Derrière l’accident du bus de Venise, le danger sous-estimé des batteries au lithium<!-- --> | Atlantico.fr
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Les pompiers travaillent sur les lieux d'un accident de bus le 03 octobre 2023 à Mestre, près de Venise.
Les pompiers travaillent sur les lieux d'un accident de bus le 03 octobre 2023 à Mestre, près de Venise.
©MARCO SABADIN / AFP

Sécurité

Un bus qui transportait des touristes est tombé d'un pont et a pris feu à Venise. La présence de batteries au lithium dans le véhicule a posé des difficultés aux pompiers lors de leur intervention.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : Un accident de bus a fait au moins 21 morts et une vingtaine de blessés mardi soir à Venise. Le véhicule transportait des touristes quand il est tombé d'un pont et a pris feu. Selon le procureur général de Venise, Bruno Cherchi, l'incendie ne s'était pas déclaré avant la chute mais "une fuite de gaz provenant des batteries au lithium" du véhicule est suspectée. En quoi les batteries au lithium représentent-elles un danger sous-estimé  ?

Jean-Pierre Corniou : Il faut rappeler les faits de cette tragédie qui s’est déroulée le 3 octobre. Cet accident implique un autobus public récent, âgé de moins d’un an, assurant un service régulier, qui quittant la voie de circulation sur un pont s’est brutalement précipité dans le vide d’une hauteur de douze mètres dans des circonstances encore mal connues. Ce drame a frappé l’opinion internationale, car outres les traumatismes dus à la chute les occupants, des touristes de plusieurs nationalités rejoignant un camping, ont subi un incendie qui s’est déclaré après l’impact. Comme il s’agissait d’un bus hybride électrique/méthane, l’hypothèse d’un incendie lié aux batteries a été avancée. L’enquête est en cours et il est impossible de se prononcer sur les causes réelles de ce drame. Or, alors que la généralisation des véhicules électriques est programmée en Europe pour la prochaine décennie, la sécurité des véhicules électriques, tous dotés de batteries au lithium, fait naturellement l’objet de questionnements.

Des incendies, à la suite d’accidents ou dans des circonstances mal élucidées, ont déjà marqué la courte histoire contemporaine du véhicule électrique

La compréhension des risques spécifiques liés à la multiplication des piles au lithium a beaucoup progressé dans le monde en raison de la popularité croissante de ces piles dont les performances surclassent toutes les solutions exploitées jusqu’alors. La technologie Li-ion a largement surclassé les autres systèmes de stockage électrochimique. Chaque année en France, ce sont 1 500 millions de piles et accumulateurs mis sur le marché avec une palette d’usage très large qui conduit à multiplier la forme de ces accessoires absolument indispensables à tous les appareils qui utilisent de l’électricité en situation de mobilité. 270 000 tonnes de batteries sont ainsi produites et diffusées sur le territoire. L’arrivée des véhicules électriques à batteries à lithium vient grossir avec des volumes conséquents ce stock jusqu’alors essentiellement composé de très petites unités utilisées dans les appareils portables de toutes natures. Or les accumulateurs industriels et les piles pour véhicules représentent des ensembles qui peuvent peser plusieurs centaines de kilos et sont soumis à des conditions d’exploitation qui peuvent présenter des risques pour l’intégrité des batteries et compromettre leurs conditions nominales de fonctionnement. Néanmoins si le risque s’accroît en fonction de l’augmentation considérable de l’utilisation des batteries, les progrès dans leur conception et leur fabrication, de même que la formation des professionnels permet de contenir les risques de dysfonctionnements.

Alors que les nouvelles normes et les efforts menés dans le cadre de la transition énergétique incitent à démocratiser les véhicules électriques et le remplacement des moteurs thermiques, ce risque posé par les batteries au lithium a-t-il été suffisamment anticipé par les industriels du secteur et par les dirigeants politiques ?

De nombreux travaux scientifiques et techniques ont été consacrés à la dangerosité des batteries au lithium. Les premiers travaux ont été publiés en 2013 sous l’égide de l’INERIS (Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques). On peut citer récemment le document issu des travaux de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), qui en novembre 2022, a rassemblé les éléments de diagnostic sur les batteries au lithium nécessaires à la prévention des risques inhérents à ce métal, connu pour être instable et très réactif, et qui s’oxyde facilement au contact de l’air et de l’eau. Il a été recensé en France, depuis 2000, 36 incidents graves en milieu industriel impliquant des batteries et accumulateurs au lithium. Des incendies de téléphones portables, de cigarettes électroniques, de véhicules ont été recensés en dehors de l’environnement professionnel.  Des incendies sur des sites de recyclage ont été aussi recensés. Il s’agit donc d’un risque connu, analysé et suivi. L’INERIS a ainsi publié depuis 2010 un grand nombre d’études et de recommandations, faisant l’objet de coopérations internationales.

L’incident le plus grave est lié à l’élévation de température anormale sur une cellule qui se transmet à l’ensemble d’un module, voire à la batterie toute entière,  provoquant un emballement thermique qui peut échapper au contrôle des systèmes de surveillance de la batterie (Battery Management System ou BMS) et conduire à l’embrasement du véhicule. Cet emballement thermique dégage d’importantes fumées toxiques et peut donner lieu à des projections de matériaux enflammés, dites « effet missile ». Le refroidissement accéléré, avec projection d’eau sous pression, est la seule technique permettant de contenir ces formes d’incendie. D’autres incidents peuvent survenir, comme des émissions de fumée. 

C’est toutefois une situation extrêmement rare et la Norvège, pays qui a la plus de véhicules électriques en circulation en Europe, ne fait pas état d’une situation anormale en matière d’incendies de véhicules.  Des données identiques ont été publiées en Suède. En Chine, les chiffres de 2022 montrent qu'avec 8.915 millions de véhicules électriques, le taux d'incidents d'incendie était de 0.007 %, continuant d'être inférieur à celui des véhicules à essence. Dans tous ces pays, les incendies de véhicules électriques font l’objet d’une surmédiatisation qui renforce artificiellement l’ampleur réelle du phénomène. Par ailleurs, aucun incendie en France ne s’est traduit par des pertes humaines.

Les constructeurs de véhicules équipés de batteries au lithium pourraient-ils améliorer les conditions de sécurité ? La sûreté des batteries peut-elle être renforcée ?

C’est en effet un problème sérieux qui est pris en charge par l’ensemble des acteurs de l’écosystème. Compte tenu des enjeux économiques, la crédibilité de la filière est primordiale. Fabricants de batteries, constructeurs, assureurs et organismes de contrôle multiplient les tests à la fois pour identifier les conditions dans lesquelles les batteries peuvent sortir de leur état nominal de fonctionnement, mettre au point des protocoles d’extinction des incendies, développer des mesures de prévention et faire évoluer, si nécessaire, la législation. Ainsi toutes les situations de risques potentiels sont examinées (choc, températures extérieures excessives ou grand froid, vibrations, état de charge, humidité, poussières…) et font l’objet d’analyses partagées pour renforcer la sécurité de cet équipement devenu essentiel dans la lutte pour la décarbonation et dont des millions de véhicules vont être dotés dans la prochaine décennie. C’est un défi industriel majeur qui implique une sécurité maximale de de toute la chaîne de production et de maintenance. Il faut rappeler que sur le seul marché français en 2023 une voiture sur quatre est désormais électrique ou hybride rechargeable.

Face au potentiel des marchés du stockage d’électricité, indispensables à la fois pour la mobilité que comme auxiliaire des équipement de production d’électricité renouvelable, le secteur fait l’objet d’investissements considérables en recherche-développement, en industrialisation et en amélioration des conditions opérationnelles notamment grâce à. La montée en expertise de la filière des batteries est ainsi très rapide. Les recherches sur la conception physique des batteries, la composition chimique de l’anode et de la cathode, la maîtrise des températures, l’amélioration des logiciels (BMS) et des capteurs conduisent rapidement à une amélioration de l’efficacité des batteries et de la sûreté de fonctionnement.

Les automobilistes, les pompiers et les secouristes sont-ils suffisamment formés face à ce risque posé par les batteries au lithium ?

Ce travail des organismes spécialisés a permis de faire considérablement avancer les techniques de prévention, en premier lieu, puis d’intervention en cas de sinistre. Jusqu’alors, le faible nombre de véhicules électriques ne justifiait pas une mobilisation des acteurs. Mais depuis 2021, en Union européenne, l’augmentation des ventes a conduit à un changement d’échelle qui implique le durcissement des mesures de prévention et de formation des acteurs. Les compagnies d’assurance ont engagé des campagnes de sensibilisation au bon usage des appareils ou véhicules utilisant des batteries au lithium. En effet, en dehors des voitures, l’usage des batteries se généralise dans le milieu domestique, tout l’outillage portatif, les aspirateurs, tondeuses, appareils électroménagers, appareils électroniques, vélos à assistance électrique, trottinettes utilisant une batterie lithium… Ces appareils impliquent une vigilance dans les conditions de stockage (entre 10° et 30°) et de recharge, sur des supports non inflammables, et une observation pour détecter des élévations anormales de température, des déformations des compartiments contenant les batteries et éviter les chocs ; les assureurs encouragent les particuliers de se doter de couvertures spéciales pour étouffer les débuts d’incendie. Enfin, les sapeurs-pompiers ont mis au point des protocoles spécifiques d’intervention sur les véhicules électriques, notamment pour protéger le personnel engagé et assurer une extinction définitive de l’incendie, car il peut se prolonger pendant plusieurs heures même en absence de flammes visibles.

Les batteries Li-ion sont également utilisées comme dispositifs de stockage stationnaire d’électricité, par exemple en aval de panneaux photovoltaïques. Les mêmes soucis de prévention et les techniques d’intervention spécifiques ont été mises au point pour ces usages qui se développent.

On peut considérer qu’en dix ans les risques inhérents à l’usage de plus en plus courant des batteries Li-ion a fait l’objet des travaux de recherche et de la mise au point de protocoles de prévention et d’intervention appropriés ; il reste que l’augmentation des volumes de véhicules électriques multipliera les sinistres. Il faut donc, sans alarmisme, continuer à étendre l’information sur la dangerosité de cette technologie nouvelle afin d'en contenir les risques.

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