Elisabeth Borne, Première ministre : un choix apolitique… (et adémocratique ?)<!-- --> | Atlantico.fr
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Elisabeth Borne et Jean Castex lors de la cérémonie de passation de pouvoir à Matignon. Elisabeth Borne est la nouvelle Première ministre d'Emmanuel Macron.
Elisabeth Borne et Jean Castex lors de la cérémonie de passation de pouvoir à Matignon. Elisabeth Borne est la nouvelle Première ministre d'Emmanuel Macron.
©CHRISTIAN HARTMANN / POOL / AFP

Remaniement

Emmanuel Macron a choisi pour succéder à Jean Castex une femme issue de la gauche, ministre durant tout son premier mandat. Habituée des réformes difficiles, Elisabeth Borne remplit certains critères fixés par le chef de l'Etat. Le choix d'Elisabeth Borne symbolise-t-il le paroxysme de la technocratie au pouvoir ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Elisabeth Borne a donc été nommée Première ministre par Emmanuel Macron, elle succède ainsi à Jean Castex. Est-ce le paroxysme de la technocratie au pouvoir ?

Christophe Boutin: Qu’Élisabeth Borne soit une « techno » et pas une politique, je crois que nul n’en disconviendra, et sans doute pas elle. Issue des grands corps - c'est une « X-Ponts » -, elle a très rapidement travaillé dans de très nombreux cabinets ministériels, situation toujours délicate où il faut faire preuve de compétence, de disponibilité, sinon d’esprit d’équipe, au moins d’une capacité de travail en groupe, et d’un soutien indéfectible à son ministre. Devenue elle-même ce ministre, elle a ensuite montré qu’elle avait parfaitement intégré les règles de fonctionnement de cette haute administration un peu particulière. Par ailleurs, Élisabeth Borne a aussi travaillé au sein des entreprises publiques, SNCF ou RATP, pour la Ville de Paris, auprès de Bertrand Delanoë, et, sur le terrain, comme préfète de la région Poitou-Charentes et de la Vienne. 

Profil techno comme son prédécesseur donc, mais un rien différent. Jean Castex, après la fac, puis Sciences Po, a intégré l’ENA et est parti à la Cour des comptes. Mais il avait aussi un ancrage d’élu local (sa mairie de Prades) qui n’existe pas chez une Élisabeth Borne qui s’apprêtait pour la première fois à se présenter devant les électeurs lors des législatives, dans la 6e circonscription du Calvados. Un Jean Castex qui était plus présent aussi dans les fonctions de coordination (au secrétariat général de l’Élysée ou dans les divers postes de délégué interministériel) mais qui n’avait pas eu l’éventail des fonctions de celle qui lui succède. 

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A quoi pourrait ressembler une droite qui (elle aussi) aurait rompu avec le cercle de la pseudo raison ?

Techno de gauche et techno de droite, quelle différence ? Certes, Élisabeth Borne a longtemps été socialiste, quand Jean Castex a lui servi des ministres et un président de droite, mais on comprend bien qu’en fait « droite » et « gauche » sont ici des termes beaucoup moins importants que « techno ». Même si, encore une fois, les parcours ne sont pas identiques – grands corps scientifiques contre ENA – c’est une même approche du pouvoir, dans laquelle une compétence technique est censée justifier un choix politique et même s’y substituer. 

A force de trop substituer le technocratique au politique, ne risquons-nous pas une dévitalisation de la vie politique et démocratique du pays ?

De nos jours, la vie démocratique ne souffre pas plus - et pas moins - quand ce sont des technocrates qui sont au pouvoir que quand ce sont des politiques. Tout dépend en effet de la manière dont les uns et les autres font une place à ce qui est, ou devrait être, le fondement de la vie démocratique, c'est-à-dire l’expression des choix d’un peuple souverain. Or elle a tendance dans les deux cas à être réduite à la portion congrue. 

Ce qui est certain par ailleurs, c'est que le pouvoir technocratique a vocation à n’être qu’un pouvoir d'exécution, beaucoup plus qu'un pouvoir de décision. S’il tient en effet une légitimité de sa compétence technique, ce n'est pas cette légitimité qui justifie le choix politique, qui suppose lui ce lien particulier avec le souverain qu’est l’élection. Le technocrate a donc vocation à être, soit, en amont de la décision, un conseiller du Prince, lorsqu'il s'agit de fournir à ce dernier des éléments qui lui permettent de choisir, soit, en aval cette fois de la décision politique, un agent d'exécution qui met en œuvre avec compétence ce choix. Mais à aucun moment il n'a normalement vocation à décider seul. 

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Mais au fait, quel est vraiment le programme de la coalition macronienne pour les législatives ?

En ce sens, mais cela ne concerne bien évidemment pas uniquement la présidence d’Emmanuel Macron et son rapport à ses Premiers ministres, le système de la Ve République a conduit à distinguer de plus en plus clairement entre un président de la République élu par la nation au suffrage universel direct, et qui a par la même toute la légitimité nécessaire pour prendre les décisions politiques, et un Premier ministre dès lors essentiellement chargé de mettre en œuvre les choix présidentiels. L’évolution de la Cinquième tient sans doute ici dans la réduction régulière de la marge de manœuvre laissée à Matignon, le Président ne se contentant plus de définir les « grandes orientations », mais, aidé en cela par des conseillers qui l’entourent à l'Élysée et qui sont parfois aussi puissants que les ministres, sinon plus, entend suivre dans le détail l'évolution de ses projets. 

Par ailleurs, ce qui va de pair avec une « technocratisation de la vie politique », avec une certaine approche technocratique du pouvoir, c'est cette idée que l'on trouve de plus en plus fréquemment avancée pour justifier un choix politique qu’il n'y aurait « pas d'autre solution » - on connaît la formule employée par Margaret Thatcher et bien d’autres après elle, TINA, there is no alternative. Or ce n’est vrai, et encore, à la limite, que lorsque l’on se refuse à modifier les paramètres, à renverser la table, car sinon il y a toujours des alternatives en politique : un traité se dénonce, on peut sortir d'une organisation, on peut choisir de ne pas participer à un conflit, ou, au contraire, de s'y engager. 

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Vers un nouveau gouvernement… ou une nouvelle administration Macron ?

Cette impression de décisions inéluctables, de marche en avant irrépressible, délégitime le politique et donne toute sa place au pouvoir technocratique : quand il n’y a plus de choix possible, remettre les clefs du pouvoir à un agent d’exécution compétent peut effectivement sembler logique. Pour autant, il n'est pas certain que les citoyens ne demandent pas autre chose à leurs dirigeants que d’exécuter, même avec compétence, des mesures, d'une part, décidées ailleurs, et, d'autre part, qui contredisent leurs aspirations profondes. Et pas certains non plus que l’affirmation qu’il n’y a pas d’autre solution leur suffira…

Qu’est-ce que le choix d’Emmanuel Macron préfigure pour le pays ?

Emmanuel Macron nous avait promis un monde nouveau, pendant un quinquennat nouveau, avec un Président nouveau… et donc logiquement un nouveau premier ministre, mais il n'est pas certain que le choix qu'il vient de faire d’Élisabeth Borne traduise pour les Français cette nouveauté qu'il s’est plu à évoquer. En fait, et on le voit bien dans les différentes fonctions exercées par la nouvelle Premier ministre, il s'agit bien plus de continuité que de rupture. 

Sur le style d’abord : sur tous les grands dossiers, Élisabeth Borne toujours travaillé fort consciencieusement à l'application de la feuille de route qu'on lui donnait. Il n'y aura donc a priori guère de conflits possibles entre elle et le président de la République, pas plus qu'il ne pouvait d’ailleurs y en avoir entre Emmanuel Macron et Jean Castex. 

Par ailleurs, si l'on regarde la manière dont la Premier ministre a géré les différents dossiers importants qu'elle a pu avoir à connaître dans le domaine des transports, sa spécialité, et ce qu'il s'agisse des autoroutes ou du fer, on a clairement l’image d’un grand serviteur de l’État plus préoccupé de voir cet État se couler dans des moules où il se dissout lentement que d’affirmer ses spécificités. Dans le rapport entre puissance publique et puissances privées, il est donc permis de penser que va se continuer un démantèlement de la première au profit des seconds, certes partiellement au moins imposé par l'Union européenne, mais qui est bien la marque de fabrique des choix d’Emmanuel Macron. 

Ainsi, face aux crises qui viennent, crise internationale aujourd’hui, crise économique demain, et peut-être crise sanitaire à nouveau, les choix qui seront faits par la nouvelle équipe ne seront sans doute guère différents de ceux que nous avons connus. 

Reste d'ailleurs une ultime question, à laquelle nous n'avons pas de réponse aujourd’hui, celle de la composition justement de cette nouvelle équipe gouvernementale qu'Élisabeth Borne va proposer au président de la République - même s'il est permis de penser que celui-ci a déjà des idées en la matière. Un nouveau suspense, haletant, tandis que se rapproche la date des élections législatives.

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