Derrière le nouveau Dubaï en construction au Sri Lanka, la stratégie chinoise de comptoirs néo-coloniaux <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Des ouvriers travaillent sur le chantier de construction sur des terres récupérées dans le cadre du projet financé par la Chine, Port City Colombo, le 28 octobre 2021
Des ouvriers travaillent sur le chantier de construction sur des terres récupérées dans le cadre du projet financé par la Chine, Port City Colombo, le 28 octobre 2021
©ISHARA S.KODIKARA / AFP

Port City Colombo

La Chine participe à la construction d’une métropole géante au Sri Lanka, Port City Colombo. La China Harbour Engineering Company va investir 1,4 milliards de dollars dans ce projet.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

Voir la bio »

Atlantico : La Chine a entrepris la construction d’une métropole géante au Sri Lanka. Cette nouvelle ville, Port City Colombo, qui comprendra un centre financier international offshore, des zones résidentielles et un port de plaisance, est prévue pour accueillir 80 000 habitants. Sa construction devrait durer 25 ans. Pour Saliya Wickramasuriya, membre de la commission économique de la ville portuaire de Colombo, elle serait en mesure de rivaliser avec Dubaï ou Singapour. Quel est l’intérêt d’un tel projet pour la Chine ? Peut-on y voir une volonté d’étendre son domaine d’influence en Asie ?

Emmanuel Lincot : Le Sri Lanka, par son positionnement géographique, est au centre même de l’Océan Indien et est un hub incontournable pour ses infrastructures portuaires entre l’Asie sinisée, le monde indien et l’Afrique. 25 % du trafic maritime mondial transite par cette région.  75 % des exportations européennes à destination de l’Asie y transitent…Américains et Britanniques y sont présents depuis leur base militaire de Diego Garcia au large de l’île. Que la Chine fasse le pari d’un accroissement des volumes portuaires dans cette partie du monde n’a donc rien de surprenant. Au reste, le Japon et l’Inde sont aussi sur les rangs pour l’aménagement d’un terminal à Colombo avec une contribution de la Banque Asiatique de Développement. Toutefois, c’est incontestablement la Chine qui est devenue un acteur de tout premier plan. Ainsi, à partir de 2005, le régime de Mahinda Rajapaksa s’est appuyé sur Pékin pour le développement des infrastructures du pays. Le gouvernement a lancé une série de projets coûteux et décriés, financés par la Chine. Le port et l’aéroport de Hambantota, la tour Lotus, l’autoroute centrale et la Centrale au charbon de Norrochcholai sont tous issus d’investissements chinois. L’aménagement de Port City Colombo s’inscrit dans cette continuité. Le projet est décrié pour son impact environnemental et sa démesure. Surtout, est brandi le piège de la dette vis-à-vis de la Chine. A travers cet exemple emblématique, Pékin entend diversifier sa politique du collier de perles ; une logique de comptoirs et de pénétration en Asie avec un risque sécuritaire pour les intérêts indiens ; New Dehli pouvant y voir une alliance de revers.

À Lire Aussi

Vers une nouvelle révolution culturelle en Chine ?

La China Harbour Engineering Company, chargée de la construction, va investir au minimum 1,4 milliards de dollars dans ce projet. En contrepartie, elle s’est vue attribuer 43% des terres dans le cadre d’un bail de 99 ans. Alors que Pékin essaye clairement de s’immiscer dans les affaires du pays, cette ville va-t-elle être le moyen de son ingérence ?

Emmanuel Lincot : C’est le risque en effet et la Chine s’est naturellement invitée dans les débats opposant le gouvernement à l’opposition. Pékin, comme partout ailleurs dans le monde, s’appuie sur des clientèles d’hommes liges qui lui sont acquises. Par comparaison, elle agit de la même manière au Pakistan et crée ainsi des obligations, un état général de dépendance.

De nombreux observateurs s’inquiètent du fait que le Sri Lanka, qui traverse une grave crise économique et qui est fortement endetté, notamment vis à vis de la Chine, ne puisse pas réellement bénéficier de ce projet. Certains observateurs pensent même qu’un jour, le pays n’aura plus son mot à dire. Ce risque est-il bien réel ?

Emmanuel Lincot : Absolument et le poids de la Chine sur le plan financier est tel que le Sri Lanka pourrait à terme subir ce que la Chine a elle-même connu jusqu’à la première moitié du siècle dernier : une véritable aliénation, et pas seulement de nature économique. Le Sri Lanka est une société fragilisée. La Covid-19 n’a guère arrangé la situation et les rapports entre les communautés restent sous tension. Le souvenir de la guerre civile est dans toutes les mémoires et cette ingérence étrangère pourrait se voir à terme instrumentalisée.  

À Lire Aussi

Relation avec la Chine : le bilan très mitigé du quinquennat Macron

Doit-on aller jusqu’à considérer que Port City Colombo comme une forme d’enclave chinoise ou de néo-comptoir ?

Emmanuel Lincot : Une grande partie de l’opinion le perçoit ainsi. Fondamentalement, la Chine n’y est pas pour grand-chose. C’est la classe dirigeante qui a souhaité cette coopération. A-t-elle été pensée dans l’intérêt de l’opinion sri lankaise ? Elle risque au contraire de contribuer à une prolétarisation de la population sans que celle-ci ne tire pleinement bénéfice d’un développement économique qui ne semble en rien innerver l’économie de l’arrière-pays notamment.

Cet immense chantier s’inscrit-il dans le cadre d’une stratégie voulue par le régime de Xi Jinping ? Y-a-t-il des projets similaires dans ces nouvelles routes de la soie ?

Emmanuel Lincot : Oui bien sûr. C’est un projet d’infrastructures comme il en existe des centaines d’autres à travers le monde. Le piège de la dette ou la non-intégration des populations locales comme à Gwadar au Pakistan peuvent provoquer des troubles. En retour, la non solvabilité des pays concernés peut aussi avoir des effets dommageables en Chine.  

Professeur à l’Institut Catholique de Paris, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l’IRIS et sinologue. « Chine et Terres d’islam : un millénaire de géopolitique » est son dernier ouvrage.

À Lire Aussi

Et voilà la menace méconnue qui fragilise le plus la Chine

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !