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Défections et attentats suffiront-ils à faire chuter le régime de Bashar el-Assad ?
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Enlisement

Malgré un été agité en Syrie pour le régime de Bachar el-Assad, les opposants n'ont pas réussi à pousser leur avantage au point de faire basculer la situation. Au contraire, le pays pourrait s'enfoncer dans une guerre civile très longue.

Pierre Berthelot

Pierre Berthelot

Pierre Berthelot est chercheur associé à l' IPSE et directeur de la revue Orients Stratégiques. 

 

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Pour un certain nombre d’analystes, cet été 2012 aurait constitué un tournant pour le “ régime de Bashar el-Assad”, terme sur lequel nous reviendrons. En effet, deux défections symboliques, à défaut d’être aussi importantes qu’annoncées, ont eut lieu. La première, est celle de Manaf Tlass (fils de l’omnipotent ministre de la défense de Hafez el-Assad, longtemps proche du clan au pouvoir), général de la garde républicaine, troupe d’élite du régime. La seconde est celle de l’éphémère chef du gouvernement, Ryad Hidjab, début août alors qu’il avait été nommé juste deux mois auparavant, sunnite également. Dans les deux cas (auxquels s’ajoutent celui d’autres personnalités de moindre envergure, militaires ou diplomates[1]) c’est une première à laquelle nous assistons, puisqu’aucun officier commandant ou ayant eu un commandement haut placé (ce qui était le cas de Manaf Tlass qui avait perdu son poste il y a peu) n’avait jusqu’ici lâché Bashar el-Assad et qu’aucun ministre ou chef de gouvernement n’avait encore appelé à la chute du pouvoir baathiste. Plusieurs remarques s’imposent cependant à l’issue de ces deux évènements récents. 

D’abord, ces défections soulignent paradoxalement la relative solidité de Bashar el- Assad, ou à tout le moins une certaine forme de résilience (phénomène qui a souvent caractérisé le système baathiste au cours des dernières décennies), puisqu’après près d’un an et demi de révolte (et de fortes pressions extérieures), il peut encore se prévaloir du soutien (affiché, tacite ou contraint) de la grande majorité des élites et de l’oligarchie politico-militaire gouvernant le pays et dans une moindre mesure de celle issue du monde économique (bien que les deux se confondent parfois). Il existe certes un nombre non négligeable de généraux ou d’hommes politiques qui ont rejoint l’opposition politique et/ ou armée, mais ce sont des personnages sans grande envergure et influence, inconnus de la majorité des Syriens (même si cela peut affecter le moral de l’armée et du parti Baath), si bien que l’on est  encore très loin des départs à répétition et de premier plan observés en 2011 autour de Kadhafi ou du président Saleh au Yémen, autrement plus décisifs.

Ensuite, les deux récentes défections évoquées ne sont pas véritablement une première, puisque des figures majeures ont, avant la révolte lancée en mars 2011, rejoint les rangs des opposants au pouvoir damascène, de façon désunie il est vrai. Il s’agit en particulier des anciens vice-présidents Rifaat el-Assad, alaouite comme son neveu dont il avait juré la chute et ancien homme fort de l’appareil sécuritaire, et d’Abdel Halim Khaddam, sunnite qui n’a jamais eu de commandement militaire et qui assura le court intérim après la mort de Hafez el-Assad en faisant valoir sans succès ses droits à la magistrature suprême.

Or, cela n’a en rien fragilisé Bashar el-Assad peu après son accession à la présidence, tant le système en place est resté uni derrière lui et que ces personnalités étaient honnies par la population. Cela lui a même été au départ favorable car il se démarquait d’une part de son oncle présenté comme le “boucher de Hama”, et d’autre part marginalisait les Frères musulmans, qui s’étaient allié de façon très opportuniste et maladroite à l’ancien dirigeant baathiste. Or, il apparaît que Manaf Tlass et l’ancien premier ministre syrien sont tout aussi dépourvus d’influence et de crédibilité que leurs prédécesseurs, puisque dans la  mesure où ils entretiennent des liens privilégiés avec les pétromonarchies, ils font figure de marionnettes entre les mains de ces derniers et de leurs alliés américains, à l’image de la majorité de l’opposition dont la faiblesse majeure réside avant tout dans le morcellement et l’incapacité à trouver un vrai chef, facteur qui avait longtemps favorisé Saddam Hussein, alors qu’en Egypte, puis plus récemment en Libye, des alternatives crédibles ont pu surgir et accélérer la chute des régimes autoritaires en place.

En Syrie, une vraie menace proviendrait plutôt du revirement d’un officier commandant un important corps d’élite (c’est ce qui avait contribué aux départs de Ben Ali puis à celle de Saleh au Yémen), mais cela semble pour le moment improbable, car ceux qui dirigent ces forces prétoriennes font partie d’un système, à dominante alaouite, qui considère qu’il sera broyé et éliminé tant physiquement que politiquement s’il cède la moindre parcelle de pouvoir. De plus, et comme  l’a précisé un très bon connaisseur de la région et de ce pays qui occupa d’importantes fonctions au sein des services de renseignement français, Alain Chouet, remplacer Bashar el-Assad ne règlera pas le fond du problème, à moins que l’on offre des garanties à ce système et à la communauté alaouite, dans le cadre d’un partage d’influences dans la Syrie de demain, ce qui devra inclure aussi de nombreux éléments de l’armée, pour le moment majoritairement du côté du pouvoir, y compris au niveau de sa composante sunnite, sans quoi elle se serait déjà effondrée.     

En ce qui concerne maintenant les attentats de plus en plus nombreux  et en particulier celui du 18 juillet, qui a éliminé une partie des dirigeants de l’appareil sécuritaire et coercitif (bien qu’il soit difficile d’évaluer quel était leur poids réel au sein de ce dernier) et qui est à ce jour le plus important et le plus spectaculaire qu’ait connu la Syrie au cours de son histoire récente, il convient de rester prudent, ce qui n’est pas le cas d’une majorité de “ spécialistes” qui pensaient alors acquise et imminente la chute du régime. En effet, et au delà du débat sur la nature des exécutants (ASL, Al-Qaïda, Occidentaux et alliés régionaux, voire le régime lui même ), cette déflagration, au sens politique et militaire du terme traduit tout autant la force que la faiblesse des opposants, puisque lorsque l’on compte sur des attentats pour ébranler un régime ou un système, c’est que l’on a pas forcément réussi à d'atteindre à la base, dans ses soutiens profonds (même si cela traduit une capacité remarquable à l'infiltrer et à le frapper au plus haut niveau) et on rappellera que l’histoire de la région comporte autant d’attentats de personnalités de premier plan qui ont réussi ou échoué à modifier les rapports de force. Seule une élimination conjointe et concomitante de Bashar el-Assad lui même et de son frère Maher (présenté à tort ou à raison comme le véritable chef du système sécuritaire et répressif), hypothèse qui semble peu probable, pourrait réellement accélérer d'affaiblissement du régime de façon décisive, et encore, ce n’est pas totalement acquis comme nous l’avons précisé précédemment. Les opposants n’ont donc pas su et probablement pas pu pousser leur avantage, alors qu’ils paraissaient en mesure de faire basculer la situation au cours de cet été 2012. De plus en plus marqués par la radicalisation de type djihadiste et salafiste (faisant ainsi le jeu du pouvoir), leur échec le plus patent aura été leur incapacité à contrôler ne serait-ce qu’un quartier de Damas et de sa périphérie, malgré l’offensive sans précédent lancée au cours du mois de juillet, dans la foulée de l’attentat évoqué plus haut.    

Il semble que comme l’a souligné Patrick Seale, grand spécialiste de la Syrie, l’on s’oriente plutôt vers la destruction du pays, dans le cadre d’une guerre civile violente, sans véritable vainqueur, qui pourrait durer (comme l’illustre l’interminable bataille d’Alep), hypothèse qui a été parfois voulue et encouragée des deux côtés, le pouvoir se portant garant de la stabilité face à l’anarchie rampante, et l’opposition estimant qu’il n’y a pas d’autre solution que d’harceler le régime afin de l’asphyxier économiquement sachant qu’il lui sera difficile de tenir longtemps de façon isolée sans d’abondantes ressources naturelles comme l’avait fait Saddam Hussein et Kadhafi, tout en l’obligeant à se positionner comme une force de répression et non de protection  de la population. Que ceux qui prétendent vouloir trouver une solution à cette crise syrienne (qui vient s’ajouter aux nombreuses autres dossiers brulant qui déstabilisent le monde arabe), cessent tout manichéisme et réfléchissent à sa complexité qui passe par une analyse prudente et objective des rapports de force très instables en présence (avec leurs ramifications régionales et internationales), la dimension morale et humanitaire ne pouvant constituer qu’un des paramètres de toute action de médiation et de stabilisation et non la principale voire la seule.


[1] Dont celle de l’ambassadeur de Syrie en Irak, courant juillet, également de confession sunnite, le premier de ce rang à avoir rompu avec les baathistes.

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