Elections européennes en 2024, prochain champ de bataille du schisme européen ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez prononce un discours au Parlement européen à Strasbourg, le 13 décembre 2023.
Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez prononce un discours au Parlement européen à Strasbourg, le 13 décembre 2023.
©FREDERICK FLORIN / AFP

Avenir de l'Europe

Les conditions sont réunies pour que le scrutin européen de 2024 soit un rendez-vous politique majeur et une confrontation entre deux Europe.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Et si le scrutin de juin 2024 n’était pas une élection européenne comme les autres? C’est à dire, un scrutin qui peine à passionner les foules, avec un taux d’abstention très élevé, dont la campagne se déroule principalement sur la scène nationale et dont la dimension européenne échappe à l’opinion publique ou la laisse indifférente ? Et si, au contraire, les prochaines élections européennes devenaient le principal champ de bataille des grandes questions politiques et sociales qui traversent et clivent le monde occidental, avec deux camps qui semblent progressivement se dessiner ? Pour faire simple, anywhere contre somewhere, fédéralistes contre souverainistes ?

Six mois avant le rendez-vous électoral, certains éléments semblent en effet de le suggérer. Tout d’abord,  parce que certaines politiques exercées au niveau européen sont devenues des enjeux électoraux de premier ordre pour des dizaines de millions de citoyens « lambdas » européens. Nous savions depuis longtemps que les activités législatives et politiques de l’Union avaient un impact direct sur la vie quotidienne des Européens. Mais la nouveauté, c’est que, désormais, ils s’en rendent de plus en plus compte. Après un mandat marqué par le Covid, la guerre en Ukraine et ses effets collatéraux ainsi que le style présidentialiste et omniprésent de Von der Leyen, l’Europe a commencé à faire partie du paysage politique, et même si dans le passé elle a parfois assumé le rôle de bouc émissaire, la fuite en avant fédéraliste et l’idéologisation grandissante de l’UE en font naturellement un acteur politique. A son bénéfice ou à son détriment ?

Exemples de sujets de campagne brûlants pour l’opinion publique européenne ? En premier lieu, la migration illégale et l’incapacité chronique de l’UE (et de ses Etats membres !) de la juguler, alors que ce sujet a fait basculer les gouvernements en Suède, Finlande, Italie et reste un sujet décisif dans bien d’autres pays. Certes, ce n’est pas une mince affaire que de mettre d’accord des pays aux intérêts divergents voire antithétiques et il trop facile de mettre tous les échecs sur le dos de Bruxelles. Cependant, sa réputation « pro-migration » lui colle à la peau et, à tort ou à raison, elle est tenue pour responsable des dérives actuelles et ceci aura un impact inéluctable dans le résultat électoral. Deuxièmement : le Pacte Vert européen et les dizaines de textes législatifs qui en découlent, tous votés par une grande majorité des parlementaires européens et dont le dogmatisme et l’interventionnisme commencent à exaspérer tant l’industrie européenne que de nombreux citoyens qui ne manqueront pas de désigner « Bruxelles » comme la principale responsable de ces travers. Dernier exemple, l’emprise grandissante du culte woke dans les institutions européennes, une dérive idéologique trop souvent déguisée en défense des « valeurs européennes » qui peut même aboutir à des sanctions financières comme le démontre la confiscation de certains fonds européens à la Hongrie pour l’adoption d’une loi sur la protection des mineurs qui proscrit la propagande sexuelle y compris la « théorie du genre ».

Autant de cas de figure qui dépeignent une Union de plus en plus polarisante, politisée et interventionniste et qui pourtant, ne semble pas s’en apercevoir. En effet, là où le bât blesse, c’est que ces débats très réels au niveau national sont consensuels dans une Union portée par une coalition invraisemblable, hétéroclite mais pourtant d’une banalité affligeante à Bruxelles tellement elle est hégémonique : une alliance au Parlement européen allant du centre-droit à l’extrême gauche en passant par les libéraux, les socialistes et les verts et dont le socle commun (à quelques nuances près) est d’être fédéraliste et progressiste. Un état d’esprit qui imprègne, par ailleurs, également le fonctionnement de la Commission et du Conseil et qui donne trop souvent l’impression au citoyen d’être une Europe à sens unique qui snobe toute une partie de l’opinion publique qui est en règle générale réduite au silence en Europe alors qu’elle se montre de plus en plus bruyante au niveau national. En outre, cette foule de mécontents « souverainistes » transcende largement le clivage gauche/droite et pourrait donc menacer la coalition actuelle… si les électeurs en décident ainsi.

Il semble donc bien que les conditions soient réunies pour que le scrutin européen de 2024 soit un rendez-vous politique majeur et un champ de bataille entre deux Europe : l’une, hégémonique et assiégée, l’autre, ignorée mais avec le vent dans le dos et une envie irrépressible de peser sur la scène continentale et de se faire entendre sur des questions qui sont désormais existentielles et qui se décident à Bruxelles. Mais cet assaut sera-t-il décisif ? Selon les sondages, il est peu probable que la percée souverainiste soit suffisante pour rebattre les cartes et éconduire la coalition actuelle. Et même si c’était le cas, le Conseil européen et celui des ministres serait dominé par une majorité de gouvernements favorables à l’UE actuelle. Ce consensus se reflèterait également dans la composition de la nouvelle Commission européenne qui serait en outre influencée par l’inertie fédéraliste de sa fonction publique. Peu de changements en perspective malgré la lame de fond qui secoue le vieux continent ? Ou bien la prochaine UE aura-t-elle la sagesse d’adapter son cap face au mécontentement grandissant ? Je crains que l’air du temps soit au clivage, aux positions arc-boutées et au dogmatisme. Dans ces conditions, quel que soit le résultat final, il se pourrait bien que les prochaines élections soient un jalon de plus vers le schisme politique qui fait trembler l’Occident. Et l’Europe, plus que jamais, ne sera pas une exception en juin prochain.

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