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Et le candidat surprise de 2022 pourrait bien être...
©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Sondage Ifop présidentielle 2022

Un sondage IFOP sur la présidentielle indiquait ce lundi que 2022 pourrait voir un match retour Macron / Le Pen avec des rapports de force politiques relativement figés. Les crises politiques majeures se sont pourtant succédées depuis 2017. Et si un autre scénario se cachait entre les lignes...?

Guillaume  Bernard

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard est maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures). Il a enseigné ou enseigne dans les établissements suivants : Institut Catholique de Paris, Sciences Po Paris, l’IPC, la FACO… Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d’ouvrages dont : Les forces politiques françaises (PUF, 2007), Les forces syndicales françaises (PUF, 2010), le Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011) ou encore une Introduction à l’histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2e éd., 2011).

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico.fr : Un sondage Ifop publié hier place Emmanuel Macron et Marine Le Pen au coude-à-coude au premier tour de l'élection présidentielle de 2022, avec environ 28% d'intentions de vote, loin devant tous les autres candidats. Dans l'hypothèse d'un second tour Macron/Le Pen, le duel serait beaucoup plus serré qu'en 2017, avec 55 % d'intentions de vote pour l'actuel chef de l'Etat, contre 45% pour la patronne du Rassemblement national. 

En 2017, Emmanuel Macron avait recueilli 24% des voix au premier tour, contre 21,3 à Marine Le Pen. Il l'avait emporté au second tour avec 66,1% contre 33,9%. Un duel qui pourtant ne semble pas être souhaité par une majorité de Français : selon un sondage Elabe publié en février dernier, 80% des Français ne souhaitent pas un second tour Macron/Le Pen.

Alors que ce quinquennat a connu une succession d’énormes crises politiques et désormais économiques comme jamais la Ve République n’en avait connue, comment expliquer que la vie politique française paraisse aussi congelée ?

Guillaume Bernard : Deux ans avant la présidentielle, un sondage doit être pris avec précaution : d’abord parce que les Français n’ont pas la tête à ça, ensuite parce que l’on ignore qui sera vraiment candidat. Emmanuel Macron pourra-t-il vraiment se représenter ? Ceux qui ont favorisé son ascension souhaiteront-ils encore le soutenir ou lui chercheront-ils un remplaçant pour incarner la « grande coalition » ? En outre, une force politique n’existe pas seule ; elle est en interaction avec les autres. Autrement dit, les scores des uns et des autres dépendent de qui incarne la concurrence.

Or, il y a, théoriquement, deux scrutins locaux, les départementales et les régionales, en 2021, qui pourraient rebattre en partie les cartes : le PS et même LR vont-ils survivre ou sombrer ? Sur la droite du spectre politique, une nouvelle force politique de rassemblement (d’obédience nationale-conservatrice) pourrait peut-être émerger à l’occasion de ces scrutins : les binômes aux cantonales et le scrutin de liste à la proportionnelle aux régionales pourraient favoriser une dynamique de coalition entre des candidats (et leurs électeurs) qui sont, aujourd’hui, dispersés entre plusieurs partis mais qui pensent à peu près la même chose sur de nombreuses sujets.

Cependant, il est vrai que la force d’inertie du système partisan est grande et que le renouvellement de l’offre politique ne se fait pas du jour au lendemain : les partis défendant leurs intérêts de boutique et les réflexes psychologiques acquis freinent la recomposition. Celle-ci est, toutefois, inéluctable : les partis dits de gouvernements qui n’accèdent pas plusieurs fois de suite au second tour de la présidentielle sont voués à disparaître.

Edouard Husson : Le Général de Gaulle avait prévu que le président de la République vérifie régulièrement la confiance qu’il possède auprès du peuple français. Cela pouvait se passer par le référendum, par des élections législatives anticipées, par la décision de se représenter devant le suffrage. Force est de constater qu’en instaurant le quinquennat, en acceptant les cohabitations, en entrant dans des logiques de réassurance mutuelle des dirigeants internationaux par le développement des organisations trans- ou supranationales, les successeurs du Général de Gaulle ont déréglé l’horlogerie de la Vè République. Au début, ce ne fut pas grave: Mitterrand puis Chirac profitèrent des cohabitations pour se refaire une force politique. Puis le quinquennat sembla tout résoudre en présidentialisant le régime. Mais le fait que Nicolas Sarkozy n’a pas été réélu, que François Hollande n’a pas pu se représenter et qu’Emmanuel Macron apparaît comme un président sans légitimité, au sens gaullien du terme, conduit à ce paradoxe: nous avons face à face un candidat défendu par les milieux dirigeants, faute de mieux. Et de l’autre une candidate opposée au « système » mais qui est incapable de faire ce qu’a réalisé, par exemple, Donald Trump, se réconcilier avec une partie de l’establishment. Le résultat, c’est un jeu politique apparemment bloqué: Emmanuel Macron conserve son socle de premier tour. Marine Le Pen retrouve les scores de ses sondages de 2015, deux ans avant une élection présidentielle, mais on sait qu’elle a terminé à 21%.  C’est pourquoi il ne faudrait pas que les sondeurs s’obstinent à nous préparer un second tour qui soit la répétition de 2017. Il se passera sans doute tout autre chose. 

Comment expliquer le paradoxe qui voit certains dominer les débats médiatiques ou les élections locales (de la France insoumise aux Écologistes) tout en étant incapables d’incarner une alternative crédible au niveau national puisque Jean-Luc Mélenchon n’est pas crédité de plus de 12/13% et Yannick Jadot de 8% ? 

Guillaume Bernard : Il y a peu de mystère ici : les prises de position de ces forces politiques ne correspondent tout simplement pas à l’état de l’opinion et sont même, parfois, en contradiction totale avec les nécessités ou les idées majoritaires des Français.

Alors qu’il y a une crise identitaire liée à l’échec de l’assimilation de l’immigration et au déracinement des autochtones, LFI a viré vers le communautarisme voire l’indigénisme. Ce parti semble oublier que le peuple, ce n’est pas seulement une catégorie sociale, c’est aussi un corps politique pour lequel l’insécurité culturelle est tout autant dommageable que l’insécurité physique et matérielle (délinquance) ou sociale (chômage).

Quant aux Verts, s’ils peuvent convaincre pour la revalorisation des circuits économiques courts, ils apparaissent comme se contredisant quand, d’une part, ils font l’apologie d’une vision supranationale de la politique (trahison du local au profit du global) et, d’autre part, adoptent des positions progressistes en matière sociétale (trahison de la nature au profit de la volonté de puissance des hommes). Dès lors, s’ils peuvent conquérir (en particulier aux élections locales) des électeurs sensibles à la défense de l’ordre naturel, ils les perdent pour les scrutins nationaux. Les Verts sont toutefois en progression et sont susceptibles de prendre la place du PS sur le spectre politique ; cela contribue à expliquer que LREM ait passé des alliances avec LR aux municipales pour les empêcher de se développer et d’obtenir de nombreux grands électeurs pour les sénatoriales.

Edouard Husson : Encore une fois, on est frappé par la stagnation des différents candidats. LR et le PS n’en finissent pas de s’étioler. Mélenchon se retrouve là où il était en 2015 dans les sondages, deux ans avant la présidentielle. Pourquoi ne pourrait-il pas renouer avec son score de 2017 à 19%? Quant aux écologistes, je ne les verrai pas forcément figés à 8%. Imaginons une candidature populiste écologiste sur un mode « Mouvement Cinq Etoiles », le jeu pourrait être bouleversé. C’est d’ailleurs à gauche qu’on aura vraisemblablement le plus de mouvement: Emmanuel Macron aura beaucoup de mal à y retrouver son socle de 2017. Il aura tendance, du coup, à vouloir aspirer le plus possible des 12% restants à LR. J’ai plutôt tendance à penser qu’on aurait, dans la situation actuelle, une sorte de triangulaire incertaine: Mélenchon sera-t-il capable de capter le potentiel d’alliance de la gauche radicale, d’un certain souverainisme et de l’écologisme? Emmanuel Macron saura-t-il attirer à lui les déçus de LR? Marine Le Pen ne fera sans doute pas les scores que lui promet ce sondage si Macron occupe fermement le centre-droit - avec le danger, pour lui, de laisser trop d’espace à un renouveau de la gauche, mais qui ne passera pas par le PS. 

On sait que les contextes politiques où l’alternance démocratique paraît impossible peuvent déboucher sur des tensions très fortes voire de la violence de la part de minorités radicalisées comme cela avait été le cas en Allemagne ou en Italie dans les années 70/80. Ce scénario nous pend-il au nez alors que les fractures de la société française n’ont pas été aussi nombreuses ni à vif depuis longtemps ?

Edouard Husson : On est très frappé par la violence de l’extrême gauche, dans tout le monde occidental. En fait, le paradoxe du sondage que nous avons sous les yeux, c’est qu’il ne rend que partiellement compte des mouvements en profondeur de l’opinion. Il y a la cristallisation d’un bloc de droite, que l’on retrouve dans le score promis à Marine Le Pen. Mais, il y a un an, un sondage réalisé à la demande de l’ambassade d’Allemagne, montrait que si la candidate de la droite s’appelait Marion Maréchal, on enregistrait une participation électorale supérieur de 5 points, la candidate faisait 3 à 4 points de plus au premier tour et elle faisait entrer Emmanuel Macron dans la zone de turbulence au second tout puisqu’elle était créditée de 48,5% des voix. De même, le score promis par ce sondage à Monsieur Macron me semble ne pas rendre compte du fait qu’il émerge en ce moment un puissant mouvement potentiel souverainiste égalitaire de gauche, qui ferait perdre des points à l’actuel président, à condition de trouver un pont avec les écologistes. 

Des écologistes radicaux aux décoloniaux en passant par l’extrême-droite, ceux qui rejettent totalement le monde actuel sont nombreux, lesquels paraissent-ils les plus susceptibles de déraper hors du champ démocratique normal ?

Edouard Husson : C’est l’extrême gauche qui est la plus dangereuse. Elle s’appuie sur la radicalisation d’une partie de la jeunesse, qui pourrait bien se retrouver sans emploi du fait de la crise économique et sociale à venir à l’automne. Partout nous voyons se mettre en place le même schéma: l’extrême gauche organisée, y compris son aile violente, fait manoeuvrer les jeunes issus de l’immigration pour porter des coups de boutoir aux institutions démocratiques et contester radicalement la démocratie, l’état de droit, le fonctionnement normal de nos systèmes électoraux. Nous sommes dans une situation qui est l’inverse d’il y a un siècle: dans les années 1920, la violence première était d’extrême droite et elle nourrrissait une violence d’extrême gauche en retour. Le développement du communisme en Europe, Russie mise à part, était largement une réponse à la montée du fascisme. Aujourd’hui, nous voyons une violence d’extrême gauche toujours plus forte, qui s’appuie sur la complicité des grandes organisations internationales et de l’intelligentsia progressiste et qui, au nom de l’antiracisme, du genrisme, de l’écologie, appuie l’avènement d’une pensée politique tyrannique, de dictatures de la bien-pensance plus ou moins douces et d’une mise au pas de la liberté d’expression. Face à cela, malgré la loupe déformatrice des médias, il faut bien dire qu’il y a eu peu de véritable violence d’extrême droite. On a eu plutôt la montée de mouvements populistes et l’émergence d’une conception « illibérale » de la démocratie.

A la mi-mandat du quinquennat de François Hollande, les enquêtes d’opinion montraient que les Français ne souhaitaient pas le match retour Hollande Sarkozy. Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont écrit un autre scénario. Quels sont les ruptures ou les candidats qui pourraient faire dérailler en 2022 ce match retour dont les Français ne veulent pas ? 

Guillaume Bernard : Étant donné qu’une part importante des Français sont en rupture de ban (les abstentionnistes coutumiers, les Gilets jaunes des ronds-points pour qui même les partis « extrêmes » sont dans le « système ») et qu’une grave déflagration économique et sociale est prévisible, il ne faut naturellement pas exclure des bouleversements d’envergure. À la crise politique (perte de confiance dans les élus et la démocratie représentative) s’ajoute désormais une crise de régime puisque ce sont les principes mêmes sur lesquels il repose qui sont sujets à caution, en particulier le matérialisme, le contractualisme et l’indifférentisme. Dans ces conditions, les Français pourraient être tentés par le « régimicide ». Cependant, ce scénario n’est vraiment envisageable que s’il y avait une convergence en faveur d’un nouveau régime et non pas seulement une addition de rejets qui sont parfois contradictoires.

Une force politique alternative (à l’actuelle offre partisane) pourrait d’ailleurs se faire le vecteur d’une recomposition tant sociale que politique : faire prendre conscience d’une possible lutte des classes (concept d’origine libérale) opposant ceux qui pâtissent de l’insécurité (physique et matérielle, économique et sociale, culturelle et morale) à ceux qui en profitent (les « élites » mondialisées et progressistes) et ceux qui la favorisent (les immigrés non assimilés dont certains ont des vues impérialistes).

Quelles sont les conditions de son émergence ? Quelques-unes peuvent être identifiées :

- ne pas raisonner en termes d’addition de segments électoraux mais de dynamique, en particulier pour ré-intéresser à la politique les abstentionnistes ;

- ne pas chercher à faire des combinaisons partisanes, mais à rassembler sur des principes clairement exprimés et formant un ensemble cohérent qui n’emportent l’adhésion d’une grande majorité de Français qu’à la condition de ne pas être étiquetés de manière partisane ;

- ne pas se préoccuper d’être approuvé par ceux que l’on cherche à remplacer (y compris en cherchant à leur déplaire par la provocation, la surenchère ou le dédain), mais répondre aux besoins réels et vitaux du pays (une puissance régalienne assurant les libertés naturelles aux corps intermédiaires et accordant une réelle confiance aux Français par la démocratie directe).

Edouard Husson : On peut imaginer, comme indiqué, une candidature populiste de gauche. Regardez le succès, il y a quelques semaines, d’une vidéo de Vincent Lindon dénonçant tous les excès du « néolibéralisme ». Regardez comme le mouvement de Michel Onfray prend dans les milieux politiques et intellectuels.  Il y a le potentiel pour un souverainisme de gauche, fortement teinté d’égalitarisme. Il suffirait qu’il s’allie aux écologistes ou bien que Jean-Luc Mélenchon sache le capter pour que la donne soit bouleversée. D’autre part, le Rassemblement National a beau se réjouir du sondage d’hier, l’enthousiasme est trop habité d’éléments de langage soigneusement choisis par la com du parti pour ne pas ramener à l’enseignement principal du sondage. Malgré la crise des Gilets Jaunes, le conflit des retraites où elle a pris parti pour les manifestants et la gestion catastrophique de la crise du COVID 19 par le gouvernement, Marine Le Pen est battue au second tour. Imaginez que ce constat se répète dans l’année qui vient, sondage après sondage, on se demandera s’il n’y a pas un meilleur candidat que Marine Le Pen pour rassembler une droite qui a le potentiel de retrouver au moins le score de Nicolas Sarkozy en 2007 (31%), dix points au-dessus des scores de Marine Le Pen et de François Fillon en 2017 (aux environs de 20%). 

Après la France des émeutes ont également en Allemagne. Sommes nous face à un phénomène global d'augmentation de la violenc sociale dans les démocraties occidentales ? 

Edouard Husson : Les médias allemands ont complètement minimisé la violence des événements à Stuttgart la fin de semaine dernière. L’Allemagne de Madame Merkel que l’on dit si stable a connu plusieurs heures d’émeute menée par l’extrême gauche, encourageant des jeunes issus des vagues d’immigration de 2014/2016 à se révolter après un contrôle de trafic de drogue par la police. Des dizaines de magasins ont été pillés ou détruits. Il a fallu faire venir de la police d’autres Länder; et plusieurs heures pour reprendre en main la situation. Cela rejoint ce que nous disions plus haut, le risque de violence est aujourd’hui à l’extrême gauche et les bataillons de réserve de la révolution sont des jeunes issus de l’immigration incontrôlée des dernières décennies en Europe. 

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