Espérance de vie en bonne santé : la France, élève médiocre de la classe occidentale<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon Eurostat, en France, l’EVSI (espérance de vie sans incapacité) à 65 ans se situait en 2019 à 11 ans
Selon Eurostat, en France, l’EVSI (espérance de vie sans incapacité) à 65 ans se situait en 2019 à 11 ans
©DAMIEN MEYER / AFP

Qualité de vie

Si l’espérance de vie à la naissance s’allonge en France, ces années supplémentaires ne sont pas nécessairement vécues en bonne santé

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Atlantico : L’espérance de vie est un indicateur de la performance et de la qualité des soins d’un territoire. En Europe, la France fait partie des meilleurs élèves, aux côtés de la Suisse, la Belgique, l’Italie, l’Espagne, la Suède, la Norvège ou encore l’Islande. Comment expliquer cette position française ?

Antoine Flahault : L’espérance de vie est un indicateur majeur tant de la performance du système de santé d’un pays, que de la qualité des soins qui y sont dispensés. C’est aussi un indicateur du niveau de vie d’un pays. Elle est d’ailleurs très corrélée aux dépenses consacrées à la santé par les pays. On n’est donc pas surpris de voir les pays d’Europe de l’Ouest particulièrement bien placés, et au coude à coude avec le Japon et Hong Kong, dans le palmarès mondial construit autour de cet indicateur. La position des USA est plus préoccupante. C’est en effet le pays au monde qui investit le plus en termes de dépenses de santé, pour des résultats somme toute modestes en termes d’espérance de vie, et surtout témoins de très fortes inégalités sociales de santé. La généreuse redistribution sociale européenne ou japonaise porte tous ses fruits ici, car l’enjeu n'était pas seulement de disposer des soins et des produits de santé les plus hauts de gamme du marché, ceux-là Européens, Asiatiques et Américains savent y recourir, mais aussi de savoir les rendre accessibles à tous ceux qui en ont besoin. Or la couverture maladie des couches moyennes de la population nord-américaine s’avère faible et parfois inexistante, dans un système profondément inégalitaire. Les Français, comme les autres Européens, disposent depuis l’après-guerre d’une sécurité sociale certes coûteuse mais extrêmement efficiente pour offrir des soins performants à toute la population, sans distinction de revenus. Cela-dit, les Français n’ont pas gommé toutes leurs inégalités sociales de santé bien sûr, et il demeure d’importantes différences (de dix ans environ) entre l’espérance de vie à la naissance d’un cadre et celle d’un ouvrier.


Cependant, vous notez que l’espérance de vie en bonne santé est un reflet plus fidèle de la qualité de la prévention d’un pays. De ce point de vue, il n’y que la Suède, la Norvège et l’Italie qui tirent leur épingle du jeu. Où se situe la France dans le classement de l’espérance de vie en bonne santé ? Comment expliquer qu’elle parvienne à maintenir en vie une population vieillissante mais pas en aussi bonne santé que les pays susmentionnés ?

Il y a un adage célèbre qui dit qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Ce bon sens populaire est pourtant loin de se répercuter sur la vision que nous avons de notre système de santé et sur la façon dont nous le finançons et l’organisons. Nous consacrons environ 5% des dépenses de santé à la prévention, le reste représente les dépenses de soins. Dans un discours prononcé à Bletterans en septembre 2008, peu après son arrivée au pouvoir, le président Nicolas Sarkozy avait annoncé vouloir doubler au cours de son quinquennat la part des dépenses de santé consacrée à la prévention. Il n’en a rien été, sans d’ailleurs que personne à ma connaissance ne s’en émeuve dans la presse. L’actuel gouvernement affiche dans l’intitulé de son ministère, « la santé et la prévention », c’est louable mais il reste à savoir si c’est juste un effet d’affichage ou si cela se concrétisera en actions de prévention. On peut en effet mesurer la performance d’un pays en matière de prévention par l’espérance de vie en bonne santé. Car c’est la capacité qu’a le pays à conduire sa population en bonne santé le plus longtemps possible. Et là les écarts se creusent entre les Européens. Les Français, les Suisses ou les Allemands affichent d’assez médiocres performances, eux qui étaient si bons en termes d’espérance de vie, ont dix ans d’écart vis-à-vis de l’espérance de vie en bonne santé avec des pays comme la Suède, la Norvège ou (un peu moins) l’Italie. 


Quelle est la clé pour maintenir une population vieillissante en bonne santé ? De ce point de vue, la France a-t-elle vraiment beaucoup de retard par rapport à certains de ses voisins ?

Ce n’est pas à 65 ans que l’on décide que l’on voudrait vieillir en bonne santé, c’est depuis le très jeune âge et tout au long de la vie. Cela commence même encore plus tôt, dès la vie fœtale, raison pour laquelle on recommande aux femmes enceintes de ne pas boire ni fumer ni de s’exposer aux rayons X par exemple. Une hygiène de vie saine nécessite d’éviter de fumer, de limiter sa consommation d’alcool, d’avoir une activité physique régulière, et d’avoir une diététique équilibrée par exemple de type méditerranéenne. Il y a une cinquantaine d’autres recommandations qui ont fait leurs preuves sur le plan scientifique d’une efficacité en matière de prévention. Cela va du dépistage et traitement de l’hypertension artérielle, jusqu’au dépistage du cancer du colon en passant par le dépistage et la prise en charge de la dépression. Il y a aussi l’observance du calendrier vaccinal. Il y a enfin beaucoup d’interventions non strictement médicales qui jouent aussi un rôle majeur pour prévenir les accidents et les maladies. Je pense à la sécurité routière, mais aussi à la qualité de l’air intérieur et extérieur. On voit ainsi que la prévention est une façon globale de considérer la santé.


Vous écrivez que “la prévention nécessite une relation de confiance entre les autorités et leur population”, comme vous le faites remarquer, peut-on penser que cette relation fait défaut en France ?

Les pays qui proposent des actions de prévention efficaces réussissent particulièrement bien lorsqu’ils obtiennent l’adhésion et la confiance de leur population. On dit parfois que les autorités suédoises n’ont pas imposé de confinement à leur population durant les premières vagues pandémiques. C’est exact sur le plan juridique, mais sans lois ni décrets spécifiques les compagnies aériennes étaient clouées au sol faute de clients, les rues de Stockholm étaient désertes et les magasins non essentiels quasi tous fermés faute d’acheteurs. Le trafic autoroutier, lors du week-end ensoleillé de Pâques 2020, s’était spontanément effondré de 90% dans le pays sans qu’aucune interdiction de rouler ni formalités d’autorisation de sortie n’aient été promulguées. La population a l’habitude en Suède d’écouter ses autorités de santé et de leur faire confiance. Sur d’autres plans, les Suédois ont fait preuve de volontarisme politique, lorsqu’ils ont déprivatisé la vente d’alcool. Vous ne pouvez pas acheter de vins de bière ou d’alcools forts dans les grandes surfaces en Suède, mais seulement dans des magasins d’Etat, cela a fait chuter drastiquement l’alcoolisme. De même, les Suédois boudent la cigarette pour une consommation de tabac sans combustion, les Snus, qui se chiquent. C’est culturel chez les Nordiques, mais si nous faisions la même chose avec les cigarettes électroniques, nous engrangerions les mêmes bénéfices qu’eux sur le plan sanitaire. La Suède a le taux de tabagisme le plus faible de l’OCDE, mais aussi les taux de cancer du poumon et de cancer de la gorge les plus faibles.

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