Dédiabolisée et mesurée… le méchant petit problème Marine Le Pen qu’a désormais le monde politique...<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen
Marine Le Pen
©Reuters

Une épine dans le pied

A peine quelques heures après les attentats de Paris, les réactions au sein de la classe politique ont très vite fusé, n'excluant pas les dérapages, comme celui de Philippe de Villiers, qui accuse "la mosquéisation de la France", ou celui de Laurent Wauquiez, qui demande que les personnes fichées soient placées dans des centres d'internement anti-terroristes. A l'inverse, Marine Le Pen, dont on aurait pu craindre des dérapages et propos provocants, maintient un discours ferme, mais mesuré.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Sa réaction mesurée à l'inverse d'autres politiques ne peut-elle pas participer à une dédiabolisation ?

On a effectivement le sentiment que Marine Le Pen n’a pas cherché à occuper le devant de la scène. Elle n’a pas voulu surenchérir, contrairement à ce qu’elle avait fait en 2012 après les attentats de Toulouse et Montauban, lorsqu’elle avait déclaré : « combien de Mohamed Merah dans les bateaux, les avions, qui chaque jour arrivent en France remplis d’immigrés ? ».

Dans son communiqué du 14 novembre, Marine Le Pen s’est contentée de reprendre ses grandes propositions : clarification dans les objectifs de la diplomatie de la France (qui sont nos alliés, qui sont nos ennemis ?), interdiction en France des organisations islamistes, fermeture des frontières, réarmement du pays, déchéance de nationalité pour les bi-nationaux engagés dans des mouvements islamistes. Ces propositions ne sont pas toujours très claires (par exemple quelles sont les organisations islamistes qui doivent être dissoutes ?) et elles restent relativement modérées, mais elles tranchent avec le silence relatif des partis de gouvernement, qui sont aujourd’hui bien en peine de mettre des solutions claires sur la table.

En restant sur ses propositions, Marine Le Pen évite de tomber sous le coup d’une accusation infamante comme celle qui a été lancée par le porte-parole du Parti socialiste, Olivier Faure, qui a dénoncé les « charognards qui polémiquent toute honte bue ». En laissant ses proches monter au créneau, Marine Le Pen n’a manifestement pas voulu prendre un tel risque. Cela se comprend car elle mise sur sa posture de présidentiable. En outre, on est à quelques semaines des élections régionales, où le FN a des chances raisonnables de faire de bons scores, voire d’emporter une ou deux régions. Les attentats du 13 novembre parlent pour elle car ils viennent conforter ses analyses pessimistes sur la situation actuelle, ainsi que sa critique concernant l’incurie du gouvernement dans la lutte contre l’islamisme.

Elle campe en outre sur les mêmes positions que celles qu'elle défendait après les attentats du 11 janvier. Si en janvier elle avait scandalisé toute la classe politique, sont-elles reçues de la même manière aujourd'hui, sachant que d'autres politiques (comme Wauquiez et de Villiers) tiennent des propos presque pire,  et que certaines de ses affirmations peuvent être confirmée par la réalité ? Marine Le Pen gagne-t-elle en crédibilité aux yeux des Français ?

Pour l’instant, il est difficile de dire si Marine Le Pen gagne en crédibilité, d’autant que François Hollande peut aussi bénéficier d’un regain de popularité, comme c’est souvent le cas en cas de crise.

Ce qui est plus évident, c’est que Marine Le Pen bénéficie du bouleversement de la hiérarchie des menaces qui pèsent sur la société française. Avec les attaques du 13 novembre, le « danger FN » apparaît très relatif. C’est d’ailleurs tout le drame des partis qui ont fait du FN un épouvantail absolu, une incarnation du totalitarisme contemporain : l’islamisme vient brouiller les cartes car il montre que le principal danger pour la France provient justement de celui qui est pointé par le FN. C’est d’ailleurs ce paradoxe que n’ont pas manqué de pointer plusieurs responsables du FN dans les heures qui ont suivi les tueries, comme Louis Alliot qui apostrophe le premier ministre (« Monsieur Valls, vous voyez où est le danger ? le vrai ! ») et c’est manifestement cela qui a provoqué les réactions virulentes de socialistes comme Olivier Faure, furieux sans doute d’être pris en flagrant délit de contradiction. 

Il reste que, d’une certaine façon, les événements parlent pour Marine Le Pen. Elle n’a pas besoin d’en faire des tonnes. Elle est dans une position confortable car il lui suffit de rappeler qu’elle a des solutions et d’en donner les grandes lignes. Dans tous les cas, elle sera toujours plus claire que les autres partis, lesquels sont plongés dans des contradictions insolubles, à l’image du PS qui déclare vouloir combattre l’islamisme radical mais qui ne cesse de passer des contrats avec l’Arabie Saoudite. Autre illustration de ces contradictions : l’annonce par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve de la dissolution des mosquées radicales, ce qui implique que le gouvernement connaissait la situation de ces mosquées mais qu’il a laissé faire. Cela dit, les contradictions ne concernent pas que la France. Il faudra par exemple un jour que la Belgique explique pourquoi elle a laissé prospérer sur son sol, donc au cœur de l’Europe, un foyer d’islamistes radicaux.

Comment la classe politique va-t-elle faire pour gérer le FN s'il n'apparait plus aux yeux des Français comme "un monstre" ? Cela ne va-t-il pas se révéler être un problème pour le monde politique, qui jusqu'à présent trouvait toujours facilement comment "taper" sur le FN ?

Cette question n’est pas nouvelle. En réalité, elle a commencé de se poser à partir de 2010-2011, lorsque Marine Le Pen a succédé à son père. Les autres partis n’ont pas pris la mesure de ce changement. Ils ont cru que le passage du père à la fille n’allait provoquer aucune modification sur le fond. Des universitaires ont accrédité cette thèse en montrant que le discours du FN connaissait des continuités importantes. C’est vrai, mais cette conclusion sous-estime les évolutions qui peuvent se cacher derrière certaines continuités rhétoriques. Le FN a changé parce que le contexte a changé, notamment depuis le Printemps arabe et la montée de l’islamisme, mais aussi parce qu’il y a eu un renouvellement générationnel et sociologique des militants et des électeurs du FN. Le peuple frontiste n’est plus exactement celui des années 1980-1990, dont l’univers idéologique était structuré par la Collaboration et la guerre d’Algérie, et qui était dominé par les métiers de l’artisanat et du commerce. Aujourd’hui, le FN recrute dans les milieux populaires et ruraux, dans la France des laissés pour compte de la mondialisation. Il attire les juifs, les homosexuels et les femmes, c’est-à-dire les groupes qui se sentent devenir une cible de l’islamisme. Par ailleurs, même dans son discours, le FN a changé puisqu’il mentionne la République et la laïcité, thèmes qui ont quasiment disparu du discours des autres partis. Dans ces conditions, les critiques sur le thème « le FN n’a pas changé » ou « le FN est toujours d’extrême droite », même si elles peuvent se justifier par certains côtés, tombent à plat. Elles risquent même d’avoir un effet contre-productif sur les électeurs, qui peuvent se sentir confortés dans leur idée que la classe politique vit dans un autre monde.

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