Education nationale : les atouts réels de l’autonomie des écoles publiques françaises<!-- --> | Atlantico.fr
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Monique Canto-Sperber publie « Une école qui peut mieux faire » aux éditions Albin Michel.
Monique Canto-Sperber publie « Une école qui peut mieux faire » aux éditions Albin Michel.
©FRANK PERRY / AFP

Bonnes feuilles

Monique Canto-Sperber publie « Une école qui peut mieux faire » aux éditions Albin Michel. L'école publique française, qui se situe, par ses résultats, dans la moyenne basse des pays européens, a le triste privilège d'être l'une des plus inégalitaires de tous les pays de l'OCDE. L'autonomie scolaire peut être une solution pour renouveler l'école française. Les établissements autonomes sont sous certaines conditions plus aptes à mener les élèves vers la réussite. Extrait 1/2.

Monique Canto-Sperber

Monique Canto-Sperber

Monique Canto-Sperber est philosophe. Elle a enseigné à l'université avant d'entrer au CNRS comme directrice de recherche. Elle a dirigé l'École normale supérieure, puis établi et présidé l'université de recherche Paris-Sciences-et- Lettres. Elle a publié de nombreux ouvrages traduits en plusieurs langues, dont L'Inquiétude morale et la vie humaine (PUF, 2001), Le Bien, la guerre et la terreur (Plon, 2005), et dirigé le Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale (PUF, 1996, 3e éd. 2005). Elle est l'auteur de nombreux essais sur le libéralisme, dont Le Socialisme libéral : une anthologie – Europe-États-Unis (avec Nadia Urbinati, Esprit, 2003) et Les Règles de la liberté (Plon, 2003).

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Dans l’ouvrage qu’il publia en 1922, Éducation et sociologie, Émile Durkheim affirmait : « L’éducation est une fonction essentiellement sociale, l’État ne peut s’en désintéresser (…). Ce n’est pas à dire pour cela qu’il doive nécessairement monopoliser l’enseignement (…). On peut croire que les progrès scolaires sont plus faciles et plus prompts là où une certaine marge est laissée aux initiatives individuelles ; car l’individu est plus volontiers novateur que l’État. »

Dès les premières lignes de ce texte, je rappelais que les exigences qui définissent l’autonomie scolaire étaient au cœur de l’école telle que la concevaient les libéraux qui fondèrent le régime républicain français : « initiatives individuelles », « engagement des responsables et enseignants », « pouvoir des chefs d’établissement », « esprit de collégialité et de proximité ». Il y a plus d’un siècle, les principes de liberté pédagogique et d’autonomie étaient vus comme la condition d’une école ambitieuse et la meilleure façon de mettre en œuvre la promesse républicaine en matière d’éducation. Revendiquer aujourd’hui l’autonomie des établissements scolaires, c’est renouer avec cet héritage et rompre avec les aspects centralistes, plus napoléoniens que républicains, qui s’y sont greffés depuis, surtout à partir de la massification du système scolaire dans les années 1960.

J’ai mentionné à maintes reprises dans cet ouvrage les raisons qui conduisirent plusieurs pays à établir, au sein même du système public, un nouveau type d’établissements autonomes dans leur gestion et leurs stratégies pédagogiques ; parmi elles, l’une au moins peut avoir un fort écho en France : l’autonomie comme un moyen de remédier à l’échec scolaire des enfants issus de milieux défavorisés. J’ai rappelé aussi les réticences souvent exprimées dans notre pays à l’égard de l’autonomie : difficulté à accepter que les objectifs et principes de l’éducation puissent être définis à la fois par l’État et par la société, méfiance à l’égard des préférences des familles, suspicion à l’égard des acteurs issus de la société pour l’exécution des missions publiques et, surtout, conviction que la différenciation des pratiques pédagogiques porte un risque de fragmentation et d’inégalité. L’égalité de traitement ainsi que le refus des privilèges et discriminations, qui sont les valeurs clés d’un programme républicain, semblent justifier, dans l’opinion commune, l’obligation d’une uniformité de traitement. En matière scolaire, cette présomption va bien au-delà de l’exigence légitime de maintenir des programmes communs à tous pour l’ensemble d’un cycle, puisqu’elle conduit parfois à exiger des enseignants (même dans les écoles primaires) qu’ils fassent la classe de la même façon et dans les mêmes conditions pour tous les élèves, dans une école élémentaire de la rue Madame dans le VIe arrondissement de Paris, dans une école de la ville de Tulle en Corrèze ou dans l’école élémentaire Jacques Prévert de Garges-lès-Gonesse.

Dans un tel contexte, l’idée d’élaborer des méthodes pédagogiques en prenant en compte les « habitudes locales » et selon « les besoins des différents établissements », comme disait Léon Bourgeois en 1902, dans le but d’atteindre des objectifs de formation ambitieux, est difficile à mettre en œuvre dans les faits, même si plusieurs lois semblent en avoir reconnu la nécessité. Et pourtant, les données et analyses proposées dans le corps de cet ouvrage permettent d’établir que l’autonomie en matière de pédagogie et de gestion des ressources humaines est un facteur favorable à la réussite scolaire des enfants, surtout ceux issus des milieux défavorisés. Dès lors, la question décisive devient celle de savoir comment l’idée d’autonomie pourrait être intégrée dans le système scolaire français.

QELLES LECONS RETENIR DE CE QUI SE FAIT AILLEURS ?

L’autonomie n’est pas une solution miracle. Elle exige une grande vigilance sur plusieurs points bien identifiés, comme l’a montré l’exposé détaillé des exemples suédois, américain et anglais. Du reste, les fortes réticences exprimées en France au sein de la sphère publique et par de nombreux enseignants à l’égard de l’autonomie scolaire se rapportent à des difficultés réelles, elles sont aussi très comparables à celles qui avaient été formulées en Suède, aux États-Unis et en Angleterre. Elles ont trait, entre autres, au rôle que jouerait l’État, au partage des responsabilités entre directeur et enseignants à l’intérieur de l’établissement scolaire et aux risques d’inégalité. Sur ce dernier point, en effet, n’est-il pas légitime de redouter les conséquences que produirait l’existence d’une diversité de type d’établissements au sein même de l’éducation publique, avec l’inévitable émulation qui en résulterait : une fragmentation dans les objectifs d’éducation et une disparité accrue dans les résultats, autrement dit le renoncement à l’idéal d’universalité selon lequel tous les enfants recevraient la même éducation ?

En réponse à cette méfiance de départ, il est nécessaire de définir précisément quel type d’autonomie on souhaite pour les établissements scolaires français afin de mesurer les risques qui y sont attachés et d’éviter les erreurs qui ont fait que les écoles libres dans d’autres pays sont parfois restées en deçà de leurs ambitions initiales. Lucidité, pragmatisme et absence de dogmatisme doivent prévaloir avant de s’engager dans ce genre de réformes.

Le partage des responsabilités entre l’échelon local et le niveau national

La création d’écoles libres publiques a le plus souvent mis un terme à une forte décentralisation ou municipalisation de l’éducation. En accordant l’autonomie à ces nouveaux établissements, l’État a paradoxalement repris la main par rapport aux autorités locales, puisque c’était principalement avec l’État qu’étaient négociés les engagements des établissements auto nomes (on a même parlé, en Angleterre par exemple, d’une « nationalisation de l’éducation »). Une telle évolution a conduit le plus souvent à une redéfinition des rôles respectifs de l’État, de l’administration centrale, des régions et des communes, en particulier pour ce qui avait trait à l’agrément donné à l’établissement, l’évaluation des élèves et des professeurs, le contrôle exercé par l’État sur la formation des enseignants et la certification qui leur était décernée.

Si une réforme d’autonomie devait voir le jour en France, les responsabilités respectives de l’État, de l’administration centrale, des communes et collectivités territoriales devraient de la même façon être examinées de près, en particulier pour le statut des écoles primaires (qui aujourd’hui ne sont pas des « établissements publics » et sont pilotées conjointement par l’État et les communes), mais aussi pour la gestion des lycées et collèges (assumée en partie par l’État et les collectivités territoriales), et éventuellement pour la formation des professeurs ainsi que leur affectation (aujourd’hui pilotées pour l’essentiel à l’échelle nationale).

L’autonomie au sein du système scolaire public n’a pas pour conséquence que l’État soit dessaisi de ses responsabilités, il est important de le souligner. Il incombe toujours à l’État d’établir le cadre juridique dans lequel s’exercent les activités d’éducation, de fournir un investissement adapté, y compris pour la qualité des infrastructures, mais aussi de garantir le haut niveau de formation des personnels (enseignants et directeurs), de donner son agrément au projet de chaque école et d’assumer pleinement sa fonction de contrôle et de sanction en cas d’échec. L’autonomie scolaire ne se réduit pas à la liberté laissée à l’établissement, elle a aussi trait à la détermination de l’État de s’assurer que les engagements pris par l’établissement auto nome, qu’il a reconnus et agréés, sont effectivement tenus et que, s’ils ne le sont pas, des mesures adaptées seront prises. 

Quels responsables ? Quelle légitimité ?

Un autre élément décisif pour le succès d’une réforme d’autonomie a trait au rôle des responsables d’un établissement auto nome et à leur légitimité. S’agit-il seulement du directeur d’établissement ou d’une équipe formée du directeur et des enseignants ? Dans plusieurs des expériences qui ont été rappelées, les écoles étaient gérées par des associations de parents ou de professeurs, voire des professionnels recrutés sur appel d’offres. Dans chacun de ces cas, la légitimité dont ces responsables pouvaient se prévaloir était différente.

Pareilles questions sont en France particulièrement délicates, dans la mesure où la gestion nationale de l’enseignement public défi nit, au sein de chaque établissement, la place de chacun et ses fonctions, gommant par-là la part de la décision humaine dans la définition des tâches qui incombent à chaque personnel, ce qui réduit les risques que ne soient perçues comme discrétionnaires ou arbitraires des décisions qui seraient prises par le chef d’établissement. Mais la contrepartie en est que, dans le cadre d’un tel pilotage de l’État, l’autonomie est peu praticable, faute de possibilités d’adaptation en temps réel. Aborder de front cette question et y apporter une réponse claire est un des facteurs clés de la réussite de l’autonomie scolaire.

De plus, si le directeur de l’établissement en est bien le responsable juridique et administratif, il reste que le projet d’établissement, quant à lui, devrait être élaboré en concertation avec les enseignants qui auraient la mission de le mettre en œuvre. La responsabilité du projet étant de ce fait partagée, les enseignants les plus engagés seraient justifiés à se réclamer d’une réelle légitimité dans leurs actions aussi bien face à leur directeur qu’à leurs collègues. C’est là un point sensible alors que la méfiance que l’autonomie scolaire suscite en France chez les enseignants est largement liée au type nouveau de relations qui s’établiraient avec la direction de l’établissement ; il doit donc faire l’objet d’une grande vigilance.

Autonomes, jusqu’à quel point ?

Une troisième question porte sur l’étendue de l’autonomie laissée aux établissements et sur la portée des règles générales qui s’appliqueraient à eux. S’il incombe à l’État de définir les objectifs généraux de la formation et un curriculum national que tous les enfants doivent avoir suivi, rien dans l’exigence d’égalité de traitement n’empêche en principe que certains établissements choisissent d’ajouter d’autres matières, voire des buts de formation supplémentaires, à condition qu’ils restent dans le cadre laïc des lois et règlements existants. Pour autant, quel degré de différenciation accepter entre une variété d’écoles autonomes sans pour autant porter atteinte à la réalité d’une éducation nationale ?

Extrait du livre de Monique Canto-Sperber, « Une école qui peut mieux faire », publié aux éditions Albin Michel

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