Et si Emmanuel Macron avait tout intérêt à une dissolution post-émeutes de l’Assemblée nationale ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Il est établi qu’une dissolution de l’Assemblée nationale n’est légitime aux yeux des électeurs que comme mode de résolution d’une crise politique et parlementaire.
Il est établi qu’une dissolution de l’Assemblée nationale n’est légitime aux yeux des électeurs que comme mode de résolution d’une crise politique et parlementaire.
© Ludovic MARIN / POOL / AFP

Recomposition possible ?

Nous nous approchons du terme des cent jours évoqués par Emmanuel Macron et l'apaisement est loin d’être en vue après les émeutes de ces derniers jours.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico :  Nous nous approchons du terme des cent jours évoqués par Emmanuel Macron et l'apaisement est loin d’être en vue après les émeutes de ces derniers jours. Pour autant, le climat actuel n’a-t-il pas favorisé une nouvelle donne politique qui, sans être complètement favorable au président, pourrait lui faire considérer l’idée d’une dissolution ? A quel point l’opération serait-elle risquée ou non pour lui ? Serait-ce un coup "machiavélien" à jouer ? 

Jean Petaux : L’utilisation de l’article 12 de la Constitution par le Président de la République, prérogative non partagée (puisque le PR n’est, selon les termes de la Constitution, obligé que « de consulter » les présidents des deux assemblées) qui donne à celui-ci un pouvoir unique dans les démocraties comparables à la France, est une arme, certes de « destruction (dissolution) massive » de l’Assemblée nationale, mais qui, depuis le printemps 1997, s’apparente à une autre arme, très ancienne celle-là, utilisée par les peuples premiers d’Australie, le boomerang, dont on sait, depuis les premières scènes du « Diner de con », qu’il peut frapper durement celui qui le lance et en use avec un manque certain de discernement et d’à-propos… Ce n’est certainement pas un hasard si une dissolution de l’Assemblée n’est pas intervenue en France depuis 26 ans désormais, même si le changement constitutionnel raccourcissant le mandat présidentiel de 7 à 5 ans et le recalage calendaire des législatures sur le bail du locataire de l’Elysée y est aussi pour quelque chose.

Il est établi qu’une dissolution de l’Assemblée nationale n’est légitime aux yeux des électeurs que comme mode de résolution d’une crise politique et parlementaire. Oublier ce principe c’est s’exposer à l’argument difficilement parable politiquement parlant de la « dissolution pour convenance personnelle ». Autrement dit d’utiliser une prérogative constitutionnelle non pas pour « revenir au peuple », c’est-à-dire pour demander aux Français d’arbitrer un conflit politique ou social majeur, mais de se livrer à un « coup politique » destiné à marquer des points face aux oppositions parlementaires existantes.

Le climat politique actuel, par exemple la déconfiture de la NUPES, le comportement politiquement contre-performant de La France Insoumise et son « lider massimo » Jean-Luc Mélenchon, peuvent sembler être autant d’éléments « positifs », vu du côté de l’Elysée, pour « profiter du contexte » et ainsi enfoncer le coin entre les différentes composantes de la NUPES dans un combat électoral qui verrait fondre leur « capital » de députés dans le cadre de législatives anticipées. De la même manière, le président de la République et la première ministre pourraient considérer qu’il est préférable de « couper l’herbe sous le pied » au RN en prenant Marine Le Pen de vitesse avant qu’elle ne voit sa stratégie de « dédiabolisation » porter pleinement tous ses fruits, en 2027. Dans les deux cas cette analyse est absolument risquée. Elle n’offre aucune garantie de succès et peut, tout au contraire, imposer une cohabitation au chef de l’Etat ou, à tout le moins, une « Chambre » absolument ingouvernable où la tripartition, que l’on voit se dessiner clairement dans les simulations des prochaines européennes de juin 2024, trouverait une réification aux conséquences politiques sans commune mesure, dans leur intensité problématique, avec la situation actuelle.

Une hypothétique dissolution de l’Assemblée nationale pourrait être envisagée dans un cas : celui d’un accord électoral en bonne et due forme entre les partis composants la majorité parlementaire (relative) : Renaissance, Modem, Agir et quelques petits « satellites » et Les Républicains, seule formation politique actuellement disponible, « sur étagère », pour conclure une telle alliance, avec les dégâts politiques que cela générerait en son sein d’ailleurs…. Cette nouvelle donne parlementaire peut justifier alors de consulter les Français, en déclenchant l’article 12, pour savoir s’ils approuvent ou désapprouvent ce changement de coalition parlementaire génératrice évidemment d’un nouveau gouvernement et d’une ligne politique modifiée et décident alors de lui confier ou pas une vraie majorité à l’Assemblée… 

Dans le cas d’une recomposition politique majeure, une dissolution de l’Assemblée, acte constitutionnel et politique majeur, serait légitime et fondée…

Dans le contexte de découragement généralisé qui semble s’installer en France face à l’ampleur de la tâche, Emmanuel Macron, qu’il décide de dissoudre ou non,  est-il capable d’apporter une vraie réponse aux problèmes soulevés par les émeutes ou à minima une réponse superficielle efficace politiquement (comme il l’avait fait à l’issue du mouvement des gilets jaunes) ?

La question peut se poser de la capacité d’Emmanuel Macron à mener telle ou telle action en profondeur. Il me semble qu’il en est une autre plus fondamentale : celle de la nature de la « vraie réponse » pour reprendre les termes de votre question. J’aurais tendance à considérer que la politique économique ou sociale conduite par le président Macron depuis 2017 a durablement et profondément « figé » son image et surtout clivé la société française entre les « pro » et les « anti ». La longue série des sondages d’opinion montre combien l’appréciation que portent les Français sur son action est structurée lourdement selon les catégories d’âge, les catégories socio-professionnelles et le niveau de diplomation. Répondre aux attentes d’une partie des Français (la majorité) mécontents de la politique conduite par le Président et le Gouvernement voudrait dire changer radicalement de « ligne politique ». Or, même dans une période, celle du « quoi qu’il en coûte », où Emmanuel Macron, ses chefs de gouvernement successifs et ses ministres ont conduit une politique économique et sociale beaucoup moins « néo-libérale » que nombre de pays voisins de la France, où la solidarité de l’Etat a joué à plein, même à ce moment-là, les Français qui lui étaient hostiles depuis sa première élection en mai 2017 ou qui ont rejoint les rangs de ses opposants depuis lors, entre mai 2017 et mai 2020 (là où la pandémie de Covid a mis le pays à l’arrêt) ne lui ont pas été gré du tout sa « new policy », celle visant à protéger les Français des conséquences des confinements à répétition…

On voit donc mal comment, en dehors de quelques effets communicationnels, d’une saturation de l’agenda politique par un nouvel événement présidentiel imposé chaque jour, un nouveau plan de plusieurs millions d’euros annoncé quotidiennement, en dehors de « coups » à forte charge d’UBM (unités de bruits médiatiques), Emmanuel Macron peut retrouver la confiance des Français. Tout se passe comme si ces derniers se le représentaient comme « déjà fini », « déjà parti »… à peine 15 mois après sa réélection…. Conséquence considérable de la réforme constitutionnelle d’août 2008 dont on ne dira jamais assez le caractère inepte et pervers : la limitation à deux mandats consécutifs la présence à l’Elysée. Le « réélu » est déjà « un exclu » du jeu politique en somme, au soir-même de sa réélection…

Là où Marine Le Pen s’est montrée plutôt discrète, LR a fait feu de tout bois ces derniers jours.  Le récent sondage IFOP-fiducial montre par ailleurs clairement une progression de la droite et de l’extrême droite dans les esprits, mais face aux divisions de la droite, tout espoir électoral n’est-il pas vain ? LR peut-il tirer son épingle du jeu ? In fine quel impact politique vont avoir les émeutes ?

Le sondage auquel vous faites référence est déjà un peu ancien (près d’un mois puisqu’il a été réalisé entre le 14 et 15 juin 2023) et publié dans la dernière livraison du Journal du Dimanche qu’il nous a été donnée de lire. C’est pour moi, ici l’occasion, de rappeler mon entier soutien aux journalistes du JDD qui mènent un combat extrêmement courageux pour que leur journal ne tombe pas à l’extrême-droite. Les réactions de tous les médias libres devraient être bien plus fortes qu’elles ne le sont face au comportement de celui qu’Eric Orsenna désigne comme un « ogre » et qui est tout simplement un « Croisé » porteur d’une idéologie aveuglante, ostracisante et déchirante.

Pour revenir au sondage que vous mentionnez, on constate que le Rassemblement national n’a pas encore totalement convaincu les Français de sa capacité à être une alternative politique crédible et surtout acceptable. Mais toute sa démarche collective, depuis mai-juin 2022 contribue à combler ce déficit dans l’opinion. Volontairement à contre-courant d’une partie de « l’autre opposition », celle des « Insoumis », le parti de Marine Le Pen apparaît comme la véritable opposition de droite à Emmanuel Macron et au gouvernement Borne. Les Républicains peuvent en rajouter, y compris comme l’a fait Eric Ciotti lors des émeutes, en multipliant les demandes sécuritaires, les propositions visant à rassurer la fraction de l’électorat en attente du rétablissement de l’ordre public et de sanctions accrues non-seulement à l’égard des auteurs des faits délictueux et violents mais surtout à l’égard des parents : tout cela ne convaincra pas les électeurs du « sérieux » de LR sur ce terrain en comparaison des propositions du RN. Les Républicains sont définitivement « démonétisés » aujourd’hui en matière d’aspirations sécuritaires ou vis-à-vis de l’immigration. Le parti de Marine Le Pen qui bénéficie d’un réel avantage, celui de n’avoir jamais gouverné et ne peut donc être accusé de n’avoir rien fait, peut en rajouter dans la démagogie, dans le déni (pour reprendre une partie du titre de l’excellent ouvrage du sociologue au Collège de France, François Héran, auteur de « Immigration, le grand déni » (Seuil, La République des Idées, 2023) et dans l’outrance et la surenchère… Les électeurs de droite préfèrent désormais l’original (le RN) à sa pâle copie (LR).

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