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Déconfinement : un impact psychologique moins joyeux qu’il n’y paraît
©Thomas SAMSON / AFP

Charge mentale

Le déconfinement débute officiellement en ce lundi 11 mai. Cette journée particulière apporte son lot de joie, d’angoisse ou de nostalgie pour certains. Quelles émotions vont traverser les esprits des déconfinés et pourquoi sont-elles si différentes ?

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico.fr : Le déconfinement a lieu aujourd’hui en apportant son lot de joie, d’angoisse voire de nostalgie pour certains. Quelles émotions vont traverser les esprits des déconfinés et pourquoi sont-elles si différentes ?

Pascal Neveu : Alors que les chefs d’Etat et la Reine d’Angleterre utilisaient le fort symbole de la guerre… Je me permets de nous laisser imaginer la libération du 11 mai, ce qui sera essentiel face à ma réflexion.

Zones vertes contre rouges.

Zones libérées, mais zones et poches de résistances…

Un pays n’a jamais été libéré du jour au lendemain. Je n’oserai pas porter la casquette d’un historien, mais je peux en revanche la porter en santé publique.

Et c’est là où le lien avec « l’aspect psychologique » entre en jeu également.

Nous sommes effectivement sur ce tryptique :

- joie : surtout avec le beau temps global des dernières semaines, de sortir d’un emprisonnement symbolique dont on connaît les répercussions psychiques, faire la fête avec la possibilité de transgresser les règles… car c’est également jouissif.

- angoisses : bien évidemment toutes celles liées à un retour au contact avec un extérieur non rassurant (la crainte d’être contaminé ou de contaminer), les écoles, mais aussi après 2 mois renouer des liens professionnels alors que d’autres systémiques ont pu opérer sans compter un rythme différent, et d’éventuels rgèglement de compte voire la crainte d’un licenciement…

- nostalgie : une sorte de « Retour vers le futur » que nombre évoquent d’ailleurs sur les réseaux sociaux. Cet « Après » dont beaucoup parlent… précisément, « ce ne sera plus comme avant ». Mais le temps passe et avance… et impose le changement.

Sauf que se confrontent 2 notions fondamentales qui sont pulsions de vie et de mort.

Les traumatismes liés à cette pandémie sont réels à tout niveau : les deuils, l’épuisement des professionnels de santé, des catastrophes économiques et sociales, la peur d’une 2nde vague, la défiance face aux discours politiques et médicaux.

Cela a déjà cristallisé nombre d’émotions.

Cela a clivé une grosse partie de la population (il suffit de voir les réseaux sociaux)

Cela a rendu nostalgiques certains… mais comme nous pourrions rester nostalgiques des 30 glorieuses… sauf que le monde actuel est évolution, demande adaptations et doit faire face à de telles crises inattendues malgré ce que de nombreux complotistes et des mouvances sectaires ne cessent de diffuser actuellement, profitant d’un état d’angoisse collective.

Nous allons devoir nous adapter à un quotidien n’ayant plus rien à voir avec une vie normale et qui n’aura aucune similitude avec celui auquel nous nous étions habitué depuis huit semaines. Cela représentera-t-il une charge mentale pour un grand nombre de personnes ? 

Oui, toutes les études nombreuses depuis les grandes pandémies Ebola et H1N1 ont montré des troubles psychologiques importants. Je l’avais évoqué à travers une autre interview.

Mais il faut sortir d’un labyrinthe au sein duquel nous ne devons pas nous enfermer.

Toutes ces semaines éprouvantes, pour ne pas dire ces deux mois, nous ont enfermé, emprisonné, sans connaître la carte d’issue de cette crise sanitaire. Nous avons erré, tourbillonné chez nous, circulant à travers des surfaces d’appartements différentes, seul ou avec nos familles… Nous avons vécu des ressentis psychiques nouveaux, inattendus, pour certains perturbants.

C’est la première fois, depuis la seconde guerre mondiale que nous vivons en Europe et au niveau Mondial un tel labyrinthe de notre vie, de nos habitudes quotidiennes devenues mortes et de ce spectre de la maladie ainsi que l’annonce d’amis, de proches, de parents malades voire hélas décédés.

Et la notion de labyrinthe prend sens face à ce que nous avons vécu, subi et devons dépasser.

Errant, perdus face à nos angoisses liées au confinement mais aussi celles liées au déconfinement, comment en sortir en bonne santé physique et psychique ?

Face à nos épreuves actuelles et au déconfinement, comment penser ce labyrinthe ?

Loin de proposer un cheminement dans les ténèbres et dans l’effroi, le parcours labyrinthique invite chacun d’entre nous, au terme d’un voyage dans le temps, à une découverte de soi et à une réflexion sur la destinée humaine. Et prouvant qu’il faut persévérer et non désespérer.

Nous sommes dans une confrontation entre un dehors inquiétant, seulement vu par les chaînes télés et hélas le nombre de morts, les peines liées au deuil, la souffrance des soignants…,  et un dedans qui n’a jamais été autant vivant et interpelant face à tous nos ressentis.

C’est à cet instant qu’il nous faut maintenir les liens affectifs anciens et nouveaux, voire inattendus … qui sont source de renouveau.

Mais aussi se rappeler de celles et ceux avec lesquels nous n’avons pas échangé… sans culpabiliser.

La fin du confinement marque l’arrêt d’un inconfort certain mais de nouvelles règles rentrent en scène. Comment apprivoiser ces nouvelles contraintes et les intégrer dans notre vie ? 

En quelque sorte il nous faut rêver notre nouvelle vie. L'existence d'une anxiété peut être source de créativité. La confrontation à la solitude, par exemple, a forcément engendré des mouvements psychiques de découvertes d’autres formes de plaisir, de découvertes…

Et c’est bien ce qu’à travers ce confinement nous avons vécu.

Une errance en nous. Une confrontation avec le meilleur et le pire de nous, sans oublier les frustrations, la haine, les comparaisons, les jalousies…

Et c’est là où les zones de couleurs, la distance des 100km risquent de créer des tensions.

Je ne souhaite pas du tout me positionner en moralisateur… mais la frustration fait partie de la vie…

Et avant tout il est question de santé publique… de notre santé à tous.

Nous souhaitons tous un retour non pas à l’avant mais à une vie « normale ».

Mais nous craignons également ce risque d’une 2nde vague avec des attitudes de culpabilisation mais également d’autres de « délations ».

En tant que psy nous nous n’avons jamais à juger, mais nous observons les mécanismes psychiques.

Il est tellement tentant de comparer sa propre vie à celle de l’autre. De se confronter à des comportements plus ou moins confinés, mesurant presque nos distances face aux directives sanitaires.

Nous craignons, au delà d’inévitables demandes de prises en charges pour des suivis d’angoisses et de stress (que nous allons gérer professionnellement) des débordements d’agressivité.

Aussi, il me semble important de raison garder, de ne pas nous comparer, de ne pas nous envier face à des règles qui risquent d’être modulées, de sembler injuste…

On envie toujours le jardin de nos voisins.

Mais avec quelles conséquences ? Alors que nous avons besoin de nous unir collectivement.

Notre monde vit un ébranlement inattendu.

Notre société est clivée et tendue.

Notre avenir n’est pas le chaos.

Notre humanité doit se porter sur l’espérance.

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