Et si la mère de Lady Gaga avait raison ? Cette douleur émotionnelle des ados qu’on sous-estime dans un univers dominé par les réseaux sociaux<!-- --> | Atlantico.fr
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Les adolescents souffrent des réseaux sociaux.
Les adolescents souffrent des réseaux sociaux.
©Reuters

Little monsters

Aux États-Unis, l'université de Yale et la fondation Born This Way présidée par la mère de Lady Gaga ont lancé une campagne pour sensibiliser au rôle central des émotions chez les adolescents.

Patrice Huerre

Patrice Huerre

Patrice Huerre est psychiatre des hôpitaux et psychanalyste. Il est spécialisé depuis près de 30 ans dans les actions de prévention et de soins pour les enfants, les adolescents et les jeunes adultes. Il préside l’Institut du virtuel Seine Ouest et dirige le centre de formation du Collège International de l’Adolescence.
 

Il a écrit avec Mathieu Laine La France adolescente, aux éditions JC Lattès.

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Atlanico : Aux Etats-Unis, l'université de Yale et la fondation Born This Way présidée par la mère de Lady Gaga ont lancé une campagne pour sensibiliser quant au rôle central des émotions chez les adolescents. L'objectif étant de récolter davantage de données sur l'état émotionnel des ados afin de mieux les armer d'un point de vue émotionnel. Où en est-on aujourd'hui de la connaissance des souffrances émotionnelles des adolescents ?

Patrice Huerre : Cela  dépend de la définition que l'on donne à la notion de "souffrance émotionnelle" car cela peut aussi bien regrouper des idées dépressives que des élans créatifs. Emotion n'est pas forcément synonyme de trouble ou de pathologie car nous avons des émotions de joie, de sentiments amoureux, etc. On peut faire le constat qu'aujourd'hui les adolescents ont une plus grande capacité à exprimer leurs émotions. Cela est dû en partie au fait que des parents post-soixante-huitards aient pour la plupart invité leurs enfants à s'exprimer davantage. Parmi les générations précédentes, les états d'âmes n'étaient pas forcément les bienvenus. L'évolution est tout à fait positive. On peut toujours progresser et les garçons se rapprochent maintenant des filles dans cette compétence. Les jeunes filles ont toujours eu plus de facilité à exprimer leurs émotions quand les garçons étaient davantage dans le refoulement et l'action. Aujourd'hui les garçons et les filles peuvent exprimer leurs sentiments. D'ailleurs on le voit sur les réseaux sociaux où les adolescents expriment sans cesse leurs émotions.

Dans un monde où la misère matérielle recule, les douleurs émotionnelles ont-elles pris plus d'ampleur ?

Ce n'est parce que les douleurs émotionnelles des adolescents s'expriment davantage et différemment qu'il y en a plus. Auparavant, les adolescents présentaient des difficultés, du mal-être et des angoisses. L'expression de ses émois est plus libre mais on ne peut en déduire pour autant qu'ils soient plus nombreux. L'évolution du nombre de dépressions chez les adolescents est constante. Les adolescents sont globalement en meilleures santé que la génération précédente. Ils sont davantage capables d'exprimer leurs émotion, ils voient l'avenir de manière plus positive, ils sont également plus ouverts au monde.

Et quand ils sont en situation de souffrance émotionnelle, ils s'expriment assez directement, il n'est pas rare de voir un adolescent vous dire qu'il est angoissé ou amoureux.

Plusieurs études montrent également les effets des réseaux sociaux sur lesquels les adolescents sont davantage exposés à la pression de leurs pairs ? Peut-on parler de nouvelles formes de souffrance ?

Il y a toujours eu des mouvements de groupes dans une génération adolescente, le fait de vouloir faire comme les autres, d'éprouver comme l'autre épreuve. Et ce type de contagion est assez fort et  accentué par les réseaux sociaux.

Parfois on mesure mal l'impact que peut avoir cette exposition de soi aux autres mais c'est le rôle des adultes de veiller à cela pour que les réseaux sociaux restent bénéfiques et ne soient pas sources de retour moqueur ou renvoyant une image déformante. Parce que les adolescents pensent exposer quelque chose d'eux qui appelle au partage et ils se retrouvent à subir des moqueries. Et les réseaux sociaux amplifient ce qui se situait autrefois sur un territoire limité. Le mouvement groupal trouve une expansion plus large et une temporalité plus grande.

De quel ordre sont ces souffrances ? De quelle manière s'expriment-elles ? Selon un rapport publié par l'OMS l'année dernière, la dépression serait la principale cause de maladie et de handicap chez les 10-19 ans. Quelles sont les conséquences de ces souffrances ?

Encore une fois c'est une question de définition. Parle-t-on de dépression au sens pathologique ou de dépressivité passagère caractéristique de l'adolescence ? A un moment précis du développement, il y a un moment de doute, de doutes sur eux-mêmes. Mais la dépression est une installation dans un état dépressif durable avec un empêchement à vivre, à partager et à penser de manière structurée. Il n'y a pas plus de dépression aujourd'hui que par le passé.

Ces moments dépressifs passagers que Pierre Mâle avait appelé la morosité de l'adolescence, sont tout à fait naturels. Les adolescents broient du noir et on ne va pas en faire une affaire d'Etat car cela fait partie des moments de maturation et d'expérimentation d'émotions nouvelles. Si par contre cela devient une manière d'être, si on vous plaint, on vous dorlote et que l'on s'enferme, il peut y avoir des conséquences scolaires et en matière d'ouverture au monde. C'est la longévité de l'affaire qui aura des conséquences.

Il faut savoir reconnaitre des questionnements existentiels, il faut d'abord reconnaitre que ce n'est pas une maladie. C'est un moment tout à fait normal. Toute cette gamme d'émotions est normale et savoir le reconnaitre c'est faire de la prévention. Et il faut être attentif au fait que cela ne s'installe pas. On sera utile si l'adolescent s'installe dans cet état.

Comment pourrait-on s'y prendre pour favoriser encore d'avantage l'amélioration des conséquences des émotions des adolescents ?

Tout ce qui facilite l'expression de soi et de ce que l'on ressent est utile. L'écriture, la littérature, le cinéma sont des vecteurs d'émotions et tout ce qui favorise ces vecteurs d'émotions sont bienvenus. C'est une façon de donner forme à ce que l'on éprouve car d'autres ont réussi.

Il faut considérer qu'il est habituel dans cette période de la vie de connaitre toute une gamme d'émotions que l'on ne connaissait pas avant. Il faut même légitimer ce sentiment. Il faudra s'inquiéter lorsque cet état s'inscrit dans la durée et les conséquences que cela peut avoir dans la vie scolaire, et les rétrécissements de l'ensemble des centres d'intérêts de l'adolescent. 

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