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Du blocage de la France à un départ de Valls ? Pourquoi la crise politique majeure qui se profile ne profitera pas forcément à ceux qu'on croit
©Reuters

Cocotte-minute

Alors que la situation sociale et politique est de plus en plus tendue en France autour de la loi El Khomri, la position de Manuel Valls à Matignon apparaît bien précaire. A un an de l'élection présidentielle, l'hypothèse d'un départ de l'ancien maire d'Evry n'est plus à écarter. Reste à savoir à qui pourrait-il profiter.

Alexis Théas

Alexis Théas est haut fonctionnaire. Il s'exprime ici sous un pseudonyme.

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Xavier Chinaud

Xavier Chinaud

Xavier Chinaud est ancien Délégué Général de démocratie Libérale et ex-conseiller pour les études politiques à Matignon de Jean-Pierre Raffarin.

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Atlantico : Dans un contexte de graves perturbations sociales, l’exécutif semble se déchirer sur la réécriture de l'article 2 de la loi El Khomri, qui marquerait le point de rupture entre François Hollande et Manuel Valls. Si une telle crise politique allait à son terme, comment se manifesterait-elle (dissolution, départ du Premier ministre...) ?

Alexis Théas : Une dissolution me semble peu probable à moins d'un an d'une période électorale essentielle. Il n'est pas sûr que l'opposition accepterait une cohabitation et M. Hollande risquerait la fin de son quinquennat. En revanche, la démission de M. Valls est possible s'il doit retirer le texte alors qu'il s'est engagé très fermement à aller jusqu'au bout. Tout le monde serait alors perdant. L'image de M. Valls, même démissionnaire aujourd'hui, restera longtemps attachée à une période effroyable : les attentats, l'échec de la déchéance de nationalité, de la loi Travail, etc. En outre, il donnerait le sentiment de quitter le navire après y avoir mis le feu. Le principal bénéficiaire serait le nouveau Premier ministre nommé à sa place. Ce ne serait probablement pas Emmanuel Macron compte tenu des distances prises avec le chef de l'Etat et de la proximité de sa ligne libérale avec celle de Valls. Il est probable que François Hollande choisirait une personnalité de toute confiance, très proche avant la présidentielle et non susceptible de lui faire de l'ombre, un profil apaisant. Des ministres n'ayant pas démérité et bénéficiant d'une relative bonne image dans l'opinion, comme Bernard Cazeneuve ou Jean-Yves le Drian, pourraient donc être les grands bénéficiaires d'une démission de Manuel Valls.

Xavier Chinaud : Le président de la République dispose de plusieurs moyens donnés par la Constitution : il peut changer le gouvernement, il peut dissoudre l'Assemblée nationale et il peut faire un référendum. 

On peut penser que si le président de la République retirait le projet El Khomri, cela pourrait provoquer le départ de Manuel Valls de Matignon. La question qui se poserait alors est celle du Premier ministre qui le remplacerait. Cette hypothèse n'exclut pas que François Hollande utilise les autres armes que la Constitution met à sa disposition. La balle est dans le camp de l'exécutif : soit il tient bon, soit il bat en retraite.

Dans la première hypothèse, il faut vraiment qu'il tienne bon jusqu'au bout, mais en a-t-il les moyens (dans un contexte de grèves à répétition, pendant l'Euro, avant le retour début juillet de la loi El Khomri à l'Assemblée nationale) ?

Dans la seconde hypothèse (celle du retrait), il est difficile d'envisager le maintien de l'actuel gouvernement de Manuel Valls.

Dans quelle mesure François Hollande pourrait-il y gagner politiquement ? Ne serait-ce pas pour lui l'occasion d'obtenir les conditions d'un rassemblement de la gauche dans la perspective de 2017 ?

Alexis Théas : Franchement, je ne vois pas bien comment il pourrait en tirer bénéfice. L'opinion n'y verra qu'une catastrophe supplémentaire, après "Leonarda", les promesses non tenues sur le chômage, le psychodrame des "sans dents", l'échec du projet de déchéance de nationalité, maintenant l'abandon de la loi Travail... Un rassemblement de la gauche incluant le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon et le Parti communiste me semble invraisemblable. L'image de Hollande à la gauche de la gauche est exécrable et une réconciliation paraît inconcevable. En revanche, le départ de M. Valls peut permettre à François Hollande de tenter une réunification du Parti socialiste et d'éviter des candidatures sauvages comme celle d'Arnaud Montebourg ou de Benoît Hamon. Sur quelle ligne ? Il me semble difficile pour le chef de l'Etat d'opter pour un basculement soudain en faveur d'un projet gauchisant engageant le pays dans la voie d'une hausse supplémentaire des impôts. En revanche, on peut imaginer que Hollande, après un départ de Valls, se recentre sur lui-­même, en politicien attaché avant tout à sa réélection et déconnecté des sujets de fond. Le départ de Valls lui ouvrirait la voie pour faire de la comunication pure, attaquer la "droite", revenir à l'anti­sarkozisme de base qui est sa marque de fabrique.

Xavier Chinaud : Je ne crois pas au rassemblement de la gauche, quel que soit le scenario. Si le choix du président entraînait le départ du Premier ministre, ce serait à la fois un aveu de faiblesse dans la conduite de l'Etat et absolument pas de nature à permettre de trouver un remplaçant à Manuel Valls qui puisse incarner l'union de la gauche, cette dernière étant totalement fracturée. Ma première lecture consiste donc à ne rien voir de positif pour François Hollande dans l'hypothèse d'un départ du Premier ministre. 

Mais on peut avoir une deuxième lecture, qui relève de la fiction politique : un Président aussi affaibli qui verrait le départ de son Premier ministre pourrait aller au-delà, dissoudre et terminer son mandat sous cohabitation (cohabitation qui a plutôt réussi à ses prédécesseurs). Le problème changerait de nature, et cela en poserait sans doute beaucoup à la droite. Si une dissolution envoyait une majorité de la droite et du centre à l'Assemblée nationale, y aurait-il un accord sur un nom susceptible de devenir Premier ministre et de se voir voter la confiance ? Et quelles conséquences cela aurait-il sur les primaires ?

Un tel scénario aurait-il pour effet d'affaiblir les candidats Les Républicains prônant la mise en place de réformes plus ou moins similaires à la loi El Khomri, si ce n'est bien plus profondes ? Une telle situation porterait-elle un coup fatal à "l'idéologie réformatrice" traditionnelle?

Alexis Théas : Oui. Le mouvement social actuel s'adresse tout autant au pouvoir socialiste actuel qu'aux futurs dirigeants du pays. Il faut y voir un avertissement sans frais. M. Juppé et M. Fillon proposent la retraite à 65 ans, le retour à la semaine de 39 heures, une refonte du code du Travail. Le message destiné à l'opposition de droite est clair : la mise en oeuvre d'un tel programme entraînera le blocage immédiat du pays. Leur candidature en est-­elle affaiblie ? C'est vrai qu'Alain Juppé peut ressortir fragilisé de l'épreuve. Le risque pour lui est une resurgence du spectre de novembre/décembre 1995. En outre, la perspective du déclenchement d'une nouvelle crise extrêmement dure en 2017 liée à la mise en oeuvre de son programme peut inquiéter les Français. Sa force tient à son image de sagesse et de modération qui n'est pas encore atteinte. Mais il lui faut répondre à cette contradiction fondamentale : image apaisante, projet explosif. Cela ne signifie pas que la France doive renoncer à se réformer. Son déclin économique en Europe est vertigineux comme il apparaît à travers la chute des investissements étrangers. Cependant, il est essentiel de ne pas mettre la charrue avant les boeufs. Avant de lancer de grandes réformes sociales au contenu explosif, il faut repenser la méthode de gouvernement, la concertation, le débat démocratique, le travail de conviction et d'information de l'opinion. L'usage autoritaire du 49-3 explique en partie le désastre socialiste. La contestation qui ne s'est pas exprimée au Parlement s'exprime dans la rue. L'autoritarisme du gouvernement est le contraire de l'autorité vraie.

Xavier Chinaud : La raison pour laquelle la majorité d'aujourd'hui n'arrive pas à faire de réformes tient au fait qu'elle défend des projets de loi qui ne faisaient pas parti des engagements de campagne de François Hollande et qu'il n'y a pas de majorité unie pour les soutenir. Quel que soit le président de la République issu de la droite et du centre en 2017, on peut penser qu'il aura la légitimité de son élection et une majorité à l'Assemblée nationale pour voter ces réformes. 

Une majorité de Français sont pour des réformes mais en général plutôt pour celles qui ne les concernent pas directement. Ceux des candidats de l'opposition actuelle qui prônent des grands chambardements sont sans doute dans une situation de moindre crédibilité à agir que ceux qui prônent le fait d'annoncer en amont ce qu'ils feront mais de ne pas chercher à "renverser la table". Cette situation devrait conduire plutôt à la modération.  

Nicolas Sarkozy, seul candidat de droite à ne pas afficher un programme résolument libéral, pourrait-il également y trouver son intérêt alors qu'il semble de plus en plus susciter l'adhésion d'un électorat populaire et jeune ?

Alexis Théas : Son discours et ses orientations semblent les plus adaptées à l'attente de l'opinion publique. Il a choisi une posture présidentielle, se focalisant sur les grands enjeux de niveau national : l'identité, l'assimilation, la refondation de l'Europe, la place de la France dans le monde. La réforme économique n'est qu'un aspect d'une vision plus générale. En cela, il est plus réaliste et plus conforme à la sensibilité populaire. En effet, il n'est pas possible d'arriver en mai juin 2017 et d'imposer froidement, en six mois, par ordonnances, des réformes brutales sur le plan économique et social. Ce serait déclencher une révolution et compromettre les cinq ans du mandat présidentiel. Le préalable à toute réforme est de restaurer des valeurs comme l'autorité, la confiance, le dialogue démocratique, la responsabilité. Les réformes doivent s'inscrire dans une perspective historique et nationale. Sarkozy l'a bien compris. Son avantage en termes d'intelligence de la situation va-­t-­il permettre de compenser son image personnelle qui reste très dégradée ? Telle est la grande question de la primaire.

Xavier Chinaud : Si Nicolas Sarkozy vise ces électorats, je ne crois pas qu'il y enregistre des progrès notables. Par ailleurs, il est peu probable que le fait que le pays soit bloqué favorise plus un candidat qu'un autre.

Une autre lecture consiste à imaginer que dans un contexte de dissolution, Nicolas Sarkozy envisage, en tant que président LR, de devenir Premier ministre et d'annuler les primaires présidentielles, mais je n'ose imaginer qu'il fasse ce calcul.

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