Effondrement de la production industrielle Made in Germany : et la facture de la catastrophique transition énergétique allemande arriva…<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Le site d'une centrale en Allemagne.
Le site d'une centrale en Allemagne.
©INA FASSBENDER / AFP

Energie européenne

Alors que les écologistes français n’en finissent plus de signer des tribunes anti nucléaire et que la France peine à faire reconnaître le nucléaire sur un pied d’égalité avec les renouvelables au niveau européen, l’Allemagne subit de plein fouet les conséquences de sa sortie de l’énergie atomique.

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

Voir la bio »
Daniel Kral

Daniel Kral

Daniel Kral est économiste au sein d’Oxford Economics.

Voir la bio »

Atlantico : Vous avez publié un graphique sur X montrant que la production industrielle en Allemagne est en forte baisse. Quels secteurs sont les plus impactés et pourquoi ?

Daniel Kral : Le récent ralentissement de l’industrie allemande a touché tous les principaux groupes industriels. Le principal frein a été les sous-industries à forte intensité énergétique comme la fabrication de produits chimiques et de papier, mais cela s'étend également à l'automobile et aux machines. La production d’énergie s’est aussi effondrée récemment, en raison de l’arrêt du nucléaire et de l’électricité moins chère disponible en France et dans les pays nordiques (j'ai donné plus de détails ici et ici). Le ralentissement actuel comporte une forte composante cyclique liée à la faiblesse de la demande, aux effets du resserrement de la politique monétaire et au déstockage, mais une partie de la perte de production, en particulier dans les industries à forte intensité énergétique, est susceptible de se révéler comme étant de nature structurelle.

Quels sont les principaux secteurs concernés et comment expliquer ce déclin ?

Damien Ernst : Les secteurs les plus impactés sont naturellement les secteurs industriels où l'énergie est un facteur qui influence énormément le prix de production. C'est le cas par exemple du secteur de la production du papier. Il faut énormément d'énergie pour produire du papier, à la fois de la chaleur et de l'électricité. On estime que ce secteur a fait une décroissance de plus de 20% depuis la crise ukrainienne. Toute l'industrie chimique allemande a également été terriblement impactée. Pour cette industrie, c'est la double peine. Premièrement, les processus chimiques sont souvent gourmands en énergie. Mais le gaz naturel est aussi utilisé comme matière première pour fabriquer des plastiques ou des engrais. Cette matière première est bien plus chère en Europe qu'aux Etats-Unis, d'où cette diminution de l'activité de l'industrie chimique allemande de l'ordre de 15 à 20%. Pour la fabrication de certains produits chimiques spécifiques, comme les engrais azotés fabriqués à partir de gaz naturel, la situation est même dramatique : je ne connais plus aucune unité de production qui tourne en Europe.

Quelle est la cause profonde de cet effondrement ? Miser sur la sortie du nucléaire et les énergies renouvelables comme l'Allemagne l'a fait, était-ce une mauvaise idée ? 

Daniel Kral : Les problèmes auxquels l’industrie allemande est confrontée sont bien plus vastes et ne peuvent être réduits à la simple fermeture des centrales nucléaires, dont la poursuite de l’exploitation aurait contribué à une baisse marginale des prix de gros de l’électricité. La nature cyclique du ralentissement actuel, avec des vents contraires externes dominants, est bien plus pertinente à l’heure actuelle. Au cours des dernières décennies, l'Allemagne a maintenu une part très élevée de l'industrie dans la valeur ajoutée brute, mais il est probable que nous soyons aujourd'hui à un tournant, avec une part appelée à diminuer pour se rapprocher de celle des autres économies d'Europe occidentale (graphique à retrouver ici) avec une part croissante des services. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais cela entraînera une réaffectation des ressources, y compris de la main-d’œuvre, ce qui peut s’avérer difficile du point de vue de la politique économique.

Damien Ernst : La cause profonde de cet effondrement vient très clairement des verts allemands. Ils avaient une telle obsession de tuer la filière nucléaire allemande qu'ils se sont rendus beaucoup trop dépendants du gaz russe. Mais ils n'avaient pas le choix. C'était à court terme la seule solution pour avoir une énergie pas chère en sortant du nucléaire. Ils auraient pu limiter les dégâts s'ils avaient signé d'autres contrats d'approvisionnement en gaz. Mais sur ce dossier, il faut reconnaître que les Russes ont été malins et ont tiré avantage de la situation. Ils ont notamment subsidié des associations écologistes allemandes pour qu'elles se battent contre l'installation de terminaux sur la mer Baltique pour importer du gaz naturel liquéfié de pays comme les Etats-Unis ou le Qatar. On reconnait aussi que sur ce point là, il n'y a pas que les verts allemands qui ont joué le jeu de la Russie. Il est important de rappeler à cet égard que l'ancien chancelier allemand Gerhard Schroeder a obtenu la présidence du conseil d'administration de Rosfnet, la société d'État russe spécialisée dans l'extraction, la transformation et la distribution de pétrole. Du point de vue de la loi, il n'a rien fait d'illégal. Mais il a très clairement utilisé ses contacts politiques pour pousser l'Allemagne à mener une politique énergétique vraiment désastreuse.

On voit d'ailleurs qu'avec le nucléaire, la France fait partie des pays vertueux en Europe. L'Allemagne devrait-elle s'en inspirer?

Damien Ernst : Attention. Pas trop de cocorico français quand même. La politique nucléaire de Macron lors de son premier mandat était une politique de mise à mort lente de l'industrie nucléaire française : fermeture de Fessenheim, arrêt du projet Astrid, incapacité à décider de la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Emmanuel Macron a juste réalisé avec la crise ukrainienne qu'il faisait une immense erreur et comme l'industrie nucléaire française n'est pas encore totalement morte, il la ranime en essayant au passage d'enfumer un peu les Français en leur faisant croire que contrairement à l'Allemagne, lui était visionnaire. Mais pour l'instant, le travail qu'il fait pour l'industrie nucléaire française est positif. Mais c'est un travail qu'il aurait dû faire lors de son premier mandat. L'Allemagne n'a plus de tissu industriel lié au nucléaire. Au mieux, ils pourront commander des réacteurs français, coréens ou américains mais ils n'arriveront plus à en construire. Il est loin le temps pour l'Allemagne où ce pays arrivait à construire de très beaux réacteurs nucléaires, comme par exemple les Konvois. Au passage, les Allemands n'arrivent même plus à construire des éoliennes fiables. On l'a encore vu avec les problèmes de fiabilité rencontrés par les éoliennes de Siemens Energy. 

Quels sont les impacts sociaux et politiques en Allemagne ? C'est ce qui explique la montée des partis populistes comme l'AfD ?

Daniel Kral : Cela n’aide certainement pas, étant donné que les partis centristes semblent avoir provoqué un sentiment de déclin économique en général et un sentiment de déclin de l’industrie allemande en particulier en misant massivement sur la Russie pour l’énergie et sur la Chine pour la demande. Cependant, cela ne signifie pas que des groupes comme l’AfD, qui a progressé dans les sondages d’opinion, ont des réponses politiques cohérentes sur la manière d’améliorer la situation. En outre, il convient de rappeler que le marché du travail reste très solide, avec un taux de chômage presque record et une pénurie de main-d’œuvre qualifiée. La confiance et les dépenses privées sont faibles, car les ménages s’inquiètent davantage de l’avenir et continuent d’accumuler des économies.

Damien Ernst : Les Allemands se sentent terriblement humiliés par cette situation. Ils revivent dans leur tête une sorte de traité de Versailles. Ils veulent de la rationalité en matière de politique énergétique et industrielle. Ils ont compris que ces vingt dernières années, ils sont tombés dans une sorte de délire. Ils veulent se reprendre et ne plus écouter des fables en matière énergétique. Je leur souhaite le meilleur mais cela va être difficile, car l'inertie des systèmes énergétiques et industriels est telle, que cela prend du temps et beaucoup d'énergie pour corriger les erreurs du passé. Je leur souhaite aussi de ne pas tomber dans les extrêmes au niveau politique.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !