L’éléphant Sarkozy et la porcelaine de l’islam<!-- --> | Atlantico.fr
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Croix chrétiennes d'une église de Beyrouth entourant un minaret de la mosquée d'Al Amin. Beyrouth, carrefour (explosif) des religions.
Croix chrétiennes d'une église de Beyrouth entourant un minaret de la mosquée d'Al Amin. Beyrouth, carrefour (explosif) des religions.
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Laïcité

Le débat sur l’islam et la laïcité est plutôt mal parti. Les représentants des six grandes religions de France viennent d'exprimer leurs doutes sur l'opportunité de telles discussions ce mercredi 30 mars dans le Parisien. Et si c’était à la gauche de se saisir de cette question ?

Benoît Rayski

Benoît Rayski

Benoît Rayski est historien, écrivain et journaliste. Il vient de publier Le gauchisme, maladie sénile du communisme avec Atlantico Editions et Eyrolles E-books.

Il est également l'auteur de Là où vont les cigognes (Ramsay), L'affiche rouge (Denoël), ou encore de L'homme que vous aimez haïr (Grasset) qui dénonce l' "anti-sarkozysme primaire" ambiant.

Il a travaillé comme journaliste pour France Soir, L'Événement du jeudi, Le Matin de Paris ou Globe.

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L’islam est, nous dit-on, une petite chose fragile et délicate. Fragile comme la faïence, délicate comme la porcelaine… Et toutes les apparences indiquent que Sarkozy, en initiant un débat sur la religion musulmane, se met dans la posture d’un éléphant marchant dans un magasin où est entreposée cette chose fragile et délicate. Un éléphant c’est maladroit. Sa démarche est tout sauf légère. Et là où il pose ses pattes, ça fait évidemment des dégâts.

Quand les représentants des différentes religions s'en mêlent

La preuve : les représentants de toutes les religions (il n’y manque ni les boudhistes, ni les orthodoxes, ni les juifs…) s’insurgent ce mercredi 30 mars dans un appel commun. Rien de particulier à dire. Ils font leur boulot. Tout comme les enseignants qui protestent quand on touche aux enseignants, tout comme les postiers qui manifestent quand on fait des misères aux postiers, tout comme les cheminots qui s’arrêtent de travailler quand on leur cherche des poux dans la tête…

Reste que l’islam est aujourd’hui en France la religion dominante (sur le plan de la pratique) : les Églises se vident, et les mosquées se remplissent. Il n’est donc pas interdit de s’interroger sur son identité et sur ses éventuels débordements. Mais ce n’était sûrement pas à la droite de s’engager sur ce sentier périlleux. Elle a en effet, ce faisant, pris le risque certain de jouer à contre-emploi (pour utiliser un terme de théâtre) et donc d’offrir une prestation scénique de bien piètre qualité. Avec constance, et jusqu'à peu, elle a soutenu en France la religion dominante, à savoir le catholicisme, y compris dans ses excès [1]. Le combat antireligieux n’est donc ni dans sa tradition ni dans son savoir-faire.

C'est à la gauche de s'emparer de ce débat

Mais la gauche, elle, a d’incontestables légitimités historiques en la matière. Voltaire (« écrasons l’infâme »), le petit père Combes, les radicaux de la Troisième République, les socialistes de la Quatrième, les associations laïques de la Cinquième, la Ligue de l’enseignement, la Ligue des droits de l’homme… Tels sont les noms et les jalons qui parsèment son long combat contre l’Église et les écoles confessionnelles. Le catholicisme était pour elle, la gauche, haïssable (« l’opium du peuple ») car il était accusé de domestiquer les âmes et de s’adosser à la puissance du Vatican, dont l’influence planétaire allait bien au-delà de la place Saint-Pierre de Rome.

Mais l’islam ? Eh bien, l’islam c’est un milliard de croyants et de pratiquants. Respectables comme tous les adeptes d’autres religions, ni plus ni moins. Détestables quand certains d’entre eux, et certains pays où l’islam règne en maître, lapident, flagellent, mettent à mort pour apostasie ou blasphème. J’entends bien qu’en France on ne lapide pas, on ne flagelle pas. Mais de savoir qu’ici des femmes (et peu importe leur nombre) portent la burqa alors qu’ailleurs d’autres femmes sont assassinées parce qu’elles refusent de la porter me paraît une ignominie suffisante.

La gauche, qui a longtemps, et de façon généreuse, exercé un magistère moral, pourrait peut-être en parler. Avec elle, la porcelaine restait bien sûr intacte, et, de surcroît, nul n’oserait l’accuser de servir la soupe au Front national.

Les leçons de l’Histoire

En 1901, George Darien, talentueux pamphlétaire anarchisant, publia La Belle France. Dans ces années-là, on faisait la chasse aux curés, on fermait les écoles religieuses, et des fonctionnaires trop attachés aux bénitiers des églises étaient licenciés par l’État. Le catholicisme n’était donc plus triomphant et dominateur.

Darien pensait toutefois que la bête cléricale, bien que blessée, était encore dangereuse. Et il écrivait ceci : « Le cléricalisme (…) ne tolère pas ; il louvoie mais ne s’arrête jamais dans sa marche. Qui prétend transiger avec lui est sa dupe ou son complice. Qui n’est pas résolument contre lui est pour lui. L’Église en France, n’étant pas nationale, ayant son origine, son point d’appui, et sa base d’opérations hors des frontières, les gens qui ne la combattent pas, sont forcément partisans de la constante introduction d’un élément étranger dans la vie du pays. »

Un texte au vitriol obéissant évidemment à la loi du genre : l’outrance. Dépouillées de ses excroissances rageuses (ce n’est plus la mode), ces lignes seraient entièrement d’actualité pour peu que la gauche accepte de substituer aux mots « catholicisme » et « église» ceux d’« islam » et de « mosquée ». Mais il me semble – restons lucides – que la gauche n’aime plus trop les pamphlets.

Et enfin, une citation qui fait partie du livre d’or de la gauche. Quand, en décembre 1789, fut votée l’émancipation des Juifs, M. de Clermont-Tonnerre usa de la célèbre formule suivante : « Il faut tout refuser aux Juifs en tant que nation et tout leur accorder en tant qu’individus. » C’est tout ce qu’on peut souhaiter aux musulmans de France.



[1] Son dernier sursaut dans ce domaine remonte à 2004 quand François Bayrou, ministre de l’Éducation nationale, accoucha d’une loi destinée à favoriser l’enseignement catholique. Indignée, la gauche jeta un million de personnes dans les rues et le texte fut aussitôt abandonné. Il est d’ailleurs vraisemblable qu’aujourd’hui ces mêmes manifestants (ou, à tout le moins, une partie d’entre eux) soient prêts à défiler en faveur de l’enseignement musulman.

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