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Et maintenant, la Libye : la Russie avance un nouveau pion pour son retour en force en Méditerranée
©Reuters

Partie d'échec

Tandis que la communauté internationale suit le développement du sommet d'Astana, dédié au conflit syrien, c'est au tour de la Libye d'être au cœur des intérêts de la Russie. En soutenant un opposant au gouvernement de Tripoli, le Kremlin annonce son retour en méditerranée.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Après le théâtre syrien, la Russie semble également se préoccuper de plus en plus clairement de la situation en Libye, en apportant son soutien au Maréchal Haftar, reçu deux fois à Moscou, et principal opposant au gouvernement libyen pourtant lui même reconnu par la communauté internationale. Comment interpréter cette nouvelle donne en Méditerranée, quelles en sont les implications ? 

La Russie est très inquiète des déstabilisations héritées des printemps arabes de 2011. La Libye lui a laissé un mauvais souvenir en raison de la résolution n°1973 de l’ONU qu’elle a accepté de laisser passer en s’abstenant. En effet, elle a été largement dépassée dans ses buts déclarés par les pays qui sont intervenues, la France, la Grande-Bretagne et, par derrière les USA, mais sans eux rien n’aurait été possible techniquement. Pour mémoire il n’était pas question de faire chuter le colonel Kadhafi mais de protéger les populations civiles. La « communauté internationale » que Moscou tient désormais en piètre estime -du moins pour la partie considérée comme faisant le jeu de Washington- soutient effectivement le Gouvernement d’Union Nationale (GUN) présidé par Fayez El-Sarraj. Ce dernier est obligé de s’appuyer sur les milices salafistes de Misrata pour deux raisons :

primo : lutter contre Daech,

secundo : assurer sa propre protection, particulièrement à Tripoli où il est installé.

La Chambre des représentants qui siège à Tobrouk n’a toujours pas reconnu le GUN malgré toutes les pressions qui pèsent sur elle. Ses forces militaires (l’Armée nationale libyenne -ANL-) commandées par le maréchal Khalifa Haftar (promu à cette dignité en septembre 2016) ont reconquis à l’été 2016 le croissant pétrolier de Zueiteina, Brega, Ras Lanouf et El-Sidra en chassant la milice Petroleum Facilities Guard (PFG) d’Ibrahim el-Jadrane. Par ailleurs, elles interviennent actuellement dans le Fezzan pour contrer les milices de Misrata qui y ont été dépêchées pour tenter d’y asseoir leur autorité. Ces dernières y ont été dépêchées pour théoriquement ramener la paix entre les tribus locales, essentiellement des Toubous et des Touarègues, qui se livrent traditionnellement à tous les trafics dont le premier est la contrebande vers les pays voisins, Algérie, Niger et Tchad. Pour ajouter au désordre ambiant, Daech qui a été chassé de Syrte par les milices de Misrata appuyées par les Américains est présent en plusieurs points du territoire libyen. Son vrai opposant, c'est Al-Qaida "canal historique" et ses groupes affiliés plus ou moins officiellement.

Pour Moscou, le maréchal Haftar est donc celui qui a la puissance nécessaire pour ramener un semblant d’ordre sur une partie de la Libye, surtout en Cyrénaïque et peut-être une partie du Fezzan. La reprise presque complète de Benghazi sur les milices islamistes au début 2017 semble conforter cette opinion. Il a aussi un atout prioritaire, c’est un « laïque ». Et enfin, il est adossé à l'Égypte du maréchal Sissi qui lui apporte aide et soutien matériel.

Point besoin d’être devin pour voir clair dans la politique de la Russie en Libye : Haftar a été invité par deux fois en Russie en 2016 et le 11 janvier 2017 à bord du cuirassé porte-aéronefs Kouznetsov alors que ce dernier voguait au large de Tobrouk au retour de sa campagne syrienne. A chaque fois, il a communiqué avec de hauts responsables (par vidéo-conférence sur le Kouznetsov) dont le ministre de la défense Sergueï Koujouguétovitch Choïgou, l’homme fort du Kremlin (après le président Poutine). Les Russes ne feraient pas assaut d'amabilités à son égard s'ils ne voyaient en lui un pion intéressant à jouer.

En quoi cette nouvelle donne en Méditerranée peut elle influer sur les relations entre Russie et l'Union européenne, et plus particulièrement la France ? De plus, comment expliquer que certaines opérations françaises en Libye semblaient également être liées au Général Khalifa Haftar ?

Pour ce qui concerne la France, je ne peux répondre à votre question pour deux raisons :

primo : je ne sais pas, le ministre de la défense le Drian n’est pas venu me faire de confidences ;

secundo : et même si cela était (et bien sûr, ce n’est pas le cas, je ne suis qu'un humble observateur extérieur), cela relève du secret défense.

L’UE est bien embarrassée avec ce qui se passe en Libye. La France et la Grande-Bretagne ont été à l’origine du chaos actuel pour des raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas. L’Italie, le premier pays concerné par la géographie et l’Histoire, vient de rouvrir sa représentation diplomatique à Tripoli. Elle a d’ailleurs été presque tout de suite visée par un attentat survenu à proximité de ses locaux. Le problème des migrants l’étouffe. La marge de manoeuvre est plus qu’étroite. Elle regarde donc agir la Russie en espérant secrètement qu’elle parviendra à donner une direction dans laquelle aller. Comme en Syrie, l’Europe laisse faire Moscou en se pinçant le nez et en hurlant dès qu’elle détecte une atteinte supposée aux Droits de l’Homme. Il faut reconnaître qu’elle n’a pas beaucoup d’autres moyens d’action à sa disposition que l’indignation.

En prenant du recul sur la carte, entre Méditerranée, Proche et Moyen Orient, dans un climat dominé par le sommet d'Astana lié au conflit syrien, comment comprendre la logique Russe dans la région ? 

La Russie prend très progressivement pied en Méditerranée. Elle va transformer Tartous en base maritime (il ne s’agissait jusqu’alors que de « facilités » maritimes sans port en eaux profondes). D’importants travaux d’infrastructure y sont prévus. La base aérienne de Hmeimim est devenue pérenne. La partie contrôlée par les Russes a été décrétée, avec l’accord des autorités officielles en place à Damas, comme territoire russe comme les représentations diplomatiques(1).

De son côté, l'Égypte devrait lui accorder des facilités d’escale. Même chose pour Tobrouk protégé par les forces du maréchal Haftar. Des négociations seraient en cours avec le Maroc pour obtenir des ouvertures sur l’Océan Atlantique, une première depuis la Russie des Tsars. Moscou profitant de l’indécision et du désengagement progressif de Washington au Proche-Orient, de la faiblesse endémique des Européens due en grande partie à leurs divisions internes, est en train de retrouver une place particulière qui peut séduire certains car elle paraît « nouvelle ». La question qui se pose est : la Russie en a-t-elle les moyens et si ce n’est pas le cas, ne risque t’elle pas de décevoir les dirigeants des pays qui voient en elle un début de solution à leurs problèmes(2) ? De nombreux autres États sont aussi dans l’expectative, Israël et Arabie saoudite en tête. Il convient de ne pas oublier qu’un des alliés majeurs de la Russie reste l’Iran, l’ennemi juré de ces deux pays !

  1. 1.Ce qui signifie que toute attaque de cette base pourrait être considérée comme une agression contre la Russie elle-même.
  2. 2. Un des problèmes majeurs est, comme d’habitude, financier.

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