Derrière la volonté d’inscrire l’IVG dans la Constitution, un pernicieux piège anti-droite<!-- --> | Atlantico.fr
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La gauche n’hésite pas à instrumentaliser le refus de l'inscription de l'IVG dans la Constitution pour caricaturer la droite.
La gauche n’hésite pas à instrumentaliser le refus de l'inscription de l'IVG dans la Constitution pour caricaturer la droite.
©Ludovic MARIN / AFP

Panique morale

Gérard Larcher, opposé à l'inscription de l'IVG dans la Constitution, a récemment déclaré que le droit à l'avortement "n'est pas menacé dans notre pays". La gauche n'hésite pas à instrumentaliser ce débat pour caricaturer la droite.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Le droit à l’avortement "n’est pas menacé dans notre pays", déclarait récemment Gérard Larcher, qui s’est opposé à l’inscription de l’IVG dans la constitution. Depuis, et déjà avant cela en vérité, une partie de la gauche n’hésite pas à instrumentaliser ce refus pour caricaturer la droite. Quelle est la nature exacte du piège qui est ici tendu aux conservateurs ?

Bertrand Vergely : La gauche aimerait que, sur la question du droit à l’avortement, la classe politique se divise en deux avec, d’un côté la gauche pro-IVG, et d’un autre la droite anti.  Or, quand on examine la réalité concrète, ce n’est pas du tout ce qui est en train de se produire.

Il existe certes aujourd’hui des opposants à l’avortement. Il s’agit toutefois d’une toute petite minorité de catholiques traditionnalistes. Hormis eux, la droite n’est pas contre l’IVG pour la bonne raison qu’elle ne veut plus en entendre parler. Sachant que, s’il y a un débat sur ce sujet, il sera hystérique, cette hystérie profitant à la gauche, elle n’a aucune envie de s’y risquer et ainsi de perdre des plumes.  En outre, quand la gauche explique que l’extrême droite est contre l’IVG, elle ment.  Marine Le Pen l’a publiquement précisé. Elle n’a aucunement l’intention de remettre ce droit en cause. Aussi, ne croyons pas que ce qui se passe relève de la défense du droit à l’IVG face à sa remise en cause par la droite.  Le problème est bien plus profond.

Pendant longtemps, la gauche a eu comme projet de faire la révolution afin de supprimer le capitalisme et de le remplacer par le communisme. Lorsque le mur de Berlin est tombé et que l’existence du Goulag en Russie et du génocide au Cambodge a été révélée, ne pouvant plus croire en la révolution, la gauche s’est posée la question que Lénine s’était posée : que faire ? Elle a trouvé la réponse en passant, comme Camus, à la fin de L’homme révolté, de la révolution à la révolte. Concrètement, cela veut dire  être dans une révolte continuelle à défaut de faire la révolution.  

Quand on est un révolutionnaire, on croit qu’il est possible de surmonter le mal. Pour l’instant, le monde souffre à cause du capitalisme, mais quand le communisme triomphera, il cessera de souffrir et le mal sera définitivement terrassé. Quand on est un révolté,  on ne pense pas qu’il sera possible de surmonter le mal. Au contraire. Surtout, arrêtons d’avoir une telle pensée. On va cesser d’agir. Camus l’a écrit dans Le mythe de Sisyphe : pour agir, il faut être désespéré. Sinon, croyant que les choses vont s’arranger, on n’agit pas. Ce qui vaut pour l’action, vaut pour la révolution. Si on veut pouvoir changer le monde, il faut se révolter sans arrêt en pensant que rien n’est jamais acquis. Ainsi, aux Etats-Unis, la ségrégation a été abolie. Ne pensons pas pour autant que le racisme n’existe plus. Il existe toujours. La France a décolonisé. Ne pensons pas qu’elle n’est plus colonialiste. Elle l’est encore. Les femmes ont obtenu l’IVG. Ne pensons pas que celle-ci est acquise. Il faut continuer de lutter comme lors des premières luttes.

Aussi faut il regarder les choses en face. La gauche a fait  rentrer notre monde dans la révolution permanente à travers une révolte permanente entretenant une colère permanente à propos de toutes les questions sociales. Dans cette logique, elle n’attend qu’une chose : que la droite se mette à parler d’avortement en émettant des objections. L’IVG étant synonyme de liberté pour les femmes, si la droite commet cette erreur, la gauche n’aura pas de mal à dénoncer en hurlant une atteinte à la liberté des femmes et à leur droit à l’existence. En revanche, si la droite se limite à simplement poser la question de la pertinence de la constitutionnalisation de ce droit, elle pourra rentrer dans le débat sans se faire laminer, qui plus est en apportant des éléments de réflexion utile. 

Dans quelle mesure la "panique morale" exprimée par tout ou partie de la gauche parvient-elle à dissimuler ce piège ? Suffit-elle à le rendre plus pernicieux ? Faut-il craindre, à l’avenir, que la gauche parvienne à discréditer toute voix conservatrice, notamment sur la GPA, la fin de vie ou l’éducation, en l’assimilant par association d’idée à une position par essence totalement rétrograde ou réactionnaire et par voie de conséquence à une dangereuse remise en cause du droit des individus ?

La gauche hait la droite parce qu’elle a besoin de cette haine pour exister. Aussi ne faut il pas rêver. Tout ce qu’elle pourra faire pour la discréditer dans tous les domaines, elle le fera. Cette haine s’inscrit dans les fondements mêmes de son idéologie.

Face à la violence, il existe deux positions possibles. La première consiste à penser que toute violence est mauvaise    en rappelant que l’homme n’est pas fait pour haïr l’homme et lui faire du mal, mais pour arrêter la haine et le mal. La seconde consiste à penser qu’il peut exister une bonne violence.  Le monde se divisant en dominants et dominés, si la violence des dominants est toujours mauvaise parce qu’elle opprime, celle des dominés est toujours bonne parce qu’elle libère.  Lorsque la gauche était révolutionnaire, la violence qui servait la révolution était bonne, l’opposition à cette violence étant mauvaise. Cette bonne violence s’inscrivait  alors dans la notion de lutte des classes avec comme objectif la dictature du prolétariat considérée comme bonne dictature. Aujourd’hui, dans le temps de révolte permanente  qui est le nôtre, la violence ne s’inscrit plus dans la lutte des classes avec comme but la dictature du prolétariat. Toutefois, si ces sens donnés à la violence  ont disparu, la violence, elle, est toujours très présente.

Ainsi, pour la gauche, l’oppresseur n’est plus le capitalisme. Il se trouve dans tout ce qui s’oppose aux minorités et à leurs luttes. Il se trouve notamment  dans l’opposition à l’IVG ou plutôt dans l’opposition à sa constitutionnalisation. Dans ce contexte, quand des hommes politiques de droite ou du centre vont expliquer,  comme Gérard Larcher, ne pas voir la nécessité ni l’urgence d’inscrire l’IVG dans la constitution, la réaction va être immédiate. Qui s’oppose à l’entrée du droit à l’avortement dans la constitution est contre sans oser le dire. Non seulement il est de droite, mais il est d’extrême droite.

Lors d’une intervention à l’assemblée, c’est ce qu’a souligné Sandrine Rousseau, dépurée LFI. «  Si vous n’êtes pas contre l’IVG, prouvez le  en étant pour que son droit soit gravé dans le marbre ».

La virulence de la gauche  fait craindre pour la liberté ? Que l’on se rassure. Être un révolté permanent  taxant d’extrême droite tous ceux  qui ne pensent pas pareil, est devenu tellement systématique que la meilleure façon d’y faire face est de ne pas  s’en émouvoir afin de revenir concrètement avec un vrai travail de la pensée sur des questions aussi cruciales que la GPA, la fin de vie ou bien encore l’éducation. Nous avons besoin de savoir ce que veulent dire la mort, l’enfant ou bien encore l’éducation. Au lieu d’être dans l’invective s’écoutant faire de la politique, en travaillant sur ces sujets, recentrant les esprits dans l’esprit on rendra service à tout, le monde.

Peut-on vraiment penser, de bonne foi, que le droit à l’avortement est menacé en France ? Particulièrement quand l’on sait que le nombre d’IVG est en augmentation constante sur le temps long et que la proportion d’avortements par rapport aux naissances est tendanciellement à la hausse ?

À propos de l’IVG et de la constitution, on a oublié ce qui a provoqué cette question. Il s’agit de l’Amérique et de la Pologne ainsi que  de l’avenir.

Aux États- Unis en 2022, la Cour Suprême a abrogé le droit à l’avortement. En 2023, le Texas a interdit tout avortement y compris en cas d’inceste. En Pologne, la législation à propos de l’avortement est tellement restrictive que celle-ci devient impossible. Face à ces interdictions et ces restrictions, la gauche a pensé qu’il faut réagir et ne pas attendre qu’il soit trop tard. En constitutionnalisant  l’IVG,  la France ne connaîtra pas ce qui est arrivé aux États-Unis et ce qui se passe en Pologne. Par ailleurs, il faut aussi penser à l’avenir. Pour l’heure, l’IVG n’est pas remise en cause en France, mais qui sait ? Dans l’avenir, elle pourra l’être. Aussi convient il de prendre les devants.  

Toute cette agitation à propos de la constitutionnalisation de l’IVG révèle beaucoup d’incohérence. On ne peut pas admettre que l’IVG n’est pas remise en cause actuellement en France et en même temps faire comme si elle l’était.  Or, c’est bien ce qui se passe.

La gauche est en train de tout confondre. À défaut de pouvoir faire la révolution, son appétit de luttes pour défendre de grandes causes la pousse à pratiquer une confusion générale en mettant tout dans le même sac, la France, les États Unis, la Pologne, aujourd’hui, l’avenir. Vieille pratique, la gauche ayant l’art de rejouer en les mélangeant toutes les scènes fondatrices de son histoire : la Révolution Française, les Lumières, le Front Populaire et la loi Veil. Pratique dangereuse. Depuis 1975, date à laquelle la loi Veil autorisant l’avortement a été promulguée, la France ne connaît plus de conflits à propos de questions come l’avortement. En provoquant un débat à propos de sa constitutionnalisation, mettant le feu aux poudres, la gauche risque fort de provoquer le contraire du résultat attendu. Agacés par la vaine polémique et afin d’y mettre fin,  certains risquent fort de s’opposer à l’IVG alors qu’au départ tel n’était pas leur cas. Quand on veut trop bien faire, le trop empêche que l’on fasse bien.

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