Derrière la grève des contrôleurs SNCF, une chaude fin d’hiver social ?<!-- --> | Atlantico.fr
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SUD-Rail et la CGT ont décidé de maintenir l’appel à la grève des contrôleurs de la SNCF pour le week-end du 16 février.
SUD-Rail et la CGT ont décidé de maintenir l’appel à la grève des contrôleurs de la SNCF pour le week-end du 16 février.
©Philippe LOPEZ / AFP

Mouvement social

Alors que la direction de la SNCF ne semble pas parvenir à empêcher une grève en pleins congés scolaires et que les agriculteurs sont à nouveau reçus par Gabriel Attal, qui pourrait leur emboîter le pas ?

Jean-François Amadieu

Jean-François Amadieu

Jean-François Amadieu est sociologue, spécialiste des déterminants physiques de la sélection sociale. Directeur de l'Observatoire de la Discrimination, il est l'auteur de Le Poids des apparences. Beauté, amour et gloire (Odile Jacob, 2002), DRH le livre noir, (éditions du Seuil, janvier 2013) et Odile Jacob, La société du paraitre -les beaux, le jeunes et les autres (septembre 2016, Odile Jacob).

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Alain Bonnafous

Alain Bonnafous

Alain Bonnafous est Professeur honoraire à l’Université de Lyon et chercheur au Laboratoire d’Economie des Transports dont il a été le premier directeur. Auteur de nombreuses publications, il a été lauréat du « Jules Dupuit Award » de la World Conference on Transport Research (Lisbonne 2010, décerné tous les trois ans).

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Atlantico : SUD-Rail et la CGT ont décidé de maintenir l’appel à la grève des contrôleurs de la SNCF pour le week-end du 16 février, en pleines vacances scolaires notamment en région parisienne. Le mouvement social sera-t-il très suivi à la SNCF ? Faut-il s’attendre à un mouvement social important au regard du passif entre la SNCF et le gouvernement Macron ? Est-ce qu’après les annonces en faveur des agriculteurs, le gouvernement va-t-il céder pour la SNCF et répondre aux attentes des syndicats avec de nouvelles mesures et des aides financières ? 

Jean-François Amadieu : Dorénavant, et c’est un peu inquiétant, les organisations syndicales, notamment SUD-Rail, n'hésitent pas à soutenir des grèves ou à accepter que des grèves puissent avoir lieu lors de la période des départs en vacances. Il faut espérer que ce soit résolu avant le début de la grève même si il est bien tard pour le faire. Il faut souligner que si les grévistes doivent se déclarer 48h avant, ils peuvent aussi changer d'avis d'autant que la période de préavis est aussi une période de négociation et devrait l'être complètement. Cette tension et ce bras de fer traduisent une certaine dégradation des relations sociales, le fait qu'il puisse y avoir des conflits et des mouvements sociaux lors des vacances. Le franchissement de la ligne jaune est d'autant plus fréquent depuis quelques années que c'est parfois des collectifs non syndiqués qui lancent les mouvements (contrôleurs ASCT à la SNCF)

Le gouvernement pourrait ne pas réagir de la même manière avec la SNCF que par rapport à la colère et à la mobilisation des agriculteurs. Ce qui se passe du côté des agriculteurs était un schéma classique du mouvement des agriculteurs. Cette tension a été souvent présente à l'approche évidemment du Salon de l'agriculture.

La mobilisation des agriculteurs correspondait à un schéma plus classique. L’exécutif a tenté de trouver un accord avec la FNSEA et les autres organisations syndicales. Le fait d’avoir cédé va entraîner un coût financier. Ce coût est un peu plus attendu que dans le domaine social car dans le domaine social, depuis quelques années, les organisations syndicales ont plus de mal à obtenir des résultats par les grèves. Les réformes passent, que ce soit les réformes sur les retraites, la simplification du code du travail, la loi travail, mais également même des réformes de la SNCF par exemple.Les conflits à la RATP n'ont plus par exemple les mêmes effets. Donc l'efficacité du conflit a diminué.

Cela a changé à la SNCF et à la RATP par rapport à il y a quelques années. Maintenant, il y a l'approche des Jeux Olympiques. Cela change la donne. Car effectivement, il faut s'attendre à ce qu'il y ait des menaces de grève et de mouvement social, d'ailleurs elles existent déjà à la RATP, donc il y a toujours un risque de mobilisation à l'approche des JO de Paris. A l'approche des grandes échéances sportives, les menaces de grèves sont classiques comme en 1998 ou 2016 en France.  Le gouvernement, face à la menace de mouvement social à cette époque cruciale des JO, pourrait céder et répondre aux exigences formulées lors de ces mouvements sociaux. Au ministère de l'Intérieur, les primes ont déjà été annoncées par avance. De leur côté les syndicats n’ont pas forcément envie que les jeux soient perturbés, la menace n'est généralement pas faite pour être mise en oeuvre !

Alain Bonnafous : Les mouvements sociaux à la SNCF doivent toujours être appréciés à la lumière de la situation syndicale et de son évolution. Résumé à grands traits, les deux dernières décennies ont été marquées par une lente régression des syndicats dits « radicaux », la CGT et Sud-Rail qui ont conservé de peu la majorité aux élections professionnelles de 2022 avec un peu plus de 51 % des voix. En 2004, les deux formations pesaient plus de 59 %. Dans le même temps, les deux autres syndicats représentatifs, l’UNSA et la CFDT (dits « progressistes ») passaient de 21,6 % à 38 %.

L’enjeu de ces évolutions est bien connu : il s’agit du contrôle du comité d’entreprise qui s'appelle depuis 2016 le CCGPF (Comité Central du Groupe Public Ferroviaire). L’entité gère un budget qui s’approche des 100 millions d’euros et emploie un millier de salariés. On peut imaginer ce que cela peut peser dans la puissance d’un syndicat.

On ne peut pas comprendre les mouvements de grève à la SNCF si l’on fait abstraction de cette obsession stratégique des syndicats radicaux. Elle se double d’une autre obsession propre à la CGT : dans les évolutions que j’évoque entre 2004 et 2022, la CGT a perdu près de 12 % des voix mais Sud a gagné 3 % au point de représenter aujourd’hui plus de la moitié des voix de la CGT. Pour cette dernière, Sud-Rail est un « allié objectif », mais aussi un redoutable concurrent.
C’est dans un tel contexte, qui existait déjà dans les années 90, qu’un proche de Bernard Thibault, alors patron de la CGT cheminots m’expliquait que deux stratégies étaient envisageables pour contenir les surenchères « gauchistes » de Sud Rail. Il est clair que lorsque Bernard Thibault a quitté la SNCF pour assurer le secrétariat général de la CGT en 99 ses remplaçants successifs ont choisi l’une des deux : « plus radical que moi tu meurs ! ».

Il en résulte que chaque fois que le rapport de force avec l’employeur ou avec l’Etat semble favorable, la play station de la grève est mise en œuvre. Le contexte de la jacquerie paysanne et des réponses du gouvernement a pu favoriser les choses. Il peut inciter les cheminots à essayer de récupérer quelques miettes, compte tenu du coût social que représente une grève en pleine période de vacances.

Je pense que les choses vont se jouer entre Jean-Pierre Farandou, un président de la SNCF qui en connait bien les rouages et les sensibilités, et les cheminots. Le suivi du mouvement dans les jours qui viennent va beaucoup compter.

Je vois mal le gouvernement mettre une couche de « quoi qu’il en coûte » pour la SNCF : si l’on fait la somme de toutes les aides publiques dont bénéficie notre système ferroviaire, les 20 milliards d’euros ont été dépassés en 2023. Rapporté à la population, il s’agit de l’effort financier le plus important de l’Union européenne. Il est plus du double de ce qu’il est au Royaume-Uni où les parts de marché du ferroviaire ont pourtant rattrapé celles de la France et où le réseau a été complètement remis à neuf dans les 20 dernières années.
Du point de vue des finances publiques, la SNCF est un très mauvais élève pour lequel des dépenses supplémentaires sont proprement injustifiables.

Après la SNCF et les agriculteurs, qui pourrait se mobiliser et participer à d’autres mouvements sociaux dans les semaines et les mois à venir en France ? (la RATP a notamment menacé de faire grève…) D’autres secteurs, corps de métiers ou entreprises sont-ils sur le point de basculer dans une mobilisation sociale ?

Jean-François Amadieu : Traditionnellement, avec l'approche d'événements sportifs de ce type, tout le secteur des transports est menacé. La CGT a déjà déposé un préavis de grève à la RATP qui couvre tout l'été 2024 jusqu'en septembre. Il pourrait y avoir une mobilisation dans l'aérien, du côté des contrôleurs dans certains aéroports. Des mouvements sociaux peuvent intervenir dans la fonction publique, mais pas forcément liés au jeu, mais à cause de la conjoncture du moment. Une mobilisation pourrait concerner l'Education nationale, même si la nouvelle ministre Nicole Belloubet a été nommée pour remplacer Amélie Oudéa-Castéra. Les récentes mobilisations au sein de l’Education nationale étaient assez suivies. 

D’autres mouvements sociaux ou de contestation pourraient intervenir. Par exemple en Bretagne avec les travailleurs indépendants sur la question des carburants. 

Alain Bonnafous : Partout où le rapport de force est structurellement en faveur des grévistes, le risque de mouvement social est permanent. C’est évidemment le cas à la RATP où la perspective des jeux olympiques laisse entrevoir toutes sortes de scénarios.

On aurait pu craindre le pire pour la période des jeux du côté du contrôle aérien mais un accord a été signé entre la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) et le principal syndicat de contrôleurs aériens : le SNCTA s'est en effet engagé en septembre dernier à ne pas appeler à la grève d'ici à septembre 2024. Le principe de cette « trêve olympique » aurait pu toucher d’autres secteurs.
A défaut, on peut imaginer des épisodes qui pourraient bien inspirer le législateur, qu’il s’agisse d’une limitation du droit de grève lors des grandes migrations liées aux vacances ou lors d’évènements majeurs tels les jeux olympiques ou des mondiaux.

Au regard de la campagne des élections européennes, faut-il s’attendre à une fin d’hiver et à un printemps social très mouvementé ? Le gouvernement aura-t-il les moyens de négocier et de peser dans le dialogue avec les syndicats ?

Jean-François Amadieu : Les élections européennes et la potentielle recrudescence de mobilisations sociales à l’approche des JO interroge sur la possibilité que la fin de l'hiver ou que le printemps puisse être plus “chaud” sur le plan social ou des grèves. Mais en dehors des Jeux olympiques, le contexte devrait être moins tendu. Les élections européennes ne devraient pas avoir d’effets. Traditionnellement, ce scrutin n'a pas généré une vague de conflits. Le gouvernement n’a pas dévoilé le calendrier de grandes lois ou de réformes majeures. Si des mesures sont prises sur la question de l'indemnisation du chômage ou des mesures réglementaires limitées  ce n'est pas cela qui déclenchera de grands mouvements sociaux. Il n'y a pas une réforme aussi importante comme celle des retraites qui est prévue pour les semaines où les mois à venir. A priori, il n'y a pas de grands chantiers qui pourraient, si on parle des salariés, être mobilisateurs dans les temps qui viennent. Il n’y a pas vraiment de raisons que ce soit particulièrement tendu à la fin de l'hiver. Le vrai facteur de tensions et de mouvements sociaux est l'approche des Jeux olympiques de Paris 2024.

Mais un mouvement social peut également se déclencher de manière soudaine et spontanée en France comme ce fut le cas avec les Gilets jaunes ou les agriculteurs. Les motifs de ces crises étaient en partie liés aux prix des carburants et aux normes. Des facteurs déclenchants pourraient être à l’origine de nouvelles mobilisations et de mouvements sociaux. 

Un sujet reste d'actualité dans la fonction publique. C'est la question des rémunérations et des conditions de travail. La situation est telle que les trois fonctions publiques peinent à trouver des candidats. Il y a eu un coup de pouce récent avec un dégel du point d'indice pour les fonctionnaires accompagné de primes pour les bas salaires. Mais la perte de revenus depuis 40 ans reste très importante par exemple dans l'enseignement (du primaire au supérieur). il y a un terreau propice à une nouvelle mobilisation et à des grèves dans le secteur public. Mais ces mouvements sociaux n'auront aucune ampleur si les syndicats ne mettent pas l'accent spécifiquement sur la question salariale, poursuivent la dispersion de leurs revendications (l'emploi, des thèmes sociétaux comme la loi immigration, etc.)   et se limitent à des journées nationales de grèves isolées et inefficaces.

Le chômage repart légèrement à la hausse mais l'inflation semble se réduire. Si l'inflation est moins importante, en termes de conflictualité, cela permet de faire baisser la pression. Les grèves sur la question des salaires, dans le privé ou dans le public, se produisent généralement en période de forte inflation.

Alain Bonnafous : Je peux évidemment me tromper, mais je ne crois guère à une mobilisation sociale généralisée à un moment où la croissance économique marque le pas et où le chômage s’est remis à augmenter. De surcroit, les périodes de campagnes électorales ne sont pas toujours favorables à des mouvements de grève, les forces dites de gauche craignant de favoriser des votes « réactionnaires ». Au demeurant, chacun est conscient que le gouvernement « est au taquet » s’agissant de nouvelles dépenses. On sait même dores et déjà que les objectifs officiels de réduction du déficit budgétaires ne seront pas atteints en 2024.

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