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L’énergie psychologique qui produit les performances intellectuelles varie en fonction des sujets que nous traitons
L’énergie psychologique qui produit les performances intellectuelles varie en fonction des sujets que nous traitons
©Flickr

Übermensch

Nous n'utiliserions que 10% des capacités de notre cerveau. C'est sur cette affirmation que se base l'intrigue du dernier film de Luc Besson "Lucy", dans lequel Scarlett Johansson voit ses capacités intellectuelles décuplées.

Michel Dib

Michel Dib

Michel Dib est neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière depuis plus de vingt ans. Membre de la Société Française de Neurologie, il est auteur de plusieurs ouvrages scientifiques et destinés au grand public, notamment Apprivoiser la migraine aux Editions du Huitième Jour.

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Atlantico : Dans son dernier film, Lucy (sortie en août 2014), Luc Besson met en scène une Scarlett Johanson dont les performances intellectuelles sont décuplées après avoir ingéré une drogue. L’intrigue part du postulat selon lequel nous n’utilisons que 10% des capacités de notre cerveau (dixit Morgan Freeman dans le rôle d’un neurologue). Peut-on vraiment parler de notre activité cérébrale en des termes quantitatifs ? 

Michel Dib : On peut parler en termes quantitatifs dans la mesure où nous sommes tous dépendants d’une  énergie psychologique. Celle-ci varie en fonction de plusieurs facteurs : la motivation,  la bonne ou mauvaise humeur, etc. De plus, l’énergie psychologique qui produit les performances intellectuelles varie en fonction des sujets que nous traitons. Nous en maîtrisons certains mieux que d’autres, nous ne développons pas nos capacités intellectuelles de manière égale dans tous les domaines. Selon le métier que l’on exerce, la capacité à mémoriser est plus ou moins élevée. Un métier manuel développe moins de capacités intellectuelles que celui qui, par définition, est intellectuel.

L’imagerie IRM a-t-elle pu nous induire en erreur sur l’utilisation que nous faisons de notre cerveau ? Ce n’est pas parce que toutes les parties ne sont pas sollicitées au même moment que les neurones sont inactifs...

L’IRM n’est pas une imagerie dynamique mais statique, elle ne permet pas de voir les neurones au travail. C’est plutôt le PET Scan (Tomographie par émission de positons) qui nous permettra d’évaluer les capacités intellectuelles. Des gens ont essayé d’évaluer l’intelligence, mais cela pose des problèmes d’éthique. Le PET Scan est un examen radioactif qui implique l’utilisation de produits chimiques. Or si on les utilise sur des patients atteints de maladie, on ne peut pas se permettre de le faire avec des personnes en bonne santé. Les données dont nous disposons sont d’origine animale, et non humaine.

J’ai moi-même été amené à évaluer des demandes d’étude sur des personnes considérées comme plus intelligentes que la moyenne, mais aucune suite n’a pu être donnée. De plus, les financement sont difficiles à obtenir.

A partir de là, que peut-on dire de l’utilisation que nous faisons de notre cerveau ? Est-elle optimale, ou bien pourrait-elle être largement améliorée ?

Des études ont été faites sur des souris : si elles grandissent seules, on constate que leur cerveau se développe beaucoup moins que si elles sont élevées à plusieurs. On sait parfaitement que le stimulus que l’être humain reçoit pendant les plusieurs années est déterminant pour son développement.

On pensait jusqu’à récemment qu’à l’âge adulte il était trop tard pour poursuivre ce développement, mais on constate qu’en fait on continue d’évoluer. C’est une des lois de la neuroprotection : une réserve de cellules peut être utilisée pour remplacer celles qui ont été abîmées par un accident. Après les accidents vasculaires ou cérébraux, ce réservoir de cellules conditionne notre capacité à récupérer et développer des cellules beaucoup plus actives que d’autres.

Quant à notre capacité cérébrale, elle pourrait évidemment être bien supérieure. Des personnes font appel à des compétences intelectuelles supérieures à d’autres, ce qui les rend beaucoup plus résistants à certaines maladies dégénératives. Les patients atteints d’Alzheimer qui ont un bon niveau d’études développent un niveau de maladie moins sévère que ceux qui ont un niveau d’éducation moins élevé. De nombreuses d’études l’ont montré.

A-t-on des exemples de personnes qui ont utilisé leur cerveau de manière optimale ? Un Albert Einstein ou un Stephen Hawking se rapprochent-ils des "100 %" ?

Les preuves scientifiques en la matière n’existent pas, tout simplement parce qu’aucune autopsie n’a été faite en ce sens. Quoi qu’il en soit il serait incorrect de parler d’utilisation optimale, car on n’est jamais capable d’utiliser toutes les capacités de son cerveau. Il restera toujours une marge d’amélioration. Depuis une dizaine d’années maintenant on parle de "plasticité cérébrale." On pensait qu’elle n’existait qu’en fonction de l’âge, mais on sait aujourd’hui que ce n’est pas le cas. On ne sait pas encore quels sont les facteurs qui facilitent cette plasticité, mais le jour où on y arrivera on aura réglé beaucoup de maladies. Nous pensons que si certains patients récupèrent mieux que d’autres, c’est parce que leur capacité de plasticité, c’est-à-dire leur capacité à puiser dans leur réservoir de cellules, est supérieure.

Mais comment peut-il être envisageable d’utiliser son cerveau de manière optimale en permanence ?

Ce n’est pas impossible. Mais le cerveau est comme une machine, quand on le chauffe, il peut exploser. Ce qu’il faut, c’est varier les activités, et non se reposer sur quelques automatismes. Le fait de varier les activités permet de développer un réservoir neuronal. De toute façon, si vous dépensez votre énergie psychologique de manière excessive, votre cerveau vous le dira.

La théorie des 10% est souvent attribuée à Einstein, pourtant il semblerait que ce lieu commun sur nos capacités soit plus ancien. Comment expliquez-vous que les hommes soient autant préoccupés par la question de la sous-utilisation de leur cerveau ?

Le fait de se dire que l’on peut avoir des capacités plus importantes ouvre le champ des possibles. Il y a une part de rêve. Mais actuellement on ne voit pas, sur le plan pratique, comment on pourrait utiliser 90% de nos capacités.

Lucy n’est pas le premier film à aborder le thème du décuplement des capacités cérébrales. Quelle fascination se cache derrière cette poursuite de la perfection mentale ? Cela rejoint-il le mythe du surhomme ?

C’est un domaine passionnant, et le fait de savoir désormais que nous disposons d’un réservoir permet d’être optimiste. C’est tout de même plus excitant que de se dire que lorsqu’on est arrivé à maturité on ne fait que perdre des neurones irremplaçables. Sachant cela, on ne peut qu’être poussé à développer inlassablement ses capacités, à s’orienter dans des voies d’apprentissage gigantesques.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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