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En choisissant Jeremy Corbyn, le Parti travailliste britannique vient-il de ruiner ses chances de revenir au pouvoir en Grande-Bretagne ?
©Reuters

Même les Britanniques voient rouge

Très à gauche, à la mode Syriza ou Podemos, Jeremy Corbyn a été élu, le 12 septembre, à la tête du Parti travailliste, de manière à la fois inattendue et écrasante. Cette victoire est-elle le choix de militants déconnectés du pays réel ou sonne-t-elle le glas de l'ère Blair, Thatcher, et des politiques austères ? Avec la montée en puissance du parti national écossais, la nouvelle donne politique britannique est en marche.

Bruno Bernard

Bruno Bernard

Anciennement Arthur Young.
Ancien conseiller politique à l'Ambassade de Grande-Bretagne à Paris, Bruno Bernard est aujourd'hui directeur-adjoint de cabinet à la mairie du IXème arrondissement de Paris.

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Atlantico : Jeremy Corbyn est-il un phénomène de militants et de parti ? Pourquoi le Labour Party, le Parti travailliste britannique, a-t-il fait ce choix très à gauche ?

Bruno Bernard : Il s'agit d'une élection interne au Parti travailliste, qui fait suite à deux défaites consécutives. Le choix de Jeremy Corbyn est le résultat de la fin de l'ère blairiste, commencée en 1997. Aujourd'hui, c'est un Parti travailliste déboussolé qui se tourne vers ce qui était son ADN politique, c'est-à-dire un socialisme un peu daté, des années 1970, très pacifiste, très anti-nucléaire et pro-nationalisation. Les membres du Parti travailliste semblent avoir fait ce choix car ils ne savaient plus vers qui se tourner. L'expérience de Tony Blair a été un échec. De plus, les trois autres candidats en lice n'étaient pas marquants. Corbyn avait pour lui la clarté de ses positions, la fermeté. Il ne faut pas oublier que c'est un parti polytraumatisé des élections, qui croyait gagner les dernières élections législatives et qui a perdu dans les grandes largeurs, en ne voyant pas et en ne sachant pas comment contrer la montée du parti nationaliste écossais. Ce dernier, lui aussi, se range plutôt dans la lignée de ce que veut Corbyn. Un positionnement très à gauche, et très anti-conservateur. Ayant éliminé les mauvaises graisses blairistes, le Parti travailliste se dit que désormais, contre les conservateurs qui ont la majorité absolue, il faut une opposition de combat ; et c'est Corbyn qui l'a le mieux incarnée, les autres étaient un peu tièdes. De plus, le soutien des syndicats, qui se réjouissent de l'élection de Corbyn, n'est pas négligeable. Le leader du Parti travailliste est aussi le choix des syndicats britanniques, comme l'avait été Ed Miliband contre son frère David.

N'est-ce pas un choix politique coupé des vraies attentes du pays réel? Avec Corbyn a sa tête, le parti travailliste a-t-il encore des chances de gagner les élections à l'avenir ou risque-t-il de se condamner à rester un parti d'opposition ?

Bruno Bernard : Aujourd'hui, il est possible que les conservateurs sabrent le champagne car ils ont un opposant facile à caricaturer. Néanmoins, certains candidats, et beaucoup de grandes figures du Labour, et même Tony Blair, ont essayé de le caricaturer pendant la campagne, et n'ont pas réussi. Il faut toujours se méfier, surtout de quelqu'un qui a été élu à 60%, car c'est le résultat d'une élection interne à un parti britannique le plus important jamais enregistré. C'est phénoménal. Corbyn a les coudées franches. Cependant, il faut rester un vainqueur gracieux dans la victoire, c'est-à-dire ne pas écraser ses adversaires au sein du parti. Car il va avoir un vrai travail pour retisser les liens à l'intérieur du Parti travailliste, notamment avec la frange blairiste. D'ailleurs, il y a déjà des personnalités de premier plan qui refusent d'être dans le shadow cabinet, donc c'est à lui de montrer qu'il est capable d'être un politique comme les autres, de mettre les mains dans le cambouis et de ne pas rester sur son Aventin. Alors, on verra si Corbyn apparaît comme un opposant crédible. On imaginait, par exemple en Grèce, que la victoire de Syriza était une utopie, idem pour Podemos en Espagne. Au final, Syriza a gagné les élections législatives, reste à voir s'ils gagneront les prochaines, et Podemos est à la mairie de Madrid et de Barcelone… Les Britanniques rejoignent cette aspiration à un changement de politique. Il est facile de dire que Corbyn est trop caricatural et ne correspondra pas au pays. Je pense qu'il correspond à une partie du pays, notamment l'Ecosse et le pays de Galles, entre autres. Allié politiquement aux indépendantistes écossais, il pourrait vraiment changer la donne et l'emporter. Cette alliance dépendra de ce que Corbyn dira sur certains sujets. Par exemple, Nicola Sturgeon lui a demandé de prendre position contre le renouvellement des sous-marins nucléaires Trident qui seront stationnés en Ecosse ; c'est exactement le genre de question que Corbyn va devoir trancher rapidement. Ce ne serait pas inimaginable de le voir se rapprocher du SNP et donc à terme de nouer une alliance, même si les indépendantistes ont littéralement chassé les travaillistes lors des dernières élections.

Ce choix a-t-il été influencé par la vague Podemos-Syriza ? Ou est-ce une logique interne à la Grande-Bretagne ?

Bruno Bernard : Je ne pense pas que la Grande-Bretagne y soit sensible et se considère proche de la Grèce et de l'Espagne. Cependant, cela correspond à un mouvement général anti-austérité en Europe. Il est vrai que la remise à flot opérée par les conservateurs a été brutale. Peut-être que l'on arrive à la fin d'un cycle, commencé sous Thatcher, et qui se terminerait ici, avec les dernières années des conservateurs. Je pense que la Grande-Bretagne reste une île donc elle est moins influencée par ce qui se passe en Europe occidentale. D'autre part, il ne faut pas oublier que Corbyn était extrêmement clair dans ses prises de position, comparé à ses adversaires. C'est autour de lui que s'est fait le débat, dans un parti qui est en lambeaux.

Corbyn fait partie de la vieille garde gauchiste du parti travailliste. Comment expliquer qu'il plaise autant aux jeunes ?

Bruno Bernard : Corbyn est quelqu'un qui parle de pacifisme, qui est très humaniste, au vu de ses positions sur les réfugiés, qui est anti-nucléaire... Une telle rhétorique plaît aux jeunes car elle est généreuse. Ces vérités qui plaisaient dans les années 1970 plaisent à nouveau. Les jeunes, notamment en Grande-Bretagne, de gauche mais aussi de manière plus générale, ont besoin d'espoir, d'utopie, d'idéaux, même s'ils peuvent paraître un peu simples, pour renouer avec la politique. Il ne faut pas oublier que les jeunes avaient beaucoup soutenu Tony Blair en 1997, c'était la jeunesse qui revenait au pouvoir, la fin des conservateurs, il y avait une image extrêmement positive, et Blair a beaucoup déçu ; la guerre en Irak, les privatisations, la financiarisation de l'économie. Cette élection, c'est aussi un retour de manivelle pour le Blairisme. Les jeunes aiment les choses tournées vers l'avenir, qui annoncent des lendemain qui chantent un peu, plutôt que le plomb habituel de type : "il faut faire des économies, vous aller payer nos dettes"... Les autres sont un peu déprimants et trop gestionnaires. Corbyn, à la différence des autres, dit "je veux un monde sans guerre et sans injustice", et même si cela peut paraître niais, c'est plus séduisant que "je vais vous expliquer comment je vais réussir à baisser le budget".

Propos recueillis par Catherine Laurent

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