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Et l’explication aux faibles hausses de salaires dans la zone euro malgré la baisse du chômage est loin d’être uniquement celle que veut bien avouer la BCE
©Reuters

Bonne explication ?

D'après la BCE, si les hausses de salaires, en zones euro, depuis 2013, sont faibles -et ce malgré la baisse du chômage- se serait parce que les emplois créés l'ont été dans des secteurs qui rémunèrent mal leurs salariés.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : D'après la BCE, si les hausses de salaires sont restées faibles, depuis 2013, en zone euro et ce malgré la baisse du chômage se serait parce que les emplois créés l'ont été dans des secteurs qui rémunèrent mal leurs salariés. Cette explication de la BCE est-elle plausible et suffisante à expliquer ce phénomène ?

Mathieu Mucherie : On ne peut pas complètement écarter cette explication de la BCE. La FED avait d'ailleurs donné la même explication il y a quelques années lorsqu'elle était confrontée au même phénomène c'est-à-dire la baisse du chômage, des créations d'emplois et en même temps très peu d'augmentation de salaires. 

La FED était alors allée à la chasse aux explications pour rendre compte de ce que l'on appelle l'échec de la courbe de Phillips, elle a alors proposé la même explication que la BCE mais ce n'est pas très probant. Il y a d'autres explications plausibles, par exemple la baisse du pricing power des salariés -c'est-à-dire qu'ils n'auraient plus de capacité à peser dans les négociations salariales pour maintes raisons telles que l'immigration, la robotisation... - mais elles apparaissent toutes comme étant insuffisantes pour expliquer l'ampleur du phénomène. On a besoin d'explications plus ambitieuses et englobantes.

Pour ma part, j'en reviens toujours à l'idée que finalement il n'y a pas eu beaucoup de création monétaire au cours de ce cycle en zone euro ; que les politiques monétaires sont dites accommodantes mais qu'en réalité elles sont plutôt restrictives ce qui permet assez logiquement d'expliquer l'absence d'inflation et par conséquent une faiblesse de la demande agrégée qui pèse sur les dynamiques salariales. C'est une approche plus macro qui me permets corréler d'avantage avec le cycle et éviter d'avoir à "bidouiller" à l'intérieur des secteurs, des pays ou des négociations salariales. Cette idée est suffisante et permet de se passer d'explications partielles : on nous a promis 2% d'inflation, on ne les a pas obtenu -depuis 2012 on a 1% en moyenne- à partir de là il est totalement normal qu'il y ait une atonie des salaires nominaux qui à la différence des salaires réels sont entrainés vers le bas parce qu'il n'y a pas d'inflation. C'est une explication qui vaut autant pour les salaires nominaux que les taux d'intérêts nominaux par exemple alors que l'explication de la BCE n'explique les salaires nominaux et ne permet pas de comprendre davantage pourquoi l'euro est trop cher, ni pourquoi les taux d'intérêts sont faibles. 

Doit-on y voir le signe d'une japonisation ? 

Oui tout à fait. On le dit dans les colonnes d'Atlantico depuis 2011 mais le problème c'est que c'est inacceptable pour les banquiers centraux. C'est-à-dire qu'ils ont besoin de trouver d'autres types d'explications -même peu satifaisantes- car ils refusent absolument l'idée d'une japonisation. 

En effet, accepter l'idée de la japonisation reviendrait, pour les banquiers centraux, à reconnaître leurs erreurs. En outre, leur mandat est clair : maintenir la stabilité des prix avec une inflation proche de 2% par an, or si l'on commence à parler de japonisation cela voudrait dire qu'ils n'ont pas rempli leurs fonctions. Un banquier central ne peut pas faire ce qu'il veut, il ne peut pas créer de la croissance à partir de rien, mais par contre sur les variables nominales il a un énorme pouvoir, il est celui qui garanti les valeurs nominales : s'il veut 2% il y aura 2% d'inflation. Si on peut avoir 12% d'inflation en Turquie, on doit pouvoir obtenir 2% d'inflation en zone euro....

Et si on parle de japonisation évidemment dans ce cas là on blâme directement le banquier central, c'est sa responsabilité qui est engagé. Pour eux il y aura toujours une autre explication : elle ne sera jamais simplement monétaire. Il peut y avoir des chocs temporaires, des histoires de secteurs, des éléments nationaux... mais jamais de japonisation. 

Comment sortir de cette japonisation ?

Il y a quelques années, nous avions fait plusieurs propositions. La solution idéale parce que pas chère, était de dire : au lieu de faire une cible d'inflation à 2% que l'on n'arrive pas à atteindre, on va faire une cible de PIB nominal sur laquelle le banquier central aura complètement la main. Ainsi, à chaque qu'il sera au-dessus de sa cible de PIB nominal il devra ralentir l'économie, et lorsqu'il sera au-dessus il devra la stimuler. Cette proposition de ciblage de PIB nominal, une proposition simple et nette.

Que ce soit au Japon, aux Etats-Unis ou en Europe, personne n'a voulu adopter cette solution. Désormais, il n'y a guère de solution hormis ce que l'on pourrait appeler la "grosse artillerie" c'est-à-dire la monnaie hélicoptère. Ceci reviendrait à changer les règle du jeu, et à sortir la planche à billets pour la première fois (une blanche à billets qui irait directement au peuple). Il ne s'agirait pas d'acheter des actifs qui seraient déjà sur le marché mais de quelque chose de plus ambitieux : on créerait de l'argent de toute pièce et on le balancerait sur des comptes bancaires. La consommation augmenterait de suite, on aurait une stimulation de toutes les variables nominales et on attendrait rapidement les 2% d'inflation désirés. Maintenant, cette politique monétaire devrait rester un "one shot" mais serait une véritable planche à billets, il y aurait réellement pour la première fois une création monétaire. On sortirait des chocs déflationnistes et de la japonisation mais il faudrait doser ceci minutieusement. 

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