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Et s’il existait un moyen (relativement) simple de traiter le défi posé par les Talibans
©HOSHANG HASHIMI / AFP

Tragédie Géopolitique

Que devrait faire la France devant cette tragédie géopolitique ? Peut-être tenir compte des réalités régionales...

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Avec cet air un peu égaré qui inquiète même de fervents démocrates, le sans doute sincère président Biden proférait récemment - alors même que s'effondrait le chateau de cartes made in Washington - une phrase parmi les plus ineptes de l'histoire stratégique (qui pourtant...). En substance : "L'armée afghane doit défendre la nation afghane". Or jamais il n'y a eu, pas plus en 2021, de "nation afghane", au sens où la France est un État-nation. De toujours et à ce jour, l'Afghanistan est une marquetterie tribale, elle-mêmes divisée en une foule de vallées, où, pour être tranquille, chaque clan a adopté un Islam différent du voisin : sunnite, chi'ite, ismaélien. Nul de ces ensembles tribaux n'est majoritaire : les Pachtounes culminent (à la louche) à 40% du total.

Or Washington n'a jamais compris que sans État-nation réel, il est physiquement impossible, comme à une tortue de s'envoler ou un éléphant de danser Le Lac des Cygnes, de former une armée nationale. S'obstiner, par idiote croyance au nation building, c'est recruter des hommes qui bien sûr, prennent gentiment entraînement, armes et uniformes - ça servira toujours. Les mêmes, le conflit venu, filent illico dans leur tribu avec armes et bagages : là est leur unique allégeance, leur famille - comme disait Barrès, leurs tombeaux et leurs berceaux.

83 milliards de dollars plus loin (pour monter le seul meccano de l'"armée afghane") ; 2 000 milliards de dollars et 2 500 morts plus loin (la guerre sur place), Washington voit, en une semaine, "l'armée afghane" se dissoudre comme un sucre dans de l'eau. Le réel existe ! Le philosophe Clément Rosset le disait "insupportable mais irrémédiable". Encore, nul n'a dit à ce jour la constellation d'âneries sociétales enfoncée par Washington dans la gorge des Afghans ! "Conseillant" même à ses stipendiés de Kaboul d'y organiser une Gay Pride. Le lecteur pensant que l'auteur fantasme ou galège doit googler "Gender Mainstreaming Afghanistan", nom de code de la délirante lubie, pour être édifié.

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Que devrait faire la France devant cette tragédie géopolitique ? Justement, tenir compte des réalités régionales. Voici les principales.

1 - La clé du problème afghan se trouve, et uniquement, au Pakistan. Depuis la fondation du pays en 1949, les généraux et chefs des services spéciaux (ISI), tenanciers à 100% des affaires afghanes, y proviennent d'une discrète aristocratie moghole, les Ashraf. Non pas une caste à l'indienne car 100% musulmane ; plutôt, une sorte d'ENA issue des académies militaires du pays. Ces hommes de langue Ourdoue (iranophone) sont sunnites, chi'ites ou ismaéliens, qu'importe ; de culture soufie, ils interagissent aisément. 

2 - Dès 1973 (oui, 1973) l'un des ashraf les plus éminents du pays, le général Nasirullah Khan Babar (Babar est le nom de sa tribu pashtoune) monte en Afghanistan un réseau, lointain ancètre des futurs Taliban, vingt ans après. Pachtoune et sunnite, Khan agit alors en étroite complicité avec le premier ministre Ali Bhutto, lui même issu du Sind et chi'ite. Pour l'Europe, un peu le tandem d'un calviniste écossais et d'une carmélite andalouse... Khan est inspecteur général du Frontier Corps, troupe d'élite chargée de "policer", tant que possible, les confins pakistano-afghans (Durand line) puis gouverneur de la province-"frontière" de Khyber Pakhtunkhwa ("Pachtounistan").

3 - Ce que Naseerullah Khan débute sous Ali Bhutto, il l'achève avec son collègue le général Hamid Gul (pachtoune pakistanais de la tribu Yusufzai, chef de l'ISI et architecte de la géopolitique du pays) et Benazir, héritière du clan Bhutto. À 100%, sans trêve et à ce jour, l'opération Taliban est conduite depuis Islamabad. Peu avant sa mort (naturelle) en 2015, Hamid Gul s'en vantait - immense révélation lors d'un talk-show populaire : "Un jour, dit alors le général, le monde saura qu'en Afghanistan, l'ISI a vaincu l'Union soviétique avec l'aide des États-Unis, puis, ces mêmes États-Unis ...avec l'aide des États-Unis".

4 - De culture moghole, les Ashraf ne sont ni des fanatiques, ni des militaires bornés - d'inflexibles Catons, c'est une autre histoire... En tout cas, ils évoluent fort bien dans un milieu multiculturel : pour s'en persuader, lire l'hommage ému du général Khan aux missionnaires catholiques du collège de Peshawar où il étudia dans la décennie 1940....

5 - Sollicitons-les pour qu'ils contrôlent les Taliban, les empêchent d'écouter les sirènes du djihadisme-terrorisme. Cela se fit déjà à la fin du XXe siècle : payés pour éradiquer le pavot de leur pays, les Taliban agirent alors - sans douceur, on s'en doute : en deux ans, 90% des cultures de pavot y avaient disparu. Comme les Albanais et leur Kanun, les Pachtounes ont leur code d'honneur coutumier, le Pakhtunwali. Le connaître, le comprendre, l'infléchir, est la mission séculaire du Frontier Corps qui sait tout des chefs pachtounes, Taliban ou autres, de l'avouable au plus glauque. Les payer pour qu'ils "neutralisent" les fanatiques djihadistes sera bien moins ruineux et plus efficace qu'un seul vol de B 52. //

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