentations de prix, mais aussi des augmentation d’impôts. Le pouvoir d’achat reste plus faible même si les loyers sont plus bas. On prend alors que les effets négatifs de la mondialisation. 

Les bénéfices de la mondialisation se retrouvent dans les grandes villes intégrées au niveau mondial et les effets négatifs se retrouvent dans des zones périphériques. 

Quelle résolution ?

Pierre Bentata : L’accès au logement devient quasiment impossible dans une zone déjà riche et dynamique pour une classe moyenne et populaire. Le prix du logement est trop important que l’on se retrouve avec des disparités si importantes que lorsque l’on veut changer de carrières on ne peut pas aller dans une ville où l’on aura le plus de chances de réussir. 

On peut se poser la question de savoir pourquoi les prix sont aussi élevés ? Il y a une pression immobilière à Paris, Lyon, Bordeaux entre l’offre et la demande, mais on a aussi une pénurie d’offre car on limite très fortement les incitations des propriétaires à louer et à construire davantage de logements. L’ensemble de la réglementation au sens large joue en défaveur des ménages les plus pauvres. 

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