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Deux morts dans un règlement de comptes à Marseille en pleine ville et en plein état d'urgence... Comme un léger problème d'ordre public ?
©Reuters

Une autorité étatique malmenée

Dimanche 7 août dans la matinée, une fusillade a fait deux morts à Marseille. Les victimes, âgées d'une vingtaine d'années chacun étaient dans un véhicule qui a été pris en chasse avant d'être la cible de tir. Les assaillants n'ont pas encore été rattrapés. Des sources policières font état d'un potentiel règlement de compte.

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico : Ce dimanche 7 août, Marseille a été le théâtre d'une nouvelle fusillade. Deux individus d'une vingtaine d'années ont trouvé la mort dans ce qui semble être, d'après une source policière, un règlement de compte. Comment expliquer qu'un tel drame puisse avoir lieu en plein état d'urgence, alors que les forces de l'ordre sont lourdement sollicitées pour faire face à la menace terroriste ? Qu'est-ce que cela traduit de l'autorité et de l'efficacité de l'Etat ?

Gérald Pandelon : L’article 36-1 de la Constitution vise à instaurer un état d’urgence en ces termes : "L’état d’urgence est décrété en conseil des ministres soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. La loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre, sous le contrôle du juge administratif, pour prévenir ce péril ou faire face à ces événements". Dans ce cadre, les principales mesures prononcées par le ministre de l’Intérieur sous contrôle du juge administratif sont d'une part, la possibilité d'assignations à résidence pour toute personne dont le comportement constituerait une menace pour la sécurité et l’ordre public ; d'autre part, la dissolution des associations et groupements qui participeraient à la commission d’actes pouvant porter une atteinte grave à l’ordre public ou dont les activités la faciliteraient ou y inciteraient et qui comprendraient en leur sein ou parmi leurs relations habituelles, des personnes assignées à résidence. Sont également prévues des perquisitions en tout lieu, y compris à domicile, de jour comme de nuit, sauf exceptions. Or, ces mesures qui s'inscrivent dans le contexte particulier des attentats de nature terroriste ne sont pas réellement étendues dans le cadre d'un banditisme plus classique (celui qui sévit encore aujourd'hui à Marseille), d'abord, parce qu'elle ne sont pas considérées comme prioritaires par l'agenda politique, ensuite, parce que nos gouvernants, trop loin des réalités du terrain, n'ont toujours pas réellement saisi le lien évident voire consubstantiel aujourd'hui, entre le terrorisme et le banditisme. D'ailleurs, on pourrait se poser la question de savoir comment il nous sera possible de venir à bout de la menace terroriste si nos gouvernants ne sont pas réellement capables de juguler un simple trafic de stupéfiants dans des cités sensibles... Au-delà de la question de l'autorité ou de l'efficacité de l'Etat, je crois plus simplement que les événements dramatiques qui se produisent à Marseille ne constituent pas la préoccupation essentielle de nos gouvernants ; en effet, bien avant les attentats terroristes qui ont débuté à Paris le 7 janvier 2015, les règlements de comptes dans la cité phocéenne, s'ils ont été une préoccupation majeure de nos gouvernants successifs, c'est bien à l'insu des marseillais lesquels n'ont jamais au quotidien perçu la moindre amélioration concrète en termes de baisse de ces faits criminels. Bien au contraire, les assassinats perpétrés pour le contrôle du trafic de stupéfiants entre bandes rivales n'ont fait qu'augmenter. Bref, tout se passe comme si tout le monde était parfaitement et unanimement d'accord à la fois sur la gravité desdits faits, voire sur les solutions à préconiser pour y remédier, mais qu'en réalité aucune solution suffisamment efficace n'y était apportée. Autrement dit, il s'agit d'un échec cuisant.

En 2015, les règlements de comptes ont fait une vingtaine de morts environs, dont plus de la moitié à Marseille. Ces thématiques sont loin d'être nouvelles. Quelles sont concrètement les mesures prises pour lutter contre la délinquance et la criminalité (particulièrement quand on sait les liens entre banditisme et terrorisme) ?

Le gouvernement souhaite renforcer de façon pérenne les outils et moyens mis à disposition des autorités administratives et judiciaires, en dehors du cadre juridique temporaire mis en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence. Le projet de loi "renforçant la lutte contre la criminalité organisée et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale" devait être prêt au mois de février 2016. Dans ce projet de loi initialement prévu pour ne concerner que la procédure pénale a été introduit un certain nombre de dispositions voulues par le ministère de l’Intérieur après les attentats du 13 novembre avec comme objectif d’obtenir des outils performants susceptibles de réduire la nécessité de l’état d’urgence. En théorie, l'objectif poursuivi est celui d'étendre les méthodes de l’antiterrorisme vers le crime organisé, puis du crime organisé vers la délinquance ordinaire. Dans ce cadre, les policiers pourraient désormais fouiller les bagages, les voitures et contrôler l’identité de tout individu. Il fallait jusqu’à présent une présomption d’infraction ou une autorisation (des procureurs) délivrée sur un périmètre délimité et pour une durée limitée. Désormais, les gardiens de la paix pourraient y être autorisés, en cas de lien entre avéré entre banditisme et terrorisme, à la seule demande des préfets. Ce sont ces mesures qui devraient être expérimentées dans les quartiers dit sensibles si les forces de l'ordre pouvaient y pénétrer, ce qui est un autre débat... 

Que dire de la sévérité des peines, souvent critiquée ? Est-elle effectivement l'un des ressorts sur lesquels il nous faut jouer pour parvenir à contrecarrer ce genre de criminalité ? Quelles sont les autres solutions que nous pourrions mettre en place ?

Je crois qu'il faut dissiper immédiatement un malentendu. En effet, contrairement à une idée-reçue, les peines sont sévères lorsque les auteurs de ces crimes et délits sont interpellés. La justice pénale, excepté celle qui s’applique parfois aux mineurs délinquants, est très dure et il faut n'avoir jamais fréquenté une juridiction pénale pour soutenir que la justice pénale française serait laxiste. Savez-vous, par exemple, que le taux d’infirmation (infirmer un jugement, c'est pour une cour d'appel le dépouiller de toute autorité juridique) de certaines chambres de l’instruction (les anciennes chambres d’accusation) avoisine en moyenne le taux de 3 % ? Autrement dit, vous vous présentez cent fois devant cette chambre, vous ne pouvez obtenir la réformation de la décision du juge d’instruction que trois fois, et ce, même si vous êtes un fin connaisseur du droit et de la procédure pénale. Avez-vous par ailleurs déjà entendu parler du juge des libertés et de la détention ou "JLD", acronyme d’un personnage à deux têtes, comme l’Hydre de Lerne, redouté aussi bien par les mis en cause que par les avocats ? Que devant ce magistrat, il est assez rare que ce soit la liberté qui l’emporte sur la détention puisque sa mission essentielle demeure la décision d'incarcération provisoire. Autrement dit, la France demeure dépositaire d'une culture du mandat de dépôt très étrangère à quelque laxisme que ce soit dans l'infliction des sanctions. Pour contrecarrer ce type de criminalité, sans doute faudrait-il encore davantage de forces de l'ordre présentes au sein de ces cités. La sénatrice des Bouches-du-Rhône Madame Samia Ghali, femme d'un courage remarquable, avait même préconisé l'intervention de l'armée même s'il ne s'agit pas de sa mission essentielle. Toutefois, la proposition présentait au moins l'intérêt d'attirer l'attention des autorités sur la gravité de la situation et sur les menaces à venir. 

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