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Effort budgétaire consacré aux armées : assez ou pas ? C’est compliqué
©LUDOVIC MARIN / AFP

Défense

Macron de par ses vœux aux armées, a confirmé et défendu son choix d'un effort budgétaire en direction des armées, à l'écart de l'objectif de réduction des dépenses publiques.

Jean-Vincent Brisset

Jean-Vincent Brisset

Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est chercheur associé à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.

Il est l'auteur de Manuel de l'outil militaire, aux éditions Armand Colin (avril 2012)

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Romain Mielcarek

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek est journaliste indépendant, spécialiste des questions de défense et de relations internationales. Docteur en sciences de l'information et de la communication, il étudie les stratégies d'influence militaires dans les conflits.

 

Il anime le site Guerres et Influences (http://www.guerres-influences.com). Il est l'auteur de "Marchands d'armes, Enquête sur un business français", publié aux éditions Tallandier.

 
 
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Atlantico:Cette annonce est-elle un choix pertinent ? Était-ce une nécessité ?

Jean-Vincent Brisset: L’annonce faite et renouvelée d’un effort budgétaire au profit des forces armées peut effectivement paraître décalée par rapport à la volonté affirmée par ailleurs de limiter les dépenses publiques. C’est particulièrement surprenant dans un pays où le budget de la défense est, depuis des décennies, en décroissance permanente. Ce choix a été confirmé par une loi de programmation militaire ambitieuse, promulguée le 13  juillet 2018. Aux termes de cette loi, qui couvre la période 2019-2025, le budget augmentera progressivement, d’abord de 1,7 milliards d’euros par an, puis, à partir de 2023, de 3 milliards d’euros par an. Partant de 1,71% du PIB en 2017, le but est d’arriver à 1,91% en 2023, puis 2%, si possible, en 2025. Le tout en démarrant dès maintenant les études destinées à définir les grands programmes qui structureront les forces après 2030.

Cette progression est justifiée par une analyse des menaces futures, qui font craindre des affrontements plus durs avec des adversaires disposant d’équipements plus performants. Pour cela, la France devrait retrouver une autonomie stratégique, servie par un outil moderne et cohérent. Il lui faudra combler les lacunes capacitaires actuelles mais aussi développer des capacités nouvelles, dans le domaine de la cyberguerre et du spatial en particulier. Au-delà du discours, il est aussi nécessaire de faire en sorte que la disponibilité des matériels existants et le remplacement des équipements obsolètes soit assuré.  A ce titre, en particulier, le financement des opérations extérieures et intérieures (Sentinelle) devrait être assuré de manière plus conforme aux réalités.

Romain Mielcarek :Emmanuel Macron s’est engagé, en arrivant au pouvoir, à cesser de réduire de façon continue et non concertée le budget de la défense. Il l’a rappelé dans son discours : il a voulu « rompre avec le cycle de diminution ». Les Armées verront donc bien leur budget, longuement discuté et voté en 2018, maintenu.

Attention tout de même, des efforts sont consentis. L’enveloppe consacrée aux opérations extérieures, longtemps sous-approvisionnée, était jusqu’ici complétée par d’autres ministères. Le gouvernement actuel a souhaité augmenter cette enveloppe pour que les Armées paient elles-mêmes ces coûts, sans improvisation de fin d’exercice.

Le choix du président est-il pertinent et nécessaire ? Tout est question de point de vue : se doter d’une armée forte, autonome, capable de faire face aux menaces stratégiques identifiées par la France, est un choix politique. Ce qui est certain, c’est que les militaires français vivent et travaillent dans des conditions difficiles : matériels vieillissants, infrastructures insalubres, cycles de travail déments qui impactent les familles.

Ces hommes et ces femmes ne rechignent jamais à la tâche, malgré les doutes, malgré la fatigue, malgré les familles qui se disloquent face à  cette pression. Peut-être serait-il plus pertinent de faire comme avant et de leur faire serrer la ceinture encore un peu plus, vu qu’ils ne se plaignent pas. Mais je crois que beaucoup de Français ont compris, depuis 2015 et les attentats, à quel point le pays est exposé à la menace terroriste islamiste et à quel point il a besoin de forces solides pour y faire face.

Emmanuel Macron a annoncé sa volonté d'éradiquer Daech, de maintenir une présence militaire au Levant, au Sahel notamment, et sur le territoire national. L'armée française a-t-elle les moyens des ambitions d'Emmanuel Macron?

Jean-Vincent Brisset: Les forces françaises sont actuellement engagées dans plusieurs opérations majeures. La plus médiatisée, Chammal, intéresse l’Irak et la Syrie. En Syrie, elle se traduit principalement par des frappes aériennes contre les forces de Daech et des appuis d’artillerie. Ces opérations sont conduites au sein de la coalition. Il est évident qu’un retrait rapide des Etats Unis poserait de nombreux problèmes dans tous les domaines. Ces missions opérationnelles sont complétées par des missions de formation au profit de l’armée irakienne.
Au Sahel, l’opération Barkhane voit le déploiement de 4.500 militaires français sur une zone de plus de 3 millions de kilomètres carrés recouvrant cinq pays dont les forces participent aussi aux opérations. La France y reçoit aussi une aide, indispensable, des Etats-Unis et de petits soutiens d’alliés européens. Quelques succès tactiques sont enregistrés, mais la clé du problème est avant tout du ressort de la politique et du développement. Il sera aussi nécessaire de faire en sorte que les pays africains concernés et engagés aux côtés de la France puissent développer leur capacité d’action autonome, ce qui est encore loin d’être le cas.
Ponctuellement, les aéronefs français positionnés au Tchad sont aussi amenés à agir en RCA, en appui de la Mission MINUSCA des Nations Unies.
Sur le territoire National, la mission qui consomme le plus de moyens est Sentinelle. 7.000 hommes sont engagés en permanence plus 3.000 en réserve. S’y ajoutent des opérations plus ou moins ponctuelles, secours aux populations après des catastrophes naturelles, prévention des feux de forêt, lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane.. Et, bien sûr, maintien de la posture permanente de la dissuasion nucléaire.
Les moyens mis au service des ambitions présidentielles sont, aux yeux des militaires, souvent insuffisants. Problèmes de vétusté, de disponibilité des matériels, d’équipements individuels mais aussi problèmes de conditions de vie. Des améliorations ont été constatées, mais il semble que beaucoup reste encore à faire.

Romain Mielcarek : « Je vois combien notre engagement dans la durée est nécessaire, car il faudra du temps pour rétablir la paix. » Cette phrase de son discours illustre bien la réalité du problème. Au Levant, l’Etat islamique a largement reculé. Mais il est encore en mesure de mener des attentats, dans la région, mais aussi chez nous comme nous l’avons vu récemment. Pas forcément parce que ses hommes peuvent mener de telles opérations mais parce que son influence est toujours présente et continue de séduire des candidats au djihad. Sans parler de ceux qui ont fui vers d’autres pays, en particulier l’Afghanistan.

La fin d’une opération dépend souvent d’un revirement de l’opinion publique ou d’une lubie d’un président. Si la France a quitté l’Afghanistan fin 2013, ce n’est pas parce que la mission était accomplie. C’est parce que les Français en avaient assez. Si Donald Trump veut se retirer de Syrie aujourd’hui, ce n’est pas parce que la mission est accomplie, c’est parce qu’il est obsédé par cette idée, de façon irrationnelle et en opposition à tous ses conseils militaires. Bob Woodward l’a bien raconté dans son dernier ouvrage sur le président américain.

Emmanuel Macron affiche ici sa conscience de la difficulté de remporter de telles victoires, notamment au Levant et au Sahel. En mettant définitivement hors d’état de nuire l’ennemi. Les Armées françaises ont-elles les moyens de telles ambitions ? Malheureusement, la menace ne s’adapte pas aux moyens qu’on lui oppose. Ce n’est pas parce qu’on réduirait les efforts que les risques disparaitraient. Le président semble vouloir donner les moyens aux militaires, d’où l’effort budgétaire.

Pour autant, les Etats-Unis menacent de quitter le terrain et les Kurdes risquent de se retrouver pris en tenaille par les Turcs. La France pourrait se retrouver isolée sur place. L’un des défis pour Emmanuel Macron sera de convaincre Donald Trump de l’irrationalité de son choix. Il fait également effort, comme il l’a rappelé, sur la mobilisation des Européens, en particulier au Sahel. Les Britanniques et les Estoniens ont déjà envoyé des renforts, modestes mais réels, à l’opération française dans cette région. Ce qui est certain, c’est que la France ne peut pas poursuivre le combat sans ses alliés… Et que parmi ces derniers, le poids américain est colossal.

Le président souhaite aussi tourner la page de son conflit avec le général Pierre de Villiers, qui est populaire auprès des Français et dont le livre est un succès en librairie. Dans quelle mesure peut-on dire que la confiance est rétablie entre Emmanuel Macron et les militaires ?

Jean-Vincent Brisset: Le Président vient d’effectuer deux actions de communication auprès des militaires. D’abord en allant « réveillonner » le 22 décembre, à N’Djamena.  Ensuite, en montant une cérémonie de vœux à Toulouse, alors qu’il avait drastiquement réduit le nombre des cérémonies traditionnelles. Il n’est pas certain que ces deux actions aient été perçues comme autre chose que de la communication.
Ayant quitté le service actif depuis pas mal d’années, je suis mal placé pour juger de la réalité au quotidien de la perception du chef de l’Etat par les militaires. Il est certain que, pour nombre d’entre eux, attachés à l’ordre, certains troubles actuels sont peu acceptables. Mais beaucoup des revendications portées par les Gilets Jaunes sont aussi les leurs. De plus, le service universel, considéré comme un gadget inutile, et les discours sur une Armée Européenne, qui, pour les opérationnels, paraît peu sérieux ne sont sans doute pas faits pour réconcilier les militaires et le gouvernement.
Il faut aussi se souvenir du contexte de la démission du Général de Villiers. Ce chef apprécié avait été ulcéré par le rabotage de son budget. On avait même parlé, pendant quelques semaines, d’une possible démission de certains des chefs d’état-major d’armées. En 2018, dans le cadre de la loi de programmation militaire, de nombreuses promesses ont été faites. Ce qui n’a pas empêché le gouvernement de tenter à nouveau, à la fin de 2018, de faire porter au seul budget de la défense le surcoût des opérations extérieures et intérieures, contrairement aux engagements pris.
La situation de crise que traverse actuellement le pays porte à l’attentisme. Mais les dépenses imprévues qui ont été décidées et les incertitudes sur les coûts éventuels des décisions qui seront prises à l’issue du débat annoncé risquent de conduire à de nouvelles réductions de budget. Dans ce cas, la confiance envers le Président serait perdue, sans doute définitivement.  

Romain Mielcarek : Les esprits chagrins s’appliquent, depuis un an et demi maintenant, à essayer de transformer la rupture entre le général Pierre de Villiers et Emmanuel Macron comme une crise politique majeure. L’épisode a été douloureux, pour tout le monde. Mais l’officier n’a cessé de le répéter, sur les plateaux et dans ses ouvrages : sans rancunes. Il cite d’ailleurs le président avec respect dans son dernier ouvrage.

Lors de cette crise, le général Pierre de Villiers a démissionné car il n’était pas parvenu à convaincre le président de préserver le budget de la défense. Le bras de fer entre les deux chefs, sur cette question, s’était conclus sur des mots particulièrement malheureux d’Emmanuel Macron, peu familier des questions et de la culture militaire, faute d’avoir fait son service militaire. Des mots qui avaient signifié, pour l’officier, une perte de confiance et le signal du départ.

Le président semble avoir retenu la leçon et affiche une franche détermination à ne plus revenir sur le sujet qui l’avait opposé à son ancien chef d’état-major des armées. Avec le recul, nous pouvons le dire : Pierre de Villiers a eu gain de cause. Ce n’est pas une victoire pour lui, c’est une victoire pour les armées.

Plus largement, je crois qu’il faut relativiser la perte de confiance supposée des armées. Les militaires sont des gens fidèles et disciplinés. La tension entre Emmanuel Macron et Pierre de Villiers était difficile à appréhender puisqu’il était difficile de choisir entre deux chefs. Le chef militaire et le chef politique, constitutionnel. Je me déplace régulièrement dans les troupes et je rencontre beaucoup de militaires, de tous rangs. Je n’ai jamais l’impression qu’il existe une hostilité ou une méfiance marquées envers le président. Même si effectivement, lorsque cette affaire revient dans la discussion, tous admettent une franche déception vis-à-vis du chef de l’Etat dont les propos, sans avoir brisé le lien avec les forces, ont tout de même laissé une tache indélébile dans les cœurs.

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