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Espoir jaune ou peur bleue : ces biais cognitifs qui impactent nos perceptions du mouvement des gilets
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Illusion

La France se trouve aujourd'hui divisée entre deux visions radicalement opposée sur la façon dont on doit interpréter le mouvement des gilets jaunes.

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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Atlantico: Une partie des Français pessimiste voit dans cette révolte une confirmation d'une dégradation généralisée de notre société, là où une autre partie des Français dénonce une supercherie populiste qui noircirait la situation pour des raisons politiques. Les deux perceptions semblent irréconciliables, car radicalement opposées. Peut-on parler de fracture cognitive ? 

Nathalie Nadaud-Albertini: Parler de « fracture cognitive » me semble un terme un peu trop extrême. Disons plutôt qu’on a affaire à une situation qui invite à réfléchir sur les conditions de l’intersubjectivité, c’est-à-dire sur les conditions et mécanismes par lesquels on parvient à se mettre d’accord sur le sens à accorder à un même objet ou à une même situation.

L’une des ressources pour le comprendre est le travail d’Alfred Schütz, sociologue et philosophe des sciences sociales, porteur d’une approche phénoménologique, et notamment ce qui relève du vécu allant-de-soi (« take for granted ») et de la typification. Si l’on devait résumer à gros traits son approche, on dirait que dans son vécu au quotidien, l’individu possède une réserve d’expériences, de savoirs, de savoir-faire qu’il tiendra pour acquis et qui donc, pour lui, iront de soi. La conséquence découlant de ces allant-de soi est de penser le monde par types, c’est-à-dire d’exclure tout ce qui fait l’événement unique et irremplaçable, qu’il s’agisse des situations, des expériences, des objets, ou des personnes humaines. L’individu pense a priori le monde ainsi, parce que ne pas le faire reviendrait à douter de tout en permanence et rendrait le monde proprement invivable. Et il le pense ainsi jusqu’à ce qu’il soit confronté à quelque chose qui n’entre pas dans le cadre des allant-de-soi, quelque chose qui  relève de l’altérité, et qui lui demande un travail pour aller au-delà de ces allants-de soi.

Donc, plutôt que de parler de « fracture cognitive », je dirais plutôt que l’on a affaire à des individus ayant des allant-de-soi différents qui sont en train d’effectuer un travail pour chercher à saisir une certaine situation.

Plus spécifiquement, qu'est-ce qui peut expliquer que certains Français aient une vision plus négative de la société qu'elle ne l'est en réalité ?

Pour comprendre que certaines personnes aient une vision plus négative de la réalité qu’elle ne l’est, on peut s’appuyer sur un article du département de psychiatrie de la faculté de médecine de l’université de British Columbia. Il pointe deux mécanismes qui induisent une tendance à axer notre pensée sur le négatif : le biais de disponibilité et le biais de confirmation.
Le premier mécanisme a été décrit pour la première fois par les psychologues Amos Tversky et Daniel Kahneman en 1973. Il s’agit de la tendance à penser que ce dont nous avons entendu parler récemment est plus courant que ce qu’il ne l’est en réalité.

Le deuxième mécanisme dont parle l’article de l’université de British Columbia est une tendance à rechercher des informations qui confirment nos vues, confortent nos opinions. Ce biais de confirmation tend au fil du temps à nous enfermer dans une vision du monde totalement hermétique à ce qui est autre et différent.

Pour reprendre les termes de Schütz dont je vous parlais plus haut, cela reviendrait à penser uniquement le monde par types et allant-de-soi jusqu’à le transformer en stéréotypes.

De même, qu'est-ce qui peut expliquer que certains Français voient le monde de façon plus positive qu'il ne l'est en réalité ?

Pour le dire autrement, après pourquoi certaines personnes voyaient les choses en noir, à présent, pourquoi certaines personnes voient-elles les choses en rose, c’est bien cela ?

Parce qu’elles ont tendance à se penser plus riches qu’elles ne le sont en se basant sur une évaluation erronée de la nature des fonds dont elles disposent.

En effet, comme l’explique Alberto Cardaci dans un article pour The Conversation intitulé « Pourquoi se croit-on plus riche qu’on ne l’est en réalité ? », certaines personnes ont tendance à évaluer leurs propres richesses de façon plus optimiste qu’une évaluation objective de la situation ne le leur permettrait. Le chercheur explique, en effet, que certains auront tendance à considérer comme capitaux à leur disposition les fonds qui leur appartiennent en propre et ceux qui proviennent d’un emprunt pas encore remboursé. Autrement dit, certaines personnes englobent dans leurs capitaux à disposition des capitaux qui ne leur ont été que prêtés.

Cette perception joue dans l’évaluation de leur situation et dans les décisions qu’elles prennent, notamment les décisions d’achat. En effet, lorsqu’elles se poseront la question d’acheter ou non un article, elles en rapporteront le prix à un total composé de leurs fonds propres et des fonds qu’elles ont empruntés. Autrement dit, se pensant plus riches qu’elles ne le sont, ces personnes auront tendance à consommer plus que ce que ne leur permettent leurs fonds propres.

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